Les conflits contemporains
mettent en lumière des adversaires de plus en plus hybrides qui, par leurs
stratégies « non linéaires » pour reprendre un terme russe, ou au
travers de modes d’action tactiques spécifiques, mettent en échec de nombreuses
armées conventionnelles. Mais ce phénomène, dans une perspective historique
plus large, n’est pas nouveau, notamment si on revient sur certains théâtres
d’opérations de la fin du XXème
siècle. Une bataille de la guerre du Vietnam, autour de la base de Khe Sanh
en 1968, nous en donne un exemple frappant. En effet, lors de cette série de
confrontations, les forces nord-vietnamiennes vont parvenir à assiéger pendant
77 jours une base américaine de plus de 6000 hommes, tout en imposant à leur
adversaire une véritable manœuvre opérative d’envergure ainsi que des surprises
tactiques, voire stratégiques et ce, comme nous le verrons à propos du camp de
Lang Vei.
Au début de l’année 1968, la
base géante de Khe Sanh est située sur un plateau à l’extrême nord du
Sud-Vietnam, à 25km de la zone démilitarisée. Elle surplombe la route 9 qui
relie le Laos à Huê, l’ancienne capitale impériale. Dans le cadre des
opérations de « shaping » en amont de l’offensive du Têt, Hanoi
souhaite fixer, dans cette région, un maximum de ressources militaires US, en
réitérant éventuellement le sort de Dien Bien Phu près de 14 ans plus tôt.
Ainsi, le 20 janvier dans la nuit, ce sont les points d’appui qui entourent Khe
Sanh, sur les collines environnantes, qui sont la cible d’un déluge de feu
provoqué par la puissante artillerie nord-vietnamienne et ses canons M46 de
130mm en particulier. Environ 5 heures plus tard, c’est la base elle-même qui
devient l’objectif majeur des tirs de canons, de mortiers et de roquettes avec
près de 1000 tonnes de bombes envoyées. Les hélicoptères américains sont
détruits, le camp labouré par les explosifs, les abris pulvérisés. Cette
pression dure un mois et les conditions de vie deviennent insupportables et ce,
malgré les feux de contre-batterie des batteries US qui comptent 16 canons de
175mm, 16 de 155mm et 18 de 105mm.
Les nord-Vietnamiens alignent
2 divisions régulières mais, après quelques assauts sur les collines fortifiées
881 N, 881 S et 689, ils ne lancent pas l’assaut général tant craint par le
général américain Westmoreland. Ce dernier sait que l’évacuation du camp aurait
un effet dévastateur en termes de moral mais aussi sur l’opinion publique. En
outre, il met tout en œuvre pour ravitailler les points d’appui et Khe Sanh par
une noria d’aéronefs et de parachutages qui impliquent une grande prise de
risque pour les avions C130 ou les hélicoptères par exemple. Ce pont aérien
d’envergure permet le convoyage de 12 000 tonnes de ravitaillement avec
273 atterrissages en zone hostile et 496 largages par parachute. Les Etats-Unis
lancent également l’opération Niagara II pour desserrer l’étau vietnamien par
un appui massif par attaques air-sol avec, en 77 jours de siège, 24 000
interventions aériennes dont 2 700 avec les puissants bombardiers B52. A
la fin de la bataille, 1 600 cadavres nord-vietnamiens sont retrouvés même si
le commandement US estime, à tort ou à raison, que l’ennemi a en fait perdu
entre 10 et 15 000 hommes. Les Marines, quant à eux, ne déplorent que 205
tués mais des centaines de blessés. Même s’ils considèrent avoir remporté le
combat et si, sur le plan tactique, les Américains ont obtenu de belles
victoires (à l’image de la compagnie assiégée sur la colline 881 S du capitaine
Dabney), d’un point de vue opératif, ce sont les forces communistes qui sortent
vainqueurs. En effet, l’impact psychologique de ce siège, l’immobilisation de
troupes ennemies loin des autres secteurs d’intervention, sans compter les
unités mobilisées pour briser l’encerclement (1 division aéromobile et 2
régiments de Marines) vont largement contraindre la liberté d’action américaine
pendant l’offensive du Têt.
Mais au-delà de l’attention
portée sur Khe Sanh, le Nord-Vietnam poursuit sa stratégie hybride en
périphérie du camp retranché. Dans ce cadre, sont engagés pour la première
fois, des chars de combat, mode d’action rompant avec les tactiques
insurrectionnelles. Abrité dans une région montagneuse et boisée, à 8 km de Khe
Sanh, le poste de Lang Vei abrite 22 instructeurs des forces spéciales, des
bérets verts US ainsi que 400 montagnards. Cette garnison, entraînée pour
combattre la rébellion et mener des opérations clandestines ne s’attend pas à l’assaut
communiste qui va avoir lieu. Ainsi, le 7 février 1968, l’armée
nord-vietnamienne attaque le camp avec de l’infanterie appuyée par des mortiers
mais surtout par 11 chars PT76 d’origine soviétique. Malgré la défense héroïque
des soldats américains et de leurs troupes supplétives qui neutralisent 4
blindés avec des moyens de fortune (grenades et canons de 106mm), les
assaillants conquièrent progressivement les défenses inadaptées du point
fortifié. Les combats durent plusieurs heures, une contre-attaque est tentée
par une centaines de montagnards avec leurs mentors mais ne parvient pas à
retourner la situation. Il faudra un appui aérien important pour permettre l’exfiltration
des défenseurs encore valides (200 d’entre eux sont morts ou portés disparus),
abandonnant Lang Vei aux forces de Hanoi.
Cet exemple de la campagne
menée autour de Khe Sanh démontre combien un adversaire hybride peut être une
menace stratégique, comme tactique, pour une armée conventionnelle même
lourdement équipée. Il est donc important de préserver, quel que soit le
théâtre d’opérations, une réversibilité des unités engagées mais surtout une
capacité à produire un effort avec des moyens lourds de type blindés, appui
feux (artillerie), génie et anti-chars. La capacité à se renseigner dans la profondeur,
y compris face à un adversaire irrégulier, est une condition sine qua none pour garantir la liberté d’action
opérative et l’initiative. Enfin, la logistique doit être en mesure d’agir dans
un environnement dégradé et sous le feu. Les engagements d’aujourd’hui et de
demain ne devront pas oublier ces enseignements illustrés par la guerre du
Vietnam.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire