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jeudi 24 novembre 2011

Imagination dans la guerre : la tactique de l’infiltration allemande des Sturmtruppen (1917-1918).


Afin de rebondir sur la citation du général Clément-Grandcourt concernant l’imagination du chef au combat et sur vos commentaires, il me semble opportun de faire référence aux tactiques mises en place par les troupes allemandes à partir de 1917 afin de débloquer la situation sur des fronts figés par la guerre de positions.
Ces tactiques dites d’infiltration prennent tout leur sens et s’inscrivent comme une leçon majeure du théâtre d’opération italien pendant le premier conflit mondial. En effet, le général  Ludendorff élabore un plan pour conduire une offensive austro-allemande de 6 divisions entre les rivières Tagliamento et Isonzo près du village de Caporetto, point faible du réseau défensif italien. Il veut utiliser la tactique de l’infiltration conduite par le général russe Brussilov à l’été 1916 mises en œuvre pour faire face, à l’époque, à une pénurie d’artillerie.
Ce mode d’action, élaboré pour palier un problème conjoncturel, va être transformé en méthode formelle par les militaires allemands.
Ces derniers, après avoir étudié différentes batailles (Somme, Verdun,…) vont en conclure que les puissants barrages d’artillerie précédents les assauts  avaient des effets pervers sur les offensives car ils rendaient le terrain impropre à une progression rapide et permettaient aux adversaires d’amener leurs réserves sur la zone d’effort et ce, avant que toute percée n’est pu être exploitée. Fort de ce constat, il apparut nécessaire de développer les troupes d’assaut (ou Stosstruppen) déjà existantes mais cantonnées à des missions de contre attaque.

 
C’est le général von Hutier qui se charge de faire évoluer l’équipement et la doctrine des Sturmtruppen ainsi que de l’expérimentation (bataille de Riga, 1917 sur le front russe). Ces bataillons spécialisés sont des unités bien entraînées qui bénéficient de tirs d’artillerie ciblés pour neutraliser les points clés du dispositif ennemi avant d’attaquer, par surprise, les tranchées. Les soldats sont équipés de la nouvelle mitrailleuse allemande, de grenades et de lance-flammes, ils dépassent les résistances les plus sérieuses pour créer un trou dans les défenses adverses avant que l’ennemi puisse déployer ses renforts pour combler la brèche.
Les forces allemandes mettent alors en place cette nouvelle tactique sur une large échelle lors de la bataille de Caporetto en Italie, en concentrant, au premier échelon, de nombreuses Sturmtruppen. Ces dernières s’infiltrent dans les lignes italiennes le 24 octobre 1917 à la faveur des nappes de brouillard et des feux d’artillerie chimiques (obligeant les soldats italiens à porter leurs masques à gaz). La percée est rapidement réalisée, les troupes allemandes neutralisant le système de communication et de commandement italien et s’emparant des points hauts, à l’instar du bataillon du jeune colonel Rommel. Craignant d’être encerclées, les troupes transalpines refluent en désordre jusqu’à la rivière Tagliamento pour rétablir le front, laissant derrière eux 40 000 morts, 250 000 prisonniers et 2 500 pièces d’artillerie. Malgré ce succès tactique, par manque de vision opérative et de moyens conséquents dédiés à l’exploitation (faiblesse des armées autrichiennes), Ludendorff ne put profiter de sa victoire pour progresser profondément en Italie.
En France, il chercha également à provoquer, en 1918, l’effondrement du front franco-britannique avec l’utilisation de ses Sturmtruppen mais il se heurta à trois difficultés majeures. Tout d’abord, l’effort consenti pour la montée en puissance de ces unités spécialisées eut de lourdes conséquences sur le niveau des autres divisions plus conventionnelles (qui étaient souvent incapables d’exploiter les percées). De même, les Allemands sous-estimèrent la capacité de résistance des troupes alliées face à ces attaques surprise. Enfin, le commandement français fit preuve d’un remarquable sens de l’adaptation tactique en mettant en place un nouveau dispositif défensif dans la profondeur capable de contrecarrer les infiltrations de Sturmtruppen.
Dès lors, pour conclure, on voit bien que l’imagination du chef militaire est souvent un des ressorts pour renverser une situation ou un rapport de forces défavorable. Néanmoins, loin d’être des recettes toutes faites, ces innovations tactiques ou ces modes d’action ne peuvent s’inscrire que dans le court terme face à un adversaire qui s’adapte en réaction et cherche la parade. L’imagination doit donc être entretenue ou cultivée, provoquée par l’étude de l’histoire militaire, du terrain, voire des doctrines adverses mais il doit aussi être encouragée auprès des jeunes officiers à l’entraînement comme en opération. Aujourd’hui, si l’adaptation réactive mise en œuvre pour l’équipement en opération est très efficace, on constate néanmoins une certaine orthodoxie dans les modes d’action conduits sur le terrain ou lors des exercices surtout face à un énnemi générique "aculturel" et prévisible.
Frédéric Jordan

2 commentaires:

  1. Sans prétention aucune, je tiens cependant à préciser votre approche et la description des modes d'action des sturmtruppen. Les troupes d'assaut s'articulent selon une organisation complexe et surtout interarmes (déjà...). Elle regroupe des fantassins, mais aussi des sapeurs (lance-flamme), des artilleurs (qui tirent ou portent des pièces légères) et des transmetteurs (diffusion du renseignement au troupes de la seconde vague). Ces groupes bénéficient d'un entrainement poussé à l'arrière du front sur des terrains reconstituant la zone à attaquer. Le renseignement aérien est utilisé pour recréer les réseaux de tranchées et déterminés la position des objectifs prioritaires. La manoeuvre est répétée "grandeur nature" avant d'être conduite face à l'adversaire. Pour le mode d'action, l'infiltration repose sur la détermination au contact de la "ligne de moindre résistance", afin de progresser en souplesse (cad sans se laisser fixer) jusqu'au poste de commandement (objectif principal car sa saisie désorganise et isole l'unité ennemie), les renseignements sur l'itinéraires à suivre par le second échelon sont transmis par les agents de liaison. Afin de ne pas perdre l'effet de surprise, la préparation d'artillerie est réduite à l'appui de l'infiltration. Des attaques de diversion permettent d'éviter le dévoilement de la zone d'effort.L'approche de la ligne ennemi se fait en collant au tir roulant de l'artillerie. Les troupes doivent dépasser rapidement les premières lignes, pour ensuite progresser en utilisant les boyaux de communication vers les PC, centre de transmission ou les noeuds de communication. Si des groupes sont chargés de saisir ces objectifs, d'autres doivent fixer les centres de résistances afin de permettre la progression de la seconde vague. Cette tactique n'est pas transposable à l'ensemble des divisions : elle nécessite un entrainement rigoureux, des cadres expérimentés....Du temps et des moyens dont ne disposent plus l'armée impériale de 1918. Lors des offensives de 1918 en France, les troupes d'assaut rencontreront des succès inégaux. C'est principalement sur le chemin des Dames que les stosstruppen enfoceront en une journée le dispositif français. Cette percée permettra à l'armée impériale d'atteindre le point ultime de l'offensive de 1914.

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  2. Signalons également que l'expérimentation débute en août 1915. A cette date le Haupsturmführer Willy Martin Rohr se voit confier le commandement d'une unité expérimentale du génie de la garde, (Sturm-Abteilung ROHR) pour tester de nouvelles armes et de nouvelles tactiques. Il va particulièrement développer les possibilités liées à l'emploi du lance-flamme et réfléchir sur les techniques d'appui direct. Cette expérimentation d'abord initiée dans le génie sera poursuivie par la création MG (maschin-gewhr cad mitrailleuse) sturm Abteilung et détachement d'assaut d'artillerie légère. L'emploi de chars sera testé en 1918, mais se révèlera non-concluant du fait des déficiences du chars lourd allemand. Toutefois, il est d'usage d'affirmer que les techniques de pénétration rapide et d'encerclement des troupes d'assaut seront reprises par les panzers lors du second conflit.

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