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dimanche 17 juin 2012

Le général Lanrezac : de la prise de risque mesurée à l’honneur bafoué.


Même s’il a été réhabilité en 1917 puis mis à l’honneur en 1924, le général Charles Lanrezac, militaire expérimenté commandant  la Vème armée en 1914, sera limogé après un mois de combat par le maréchal Joffre qui l’accuse d’avoir mis en péril les forces françaises au début du conflit. Pourtant, confronté aux ordres incohérents du GQG[i] et aux appréciations erronées d’officiers pétris de certitudes mais guidés par une doctrine de l’offensive à outrance, ce fin tacticien va sauver son unité de l’encerclement et, grâce à sa victoire lors de la bataille de Guise, participera directement au succès français de la Marne.
Son sens de la manœuvre incompris par le généralissime de l’époque est en fait le révélateur d’une capacité à prendre des risques mesurés puis à saisir les opportunités sans jamais céder à la tentation du coup de dé.
Aussi, verrons-nous que le général Lanrezac était bien en décalage avec la plupart des chefs de son époque et qu’il appuie son talent sur une solide culture militaire.
Pour cela, nous reviendrons d’abord sur les principes qui animent ce soldat avant de tirer quelques conclusions ou enseignements de son témoignage posé dans son livre « Le plan de campagne français et le premier mois de guerre ».




Un officier expérimenté et réfléchi.

Saint-Cyrien en 1865, il rejoint l’infanterie dans le conflit qui oppose la France à la Prusse dès 1870 et participe aux batailles de Coulmier et d’Orléans (pour lesquelles il est élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur) puis rejoint le général Bourbaki devant Belfort en 1871 et s’illustre à Besançon et dans les combats de Larnod. Après la guerre, il est breveté d’état-major en 1879 et passe 5 ans en Tunisie avant d’être nommé professeur d’histoire militaire et de tactique puis directeur des études à l’Ecole supérieure de guerre  de 1892 à 1901. A ce titre, en 1924, le ministre de la Guerre, le général Nollet, qui lui remet les insignes de grand croix de la Légion d’honneur, lui confiera : « je n’ai jamais oublié que j’ai été votre élève et quel magistral enseignement vous donniez à l’Ecole de guerre ». Chef de corps, général de brigade en 1905, il participe à la réflexion stratégique en prévision de la guerre contre l’Allemagne. Il défend alors l’idée du plan défensif du général Michel qui cherche à attirer l’ennemi dans un piège. Il s’agit de laisser du temps à l’armée française pour mobiliser ses forces afin de « lire » les intentions allemandes puis de canaliser l’adversaire dans le couloir de pénétration formé par la vallée de l’Oise et flanqué à l’est comme à l’ouest des places fortes du nord de la France (magnifiques points d’appui pour contre-attaquer). C’est pourquoi, membre du conseil supérieur de guerre, il reste sceptique au moment où le « plan XVII » de Joffre est adopté sous la pression des « jeunes turcs » du colonel Grandmaison, si bien décrits dans l’ouvrage du colonel Goya « La chair et l’acier ».  Cette planification s’appuie donc sur le concept d’offensive à outrance et vise à s’engager rapidement à la rencontre des troupes allemandes sur les frontières et ce, dans un grand élan massif vers l’avant sans considération aucune pour la manœuvre. Le général Lanrezac a compris que ce risque comportait une grande part d’incertitude et, au moment où il remplace Gallieni à la tête de la Vème armée en 1914, fait part au GQG de ses doutes quant à la mission qui lui est confiée en direction du territoire belge, d’autant que ses unités manquent cruellement de mitrailleuses et de munitions d’artillerie, jugées trop encombrantes par l’état-major.

Un praticien de la tactique remarquable.


Dès le 24 août 1914, alors que les armées françaises et britanniques subissent le choc de l’assaut allemand et du mouvement tournant par la Belgique du « plan Schlieffen », le général Lanrezac, qui commande près de 300 000 hommes et 100 000 chevaux épuisés par les premiers combats de l’été, analyse parfaitement la manœuvre adverse et, soucieux de construire un mode d’action interarmes efficace, décide de se replier malgré les ordres du GQG de combattre sur place. Il écrit d’ailleurs à ce propos : « Il m’est revenu qu’au GQG régnait de l’irritation contre moi, qu’on accuse de manquer d’esprit offensif ; pour préciser mes intentions, je fais connaître que je continuerai ma retraite jusqu’à ce que j’aie ramené mon armée, sur un front d’attaque dans un terrain où mon artillerie puisse intervenir avec avantage ». Se souvenant ses lectures d’historien militaire, il identifie en effet très vite le meilleur lieu pour préparer une réaction contre les Allemands, considérant que : « la ligne où il conviendrait de s’arrêter est sans conteste celle formée par la Somme, les hauteurs de Laon et l’Aisne (ou les hauteurs de Reims si l’Aisne n’est pas tenable) ; tous les hommes de mérite, qui ont écrit sur la défense du nord de la France depuis trois siècles, sont unanimes sur ce point ».
Il blâme alors le commandement de ne pas saisir l’opportunité de rompre le contact avec l’ennemi en s’arqueboutant sur une doctrine offensive et, au risque de perdre l’initiative et même une partie des troupes engagées. Surpris par le mutisme de Joffre (qui ne donne aucun ordre clair) lors des points de situation ainsi que par l’attentisme britannique, il décide, unilatéralement, de poursuivre son mouvement rétrograde vers Laon. Il arrive difficilement à convaincre ses supérieurs et explique que : « le GQG jugeait indispensable de retarder les Allemands ; moi aussi ; il estimait que le meilleur moyen était de contre-attaquer fréquemment les avant-gardes avec des arrière-gardes très renforcées en artillerie ; moi je ne voulais user de ce procédé que très exceptionnellement, le jugeant dangereux dans l’état de mes troupes, et pensant que le but serait atteint tout aussi bien et à moins de risques grâce à la défense successive des coupures du terrain par nos arrière-gardes ». On constate aisément les premiers signes d’une différence de perception tactique avec l’état-major ainsi que la supériorité de la réflexion opérationnelle de Lanrezac pour lequel la prise de risque n’est pas un coup de dé mais plutôt la saisie de l’opportunité, la recherche de la liberté d’action en combinant mouvement, feu et valorisation du terrain.
Dès lors, pour prendre les meilleures décisions, il complète les renseignements du haut-commandement avec ses propres reconnaissances (avions, espions,…) et, chargé de lancer une contre-offensive vers Saint Quentin, obtient de Joffre, pourtant saisi de colères devant les initiatives de son subordonné, un délai de 24 heures (pour reposer ses troupes épuisées et réarticuler son dispositif) et la possibilité de couvrir son action face au nord avec un corps d’armée soutenue par une réserve mobile. Il reconnaît que son ennemi « montre en somme une audace alliée à une grande prudence, ce qui est le summum de l’art ». Il lui faut donc prévoir les cas non-conformes. Il fait le bon choix car les Allemands tentent de prendre la Vème armée de flanc à Guise les 29 et 30 août 1914 mais sont violemment repoussées par le dispositif de Lanrezac qui manœuvre et donne ses ordres devant un généralisme muet. Ce dernier préserve le corps expéditionnaire britannique de la destruction et gagne ainsi le temps nécessaire à la mise en place de l’armée Maunoury chargée de surprendre l’aile gauche adverse à l’est de Paris.
Pourtant, Joffre et son état-major, vexés d’avoir dû s’en remettre au jugement mesuré de Lanrezac le limogent le 3 septembre 1914 arguant de son esprit critique, de ses initiatives défensives risquées tout en faisant de lui le bouc émissaire pour un plan mal construit et pour une doctrine inadaptée à la situation. Il faudra attendre 1917 pour qu’il soit réhabilité et appelé, par le président Painlevé, à de hautes responsabilités, fonctions qu’il déclinera, jugeant sa légitimité et son honneur salis.

Ce général cultivé et riche de son passé militaire a probablement sauvé une partie de l’armée française de la défaite grâce à son esprit éclairé, à son anticonformisme tactique et à sa force de caractère. Conscient de la nécessité de prendre des risques mesurés, il a toujours cherché à rester loyal à l’esprit sinon à la lettre de la mission, persuadé que : «  l’audace est assurément indispensable à un commandant d’armée comme à tout chef militaire, grand ou petit, mais elle doit être tempérée par beaucoup de circonspection. En admettant qu’il n’ait pas à discuter l’opportunité de la mission qui lui est confiée, il a, par contre, le devoir strict d’en signaler les périls à son commandant en chef, comme aussi d’en supputer exactement les risques afin de prévoir et de préparer les dispositions à prendre dans les diverses éventualités dangereuses ».
Pour conclure sur cet officier illustre mais méconnu, et afin de résumer son action avec le plus d’objectivité possible, il suffit de relire le texte qui accompagne sa nomination au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1917 et qui se conclut par « A commandé, au cours des premières opérations de la campagne, une armée qui a eu à supporter le choc de masses ennemies très supérieures en nombre. Par sa science militaire et l'habileté de son commandement a réussi à exécuter une manœuvre des plus difficiles au cours de laquelle il a remporté des succès marqués et a rendu au pays les plus éminents services ».

Frédéric JORDAN









[i] Grand quartier général.

3 commentaires:

  1. Un homme extraordinaire et digne parmis les dignes, sa prise de position tactique en tant que général en Chef de la 5ème Armée, les suites positives après Charleroi et Guise nous prouvent qu'il est le véritable vainqueur de la première bataille de la Marne. Sa maîtrise et sa clairvoyance dans ses prises de positions resteront inégalables. Chapeau bas mon Général, avec tout mon respect et mon admiration. Daniel BIERNAUX !

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  2. Merci pour votre commentaire qui contribue à rappeler la valeur de cet officier notamment à l'heure du centenaire du premier conflit mondial. A bientôt Cordialement

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    1. A l'attention de Monsieur Frédéric JORDAN.

      Je voulais simplement ajouter, qu'en plus des hautes distinctions françaises dont fut l'objet le Général LANREZAC. Il faut savoir que le 22 mai 1923, se présenta au domicile du Général LANREZAC le Lieutenant-Général JOOSTENS attaché militaire belge à Paris. Ce dernier avait pour mission protocolaire du Roi ALBERT 1er Belgique, de remettre les distinctions suivantes au Général Charles Marie LANREZAC. Dont voici le texte officiel; "pour son action tactique et intelligente, mais surtout pour sa clairvoyance lors de la bataille de Charleroi et pour son habilité déterminante lors de cette terrible bataille sur la Sambre" Nous décernons au Général LANREZAC les plus grandes distinctions de notre Royaume. Le Roi et son Etat-Major, nous remettons au Général LANREZAC la Grand'Croix de la Couronne de l'Ordre de LEOPOLD 1er avec l'attribution de la Croix de guerre avec Palmes. Et cela en remerciement et de la reconnaissance du peuple belge pour ce grand soldat . . . sans commentaire !

      Daniel Biernaux !

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