Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 18 novembre 2012

La tactique : histoire et fondements. (7)


 
Nous continuons notre revue de la pensée tactique dans l'histoire militaire avant d'aborder les principales évolutions concrètes de cet art sur le terrain. Je mets également à jour la rubrique "Mémoire et évènements" de votre blog avec un lien vers l'exposition sur "l'art en guerre" au musée d'art moderne de la ville de Paris. C'est en effet une autre manière de percevoir la conflictualité et ce, au travers des oeuvres d'artistes traduisant les sentiments, les peurs voire les impressions des contemporains face à l'avènement du second conflit mondial.
 
 
2-5 La naissance de l’art opératif, l’avènement des blindés et la période contemporaine.
 
La pensée opérative apparaît, dès le XIXème siècle, dans la manœuvre napoléonienne mais aussi dans ses écrits. En effet, ces derniers évoquent cette perception de la guerre sous un prisme plus large (notamment dans la correspondance à destination de ses généraux[1]) empreinte de références au centre de gravité ou aux lignes d’opération. On la retrouve dans l’œuvre de penseurs comme Jomini, dont la « grande tactique » avec sa science des mouvements des armées en dehors du champ de bataille élargit l’espace du combat. La guerre de sécession américaine sera ainsi l’héritière de cette vision car conduite sur un théâtre d’opérations immense où cohabitent plusieurs fronts et où les lignes de communication, la mobilité mais également l’économie des forces seront cruciales pour obtenir la victoire. En guise d’illustration, il suffit de faire un « focus » le raid du général nordiste Sherman qui réussira par une  audacieuse (mais destructrice) manœuvre de débordement opérative à couper en deux les arrières Confédérés.


Plus tard, les Allemands formalisent l’art opératif en préparant le plan Schlieffen lancé en 1914 pour envelopper la masse de manœuvre française par un mouvement tournant qui déborde largement sur le territoire belge. Néanmoins, c’est bien après-guerre que certains pays se l’approprient. En fait, les Soviétiques s’emparent de cette théorie opérative avec le concept « d’opérations en profondeur » conçu dans les années 1930 par des officiers comme Frunze, Toukhatchevski, Triandafilov, Seydakin ou Eideman. D’un point de vue théorique, l’adversaire est perçu comme un système qu’il faut fragiliser puis désorganiser par l’action d’un choc opérationnel : l’Udar. Celui-ci peut être atteint par la combinaison des dimensions géographique (frapper l’ennemi dans la profondeur, jusqu’à 100 km pour déstabiliser ses arrières et son commandement), chronologique (attaques multiples et recherche de l’opportunité pour percer en privilégiant la surprise) ou cognitive (désinformation, déception ou Maskirovka[2]). Cette doctrine sera mise en œuvre dès la bataille de Khalkhin Gol en 1939 face aux Japonais (voir notre article sur ce sujet) puis durant toute la seconde guerre mondiale.

L’entre-deux guerres voit également l’émergence d’un foisonnement intellectuel dans le domaine de la tactique, en particulier avec l’avènement des blindés. Les officiers allemands, mais aussi britanniques (Fuller) et français (colonel De Gaulle) développent des modes d’action basés sur l’emploi des chars avec un appui massif de l’aviation. La recherche de la percée et de l’encerclement (le chaudron allemand) devient la norme ainsi que la recherche de l’initiative et de la subsidiarité dans les choix tactiques (Auftrags Taktik[3]) des chefs au contact. L’emploi des transmissions doit ainsi faciliter le contrôle d’unités mécanisées rapides, réactives et puissantes. Le second conflit mondial gardera, en substance, cette pensée militaire, tout en bénéficiant d’innovations techniques remarquables et des progrès de la manœuvre amphibie (guerre du Pacifique).


 
Avec l’avènement de l’arme nucléaire, dès 1945, la tactique semble s’enfoncer dans une période de déshérence jusque dans les années 1970, même si la décolonisation ou les soubresauts de la Guerre Froide rappellent son nécessaire apprentissage. En effet, les guerres d’Indochine et d’Algérie, comme celle de Corée montrent la nécessité de s’adapter à un nouvel adversaire irrégulier comme à des milieux contraignants. Dès lors, on redécouvre la lutte contre les guérillas, la guerre de postes, les camps retranchés ou l’emploi d’unités légères mobiles (les troupes aéroportées ou les commandos de chasse par exemple) face aux combattants Vietminh ou ceux du FLN algérien. De la même façon, le combat en montagne coréen apparaît, aux soldats américains et même français, très vite en décalage avec les références doctrinales européenne (face au Pacte de Varsovie en centre Europe), tant dans l’utilisation des chars, de l’artillerie que du génie. De la même  façon, le Vietnam montrera les limites tactiques et techniques des armées modernes face aux Viêt-Cong.

Il faudra attendre les théories du Soviétique Sokolovski en 1962 pour voir renaître des théories tactiques conventionnelles élaborées et formalisées dans les règlements d’emploi. On y trouve un retour à l’offensive, à la manœuvre mais également un refus de tout esprit défensif. Ce n’est qu’en 1984 que le général Gareev tente de revenir aux opérations dans la profondeur comme aux vertus de la planification alors que l’Armée rouge peine à s’adapter aux insurgés afghans dans un pays au relief rude et cloisonné. Parallèlement, les Etats-Unis développent l’ « Air land battle » combinant l’action des forces aériennes et terrestres mais surtout aéromobiles afin de toujours garder l’initiative sur l’adversaire grâce notamment à la complémentarité des feux, à celle des effets et surtout à une mobilité accrue pour basculer l’effort d’un côté ou de l’autre du théâtre d’opérations.

Aujourd’hui, l’émergence des conflits asymétriques semble avoir réveillé la pensée tactique, en particulier occidentale, avec un débat sur la contre-insurrection et/ou contre-rébellion. Dans ce cadre, les expériences passées, comme l’exemple de grands chefs militaires, servent de base à la réflexion. Celle-ci s’appuie sur la « relecture » des écrits de vétérans comme Gallula ou encore Trinquier (enseignements de la guerre d’Algérie) voire sur l’évocation des campagnes de Suchet en Espagne, des généraux Huré au Maroc et Gallieni en Afrique ou au Tonkin.

Pour les opérations plus conventionnelles, la tactique demeure encore peu développée dans les ouvrages de ce début de XXIème siècle, hormis quelques « best sellers » à l’instar de « Tactique théorique » du général Yakovleff  mais surtout avec des livres à portée historique comme ceux de Jean Lopez ou d’Anthony Beevor (seconde guerre mondiale) et quelques revues spécialisées. Gageons donc que ceci représente les prémices d’un élan plus large en la matière.

 

A suivre…



[1] Voir l’analyse réalisée par Bruno Colson dans son ouvrage : « Napoléon, de la guerre ».
[2] Techniques de déception soviétique, voir notre article sur le sujet.
[3] Commandement par objectif : détermination d’un effet majeur et compréhension de l’esprit de la mission jusqu’au plus bas échelon pour aiguiser l’initiative. Particulièrement développé dans l’armée allemande qui attaque la France en 1940.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    très intéressé par votre article, j'aimerais approfondir le sujet, auriez vous d'autres références, des livres de doctrine et de stratégie mais russes centrés sur l'udar, mais aussi l'Okhod et la stratégie de l'attaque en profondeur en général ?

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