C'est avec plaisir que je vous présente aujourd'hui l'ouvrage de Frédéric Chamaud et de Pierre Santoni, tous deux officiers expérimentés et dont la carrière les a amenés à commander ou à organiser le centre d'entraînement aux actions en zone urbaine-94ème RI (CENZUB) de l'armée de Terre à Sissonne. Ce livre, "L'ultime champ de bataille, combattre et vaincre en ville" aux éditions Pierre de Taillac, est inédit dans son approche liée au milieu urbain et confiné car il s'appuie sur de riches exemples historiques ou contemporains permettant ainsi d'aborder toutes les problématiques de l'emploi tactique des unités confrontées à des combats en ville mais aussi dans les "zones vertes" ou les grottes afghanes, dans la jungle ou au cœur de régions agricoles compartimentées.
Si de tout temps la cité a été un enjeu des conflits, notamment au travers de la poliorcétique, les auteurs rappellent avec justesse que la ville (et tout autre espace confiné, ce qui est une analyse fort intéressante) demeure un champ de bataille moderne du fait de "son pouvoir égalisateur de technologie" et donc de puissance. Il faut donc apprendre ou ré-apprendre à y manœuvrer et ce, face à des adversaires asymétriques voire hybrides qui maîtrisent parfaitement ces environnements si particuliers. Le livre balaie ainsi tout un panel de réflexions basées sur des exemples connus ou plus originaux, de Grozny (1995-2000) à Falloudja (2004) en passant par Hué (1968), "La rue sans joie" en Indochine (1953), Madrid (1936), Stalingrad (1942), Sarajevo, Mitrovica (1999), Aix La Chapelle (1945), Belfast ou Beyrouth (1982). L'adversaire potentiel y est bien défini avec sa mobilité, sa puissance de feu, son ubiquité et sa faculté d'adaptation que l'on pense au réseau défensif du Hezbollah au sud-Liban, aux équipes de "hunter killer" tchétchènes comme aux unités vietminh, aux milices paramilitaires des Balkans et enfin aux attaques par engins explosifs improvisés (EEI). Ces ennemis possibles ont aujourd'hui la capacité de tenir tête aux armées modernes malgré la surenchère technologique mais également grâce à leur quasi monopole du principe de surprise, limitant de fait la liberté d'action des troupes occidentales.
Face à ces menaces, les auteurs reviennent sur les différents modes d'action qui s'offrent aux assaillants ou aux défenseurs : l'attaque en râteau, le "coup de poignard", le bouclage-ratissage, le raid, l'attaque en "ciseaux à œuf" (attaques sur plusieurs directions simultanées mais convergeant vers un objectif unique), la défense de l'avant, la défense des points clés ou dans la profondeur. Dans chaque cas, l'importance du combat interarmes jusqu'au plus petit niveau (DIA) est mise en avant, tout comme la nécessité de disposer de moyens blindés lourds pour protéger, brêcher, ravitailler et appliquer des feux puissants sur les bâtiments. Si l'infanterie légère débarquée joue un rôle majeur dans la conquête des zones urbaines ou confinées, elle doit s'entourer de capacités génie, de chars, d'équipes d'acquisition d'objectifs (pour appliquer des feux d'artillerie ou coordonner l'appui air-sol), d'hélicoptères et même de détachements d'artillerie d'assaut. Un format bataillonnaire réduit avec des PC tactiques est proposé comme niveau de déconfliction et de manœuvre minimum permettant d'agir en autonomie et à vue du terrain tout en s'affranchissant des contraintes liées aux transmissions et au commandement de trop grandes unités. Dans ce cadre, des réflexions sont évoquées sur l'évolution des véhicules d'infanterie ou de génie à l'instar de ce que certains pays de l'OTAN ont conduit en Afghanistan ou les Israéliens dans leurs opérations en Palestine. La robotisation, la numérisation, le renseignement mais aussi les "forces morales" font l'objet de paragraphes ou chapitres intéressants, étant entendu qu'en zone urbaine ou confinée, l'homme est au cœur de ce "chaos" en trois dimensions comme en souterrain. De même, le rôle du chef interarmes reste essentiel, au plus près de l'action, dans un champ de bataille où la "micro-tactique" et le "caporal stratégique" peuvent faire basculer les situations.
Cet ouvrage a donc les qualités d'un document de doctrine pour aborder la manœuvre dans ce milieu si difficile, si épuisant et si complexe mais son approche historique, comme les nombreux exemples, mettent en exergue des enseignements, des articulations ainsi que des organisations immédiatement compréhensibles et exploitables pour les praticiens ou ceux qui s'intéressent aux formes contemporaines de l'art de la guerre. D'ailleurs, une des conclusions majeure montre que les grands effectifs sont un impératif en ZURB, la qualité ne pouvant se substituer à la quantité.
Enfin, la partie consacrée à l'Irlande du Nord donne à réfléchir à l'emploi des forces armées face à des actions terroristes sur le territoire national à l'heure où l'armée française est engagée dans l'opération Sentinelle.
Bravo donc à Pierre Santoni et Frédéric Chamaud pour cet ouvrage à ne pas manquer et à lire sans hésiter.
Pour compléter le propos, ci-dessous une vidéo détaillant les missions du CENZUB ainsi qu'une seconde sur la mise en œuvre par le 40ème RA d'un détachement d'artillerie d'assaut.
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