En 1929, le général Weygand contribue à une série d'ouvrages consacrés aux "Grands cœurs" (éditions Flammarion) de l'histoire de France et ce, en rédigeant un livre sur le maréchal de Turenne. Pour l'auteur, il s'agit d'un chef militaire remarquable qui fait référence pour les officiers du moment, en particulier Foch par qui, si on en croit la dédicace, le général Weygand a appréhendé l'influence majeure de ce contemporain de Louis XIII et de Louis XIV.
Dans cet ouvrage, on peut d'emblée noter que le jeune héritier de la maison de Bouillon va rentrer au service du royaume de France dès son plus jeune âge et gravir les échelons au rythme de ses campagnes, d'abord à la tête d'une compagnie, puis d'un régiment avant de se voir confier une armée. Il deviendra un grand tacticien et participera aux grandes évolutions dans la conduite de la guerre au cours de cette période charnière de l'histoire militaire.
Si son engagement est d'abord un geste politique pour assurer le Roi (et le cardinal de Richelieu) de la loyauté de la principauté réformée de Sedan, ces "Terres souveraines" comme on les appelait, sa droiture et sa fidélité au peuple français l'accompagneront jusqu'à sa mort.
Turenne va alors se former sur les champs de bataille tant dans l'art de la guerre que dans la manœuvre logistique de son époque (vivre sur le pays pour compenser une intendance défaillante). A ce titre, Mazarin, au moment du traité de Westphalie félicitera le maréchal d'avoir "fait des merveilles, à conserver si bien l'armée sans avoir touché un sol depuis si longtemps". Il fut donc novateur dans ce domaine aussi. Il s'illustre très vite en 1634 au siège de la Motte, lors de la retraite de l'armée du Rhin, devant Saverne puis à Landrecies en 1637. Il apprend son métier auprès des plus fins stratèges comme Bernard de Saxe-Weimar (ancien élève de Gustave Adolphe) sous les ordres desquels il sert dans l'armée d'Alsace ou en Italie. Blessé plusieurs fois au combat comme à Turin, il devient finalement, sous l'impulsion de Mazarin, commandant en chef des armées françaises et doit combattre Condé. Face à lui et à son génie militaire, malgré des effectifs souvent bien inférieurs à ceux de ses adversaires, il fait preuve de ruse et d'intelligence de situation, jouant des marches et contremarches pour priver son ennemi de sa liberté d'action. Ainsi, sans les nommer, Turenne met en application les grands principes de la guerre, notamment la concentration des efforts et l'économie des moyens (souvent comptés) pour s'opposer notamment aux puissantes troupes espagnoles. Il commande au plus près s'exposant parfois un peu trop mais organisant les travaux (tranchées) des sièges, veillant tard pour donner les ordres, reconnaître de futures positions ou "façonner" le champ de bataille avant la nuit. Il peut alors engager le combat à l'aube dans les meilleures conditions misant également sur les forces morales diffusées par le chef charismatique qu'il représente. La meilleure illustration de ce professionnalisme tactique se trouve dans la victoire des Dunes. D'ailleurs, Napoléon, dans son "Précis des guerres du Maréchal de Turenne" écrit au travers d'une métaphore : "Achille était fils d'une déesse et d'un mortel : c'est l'image de la guerre ; la partie divine c'est tout ce qui dérive des considérations morales : du caractère, du talent, de l'intérêt de votre adversaire, de l'opinion, de l'esprit du soldat qui est fort et vainqueur, faible et battu, selon qu'il croit l'être ; la partie terrestre ce sont les armes, les retranchements, les positions, les ordres de bataille, tout ce qui tient à la combinaison des choses matérielles". A la mort du cardinal et après ses victoires, Turenne est fait Maréchal général, titre qui donne préséance sur tous les maréchaux de France. Aux côtés d'un Louis XIV qui prend les affaires du pays avec la vigueur qu'on lui connaît, Turenne est chargé, avec Louvois, Le Tellier et Lionne de travailler sur la réorganisation de l'armée. En effet, après la "Paix des Pyrénées", l'armée est réduite à 50 000 hommes et il faut donner au Roi un outil à la hauteur de sa politique, on parlerait aujourd'hui de "remontée en puissance". Il reconstitue d'abord la cavalerie en faisant effort sur la formation et le recrutement des cadres (issus de milieux modestes, les jeunes nobles ne montrant pas assez d'assiduité dans le service) et instaure pour cette arme, comme pour l'infanterie, les "brigadiers" qui commandent à deux régiments sur le champ de bataille. Les effectifs augmentent notamment par l'apport de nombreux fantassins. Si à Rocroi en 1643 on compte 22 000 hommes, Louis XIV entre en Hollande en 1672 avec 120 000 combattants (3/4 d'infanterie et un équipage de siège et de campagne conséquent). Turenne insiste sur l'instruction des troupes et impose des entraînements comme pour ces deux corps d'armée réunis près de Compiègne en 1666 pour trois jours d'exercice en "terrain libre". La discipline fait l'objet de l'attention du maréchal qui veille à ce que les soldats soient régulièrement payés et bien nourris. Il conseille le Roi dans les affaires du royaume et mène de nombreuses missions diplomatiques, notamment en Angleterre. Il demeure, dans l'intimité, un homme humble et mesuré qui n'apprécie guère la vie de Cour et qui se convertit au catholicisme en 1668. Avec le temps, les relations qu'il entretient avec d'autres maréchaux et les ministres se tendent, en particulier du fait de la jalousie des plus ambitieux. Il prend néanmoins la tête des armées aux côtés de Condé pour la campagne de Hollande. Très vite, le Roi fait pression par l'intermédiaire de Louvois (très insistant) pour obtenir une victoire rapide alors même que Turenne, sur le terrain, considère que les manœuvres demandées par Paris sont inappropriées aux circonstances locales. En 1674, après les désillusions et les désaccords des années précédentes, Turenne entame sa dernière campagne. Il est d'abord relégué à des missions annexes par un Louis XIV qui vole de victoires en victoires tel en Franche Comté mais il conseille son souverain sur la stratégie à suivre, notamment dans l'emploi des réserves. Il prend des initiatives et remportent des victoires foudroyantes grâce à sa mobilité comme à Sinzheim, victoire pour laquelle une médaille est frappée, portant des foudres et l'inscription "Vis et celeritas". Il bat ensuite les Coalisés en Alsace sur le Logelbach près de Colmar et de Turckheim. Il aura planifié sa manœuvre, surpris l'adversaire en prenant des itinéraires hors norme et malgré une météo difficile (qui parfois peut l'aider, ainsi que le brouillard qu'il sait exploiter pour se cacher de l'ennemi). Pour le général Weygand : "sa tactique ne laisse rien au hasard : connaissance de l'ennemi, examen du terrain, calculs des possibilités, tout entre en jeu. Elle n'a rien de rigide : trois fois il attaque un ennemi fortement posté derrière une rivière, trois fois il le bat, et pas une seule fois il ne s'y prend de la même façon. A Sinsheim, il attaque tout droit et profite de sa supériorité en infanterie pour prendre des points d'appui sur lesquels il étaye la manœuvre de sa cavalerie. A Enheim, il arrive par une marche de flanc à surprendre un ennemi qui se croit en sécurité derrière plusieurs lignes d'eau, il est formé en face de lui avant qu'il soit revenu de sa surprise et bénéficie surtout de l'effet moral ainsi produit. A Turkheim, il prend de loin son dispositif de combat qui lui permet de fixer l'ennemi de front et de le vaincre par une manœuvre d'aile menée avec secret et décision". En 1675, alors qu'il mène une reconnaissance, il est blessé mortellement par l'artillerie adverse de Montecuculli. Ses obsèques furent nationales et l'affliction de ses hommes très forte. C'est Bonaparte, alors premier consul, qui rendit hommage à ce grand capitaine en transférant son corps aux Invalides, tombeau dans lequel il repose encore aujourd'hui. Ce chef de guerre, ce tacticien mais aussi cet organisateur hors pair marquera son époque mais aussi les générations futures qui peuvent puiser dans ses campagnes de grands enseignements.
Turenne est un génie militaire au même titre que Napoléon. Si ce dernier n'avait pas existé, Turenne serait alors notre Napoléon.
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