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dimanche 18 septembre 2016

L'artillerie des avant-postes : perspectives historiques - 1ère partie.


A la demande de plusieurs lecteurs assidus de votre blog, je débute aujourd'hui une série d'articles consacrés à l'emploi de l'artillerie dans les avant-postes. En effet, l'emploi des canons et mortiers français à partir des FOB (Forward Operations Base) en Afghanistan de 2008 à 2012, le déploiement d'AUF1 sur le Mont Igman aux côtés de la FRR (force de réaction rapide) en ex-Yougoslavie en 1995 puis l'engagement, durant quelques années, de pièces de 155 mm au sein du contingent français de la FINUL au Liban ont montré tout l'intérêt de disposer d'appui feux au plus près des postes tenus par l'interarmes. Plus récemment, dans la bande sahelo-saharienne, les mortiers de 120 mm, les CAESAR et même les LRU ont appuyé les manœuvres conduites à partir de Gao, Kidal ou Tessalit. Enfin, la crise au Levant, en Syrie comme en Irak, illustre le besoin de pièces d'artillerie pour prendre l'ascendant, reprendre l'initiative et frapper des objectifs dans la profondeur face à des adversaires irréguliers ou hybrides.
Aussi, au travers d'exemples historiques, nous verrons que l'emploi des feux indirects sur les avant-postes a , de tous temps, été une vraie plus-value afin de garantir la liberté d'action du chef interarmes ou contribuer au principe de concentration des efforts. Le premier de ces exemples réside dans la mission confiée au artilleurs lors de la guerre d'Algérie.

Présente en Algérie depuis la conquête de ce territoire par la France au XIXème siècle, l’artillerie sort de la seconde guerre mondiale avec un emploi de ses tubes face à un ennemi conventionnel ou contre les concentrations de troupes vietminh en Indochine. Elle n’est donc pas préparée à être employée contre une menace asymétrique représentée par le combattant du FLN. Ce dernier, appelé Fellagah est décrit par les contemporains comme « un homme très endurant et frugal, capable de se déplacer à une allure considérable quand il connaissait la région où il combattait. Chez lui, dans sa zone de parcours, il était renseigné sur nos déplacements beaucoup plus vite que nous l’étions sur les siens. Il refusait systématiquement le combat,… ». Il évolue sur un terrain montagneux, parfois boisé, encaissé et ne disposant que d’un modeste réseau routier.

Dès lors, entre 1954 et 1955, les premières opérations de maintien de l’ordre, conduites contre les bandes rebelles, ne justifient pas l’action de l’artillerie, hormis pour appuyer les convois pris en embuscade. En effet, aucune concentration de combattants n’est localisée devant un poste ou un point géographique fixe pour permettre des tirs efficaces.
En revanche, dès 1956, le contexte d’engagement français change car la rébellion peut compter sur près de 19 000 hommes équipés d’armes collectives qui cherchent à conduire (notamment entre 1958 et 1960) des actions de plus grande envergure. L’artillerie contribue alors au succès des opérations « Jumelles » et « Pierres précieuses » (1959-60) où la puissance de feu est un atout précieux pour les unités de mêlée et où elle participe aux lourdes pertes subies par l’adversaire. De la même façon, le commandement français met en place les barrages frontaliers face au Maroc et à la Tunisie (valorisés, entre autres, par des moyens de feux et de renseignement mis en œuvre par des artilleurs) afin d’asphyxier les rebelles de l’intérieur et ce, en empêchant l’acheminement des équipements et des renforts venus des bases étrangères de l’ALN. Cette dernière s’attache d’ailleurs à se bâtir elle aussi une artillerie, en particulier pour soutenir, depuis ses abris tunisiens, le franchissement de la ligne Morice par des unités à pieds. Ses armes lourdes proviennent des pays de l’Est mais aussi d’Egypte et transitent par la Libye. Il ne s’agit, en 1959, que de mortiers de 82mm, de canons sans recul de 37mm et de 57mm. Néanmoins, en 1962, on identifie des mortiers de 120mm et des canons de 122mm qui tireront 6000 obus sur les postes de Gouared et de Bordj Mraou. L’artillerie a donc dû s’adapter aux évolutions de la menace et aux besoins exprimés par l’interarmes sur un terrain difficile et face à un ennemi évolutif.


Repenser l’organisation et l’emploi de l’artillerie.

 A compter de 1954, la montée en puissance progressive des forces françaises en Algérie est une étape délicate pour l’artillerie qui ne dispose, sur place, que des 65, 66 et 67ème régiments d’artillerie d’Afrique, du 411ème régiment anti-aérien, de quelques éléments de l’aviation légère d’observation de l’artillerie (avions et hélicoptères de l’Aloa) et d’une partie du 4ème RA. Ce dernier tirera d’ailleurs les 77 premiers obus de la guerre, le 3 novembre 1954, pour permettre le désengagement des gendarmes du village de T’kout face à une action rebelle violente. La tendance est alors à l’émiettement des moyens. Les canons, de tous les modèles (la France a des difficultés à homogénéiser son parc d’équipements) sont répartis pour la protection des postes et des convois, par sections ou par pièces isolées. Plus de la moitié des effectifs d’artilleurs constituent des unités de marche qui combattent à pieds et participent au contrôle de zone aux côtés de l’infanterie. En 1956 les régiments d’artillerie sont répartis selon 4 types d’organisation.


On compte alors :

-  21 groupes d’artillerie type 107 (1 batterie de commandement et des services, 4 batteries à pieds).
-  21 groupes d’artillerie type 023 (1 batterie de commandement et des services, 3 batteries de tir à 4 pièces).
-  2 groupes d’artillerie anti-aérienne type 622 (1 batterie de commandement et des services, 4 batteries à 4 pièces de 90mm et des radars Cotal).
-  4 groupes d’artillerie anti-aérienne légère type 951 (1 batterie de commandement et des services, 2 à 4 batteries de tir à 2 sections de 40mm).

Mais très vite, les opérations de ratissage impliquent l’appui de l’artillerie et le déploiement d’un nombre de plus en plus élevé de DLO (détachements de liaison-observation) au sein des unités de mêlée. Chaque mission, même mineure, s’accompagne d’une protection par une section ou une batterie d’artillerie. Celle-ci tire de sa position ou se déplace au rythme de la manœuvre. Dès lors, si en 1957 le nombre d’obus de 105mm tirés est de 8 000, on atteint 44 000 en 1958 et 60 000 coups en 1959. A partir de 1960, l’artillerie est de plus en plus active sur les barrages mis en place par le général Challe sur les frontières algériennes. Les artilleurs reviennent à leur premier métier avec encore 27 groupes d’artillerie de type 107 (qui comptent maintenant, en plus des unités à pieds, 23 batteries à 4 pièces)  mais surtout 25 groupes de type 023, 2 groupes de type 622 et 3 groupes « radars-canons ».

Cette organisation, véritable atout opérationnel, permettra de nombreux succès tactiques tant en défensive que lors d'actions plus offensives..
Aujourd'hui, l'emploi de l'artillerie face à des adversaires hybrides disposant eux-mêmes de moyens de feux indirects, mais également capables de s'engager en zone urbaine ou cloisonnée, paraît pertinent pour permettre de gagner du terrain ou neutraliser des objectifs à haute valeur ajoutée. Les moyens d'acquisition humains ou radars, le panel de munitions disponible et surtout la portée des pièces contemporaines doivent pouvoir entraver la manœuvre et la logistique adverse comme le firent les artilleurs d'Algérie.

A suivre...



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