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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 11 mars 2012

Guerre en Géorgie de 2008 : que révèlent la défaite tactique géorgienne et la victoire opérative russe ?


A l’heure où le débat historico-militaire fait la part belle aux conflits asymétriques et insurrectionnels, occultant ainsi la guerre conventionnelle (voir la reléguant à un passé révolu), j’ai souhaité revenir sur les combats de 2008 en Géorgie qui ont vu s’affronter deux armées blindées-mécanisées aux équipements quasi-similaires, aux racines doctrinales identiques mais qui ont choisi de s’engager selon des niveaux de manœuvre différents.
En effet, le déroulement de cette campagne offre des enseignements intéressants sur les opérations interarmes et interarmées contemporaines, engageant des unités allant de la valeur du bataillon (ou groupement tactique) à celui de la brigade, tout en suscitant la réflexion sur des principes et des fondements majeurs de l’art de la guerre. De la même façon, les deux protagonistes envisagent leurs actions selon des modalités bien différentes, choix qui révèlent leurs atouts mais surtout leurs faiblesses structurelles ou opérationnelles, particularités qu’il s’agira de comprendre et d’identifier. En revanche, notre propos ne sera pas de revenir sur l’ensemble de la crise et ses implications géopolitiques.
Aussi, dans ce cadre, nous aborderons, dans un premier temps, le rapport de forces et la planification au début du conflit, avant de détailler les 12 premiers jours de l’engagement et enfin, de conclure sur le bilan et des réflexions tactico-opératives de portée plus larges.



Forces en présence et plans :

La montée en puissance de l’armée géorgienne.

A son arrivée au pouvoir en 2003, puis en 2008, le président géorgien Saakhachvili lance un très gros effort de modernisation et de restructuration des forces armées de son pays, comme le détaille, en particulier, le Centre d’analyse des stratégies et des technologies de Moscou en 2010. En effet, la Géorgie achète du matériel d’origine soviétique à l’Ukraine (chars T72) ou à la République tchèque mais également modernise ses équipements grâce au concours de sociétés occidentales (revalorisation des chasseurs Su25 et des hélicoptères Mi24) voire, elle investit dans de l’armement plus récent, à l’image des drones « Hermès » israélien ou des fusils d’assaut M4A3 américains. En termes de structure et d’organisation de son outil de défense, le gouvernement géorgien est tiraillé entre l’héritage soviétique, le rôle central de la garde nationale créée en 1991 lors de l’indépendance, les programmes d’aide des Etats-Unis (programme GSSOP, entraînement des unités envoyées en Irak dans le cadre de la coalition « Iraki Freedom »), l’appel à des sociétés militaires privées (MPRI, Cubic Defense applications,…) ou encore les efforts de partenariat avec l’OTAN pour envisager une intégration, à moyen terme, dans l’Alliance atlantique.
En outre, Tbilissi conceptualise sa politique de sécurité et de défense en rédigeant, entre 2005 et 2007, un « National Security Concept », un « Threat Assessment Document » et  une « Strategic Defense Review ». De la même façon, un effort de formation des cadres est réalisé, tout particulièrement chez les officiers et ce, afin de développer un continuum de formation du grade de lieutenant à celui de colonel. Néanmoins, en 2008, le nombre d’officiers subalternes est encore insuffisant dans les unités de combat et certains hauts responsables de l’armée, issus de la garde nationale, n’ont jamais reçu d’instruction militaire. C’est le cas notamment des deux adjoints de l’état-major unifié géorgien, les généraux Tatichvili et Osepaichvili. Enfin, la Géorgie cherche à mettre sur pieds une réserve entraînée, équipée et mobilisable qui doit, à terme, atteindre près de 100 000 hommes. Pour l’ensemble de ces évolutions, l’effort budgétaire militaire atteint, en 2007 et 2008, environ 8% du PIB alors que l’économie nationale souffre, par ailleurs, de nombreuses difficultés industrielles et commerciales.
En 2008, l’armée de terre géorgienne (22 000 hommes) compte donc 5 brigades d’infanterie, 1 brigade d’artillerie, 1 brigade de génie et 8 bataillons autonomes (chars, infanterie légère, transmissions, santé, NRBC, guerre électronique, défense sol-air et soutien).

Une brigade d’infanterie se compose de :
-3 bataillons d’infanterie (591 hommes chacun) sur engins blindés BMP ou camions.
-1 compagnie d’état-major.
-1 bataillon mixte (2 compagnies de chars et 1 compagnie mécanisée, soient 380 hommes, 30 T72 et 15 BMP).
-1 bataillon de soutien.
-1 bataillon d’artillerie (18 obusiers de 122mm, 12 mortiers de 120mm, 4 systèmes sol-air ZSU 23-4).
-1 compagnie de reconnaissance (8 BTR).
-1 compagnie de transmissions et 1 compagnie de génie.


L’accent est mis sur les appuis-feux et en particulier sur la brigade d’artillerie :
-1 bataillon d’obusiers de 152mm 2A65.
-1 bataillon de canons automoteurs 2S3.
-1 bataillon d’obusiers de 152mm « Dana ».
-1 batterie de canons 2S7.
-1 bataillon de lances roquettes multiples (MLRS Grad, BM21, RM70).
-1 bataillon de canons antichars.

L’armée de l’air dispose, quant à elle, de 3 escadrons d’hélicoptères (Mi8, Mi24, UH1), de drones, d’un escadron d’avions d’attaque au sol Su25 et de moyens sol-air (2 bataillons de S125M et 2 bataillons de BukM1).
La marine ne compte, pour sa part, que quelques vedettes lance-missiles et patrouilleurs en Mer Noire.
Au moment de la campagne, la 1ère brigade d’infanterie géorgienne, la mieux entraînée, est en grande partie déployée en Irak et les autres unités consacrent une grande partie de leur préparation opérationnelle à la lutte contre-insurrectionnelle, persuadées que celle-ci sera au cœur des opérations face aux miliciens sud-ossètes.

Une armée russe omniprésente.

Pour des raisons historiques et stratégiques, les troupes russes sont très présentes dans les deux républiques sécessionnistes géorgiennes que sont l’Abkhazie (1 bataillon déployé) et l’Ossétie du sud. Dans cette dernière, la Russie dispose d’un bataillon de maintien de la paix basé dans la capitale, Tskhinvali, mais faiblement pourvu (300 hommes) et peu équipé (quelques véhicules blindés d’infanterie et pas de chars). Il est en mesure de soutenir les quelques forces sud-ossètes comptant quelques centaines de combattants, 10 chars vétustes T55 et quelques pièces d’artillerie 2S3 et 2S1. En revanche, dans le Caucase, le dispositif russe est très opérationnel avec la 42ème division en Tchétchénie et des unités d’infanterie et de parachutistes (58ème armée) dans le sud de la Russie. Certes, ces forces sont aguerries mais elles sont dotées d’équipements assez anciens comme des T62 et T72, des BMP1, à l’exception de quelques Mi24 et SU 25 modernisés. En revanche, les avions de chasse, pour la supériorité aérienne, sont nombreux et la flotte de la Mer Noire (frégates et bâtiments amphibies) est en mesure d’intervenir depuis Sébastopol. Fin juillet 2008, les Russes viennent de terminer un exercice annuel « Kavkazskiiroubej 2008 » et, conscients qu’une intervention géorgienne en Ossétie est probable, laissent deux bataillons renforcés de la 19ème division d’infanterie motorisée à proximité de la frontière. En Abkhazie, après la violation de l’espace aérien par des aéronefs et des drones géorgiens, Moscou prépositionne 3 bataillons d’infanterie, 1 groupement tactique du 108ème régiment aéroporté et 2 compagnies de Spetnatz (forces spéciales). Enfin, des unités du génie réparent et entretiennent les lignes de chemins de fer en prévision d’arrivée de renforts. D’ores et déjà, l’état-major russe envisage le théâtre des opérations avec une vision opérative, prenant en compte la région dans sa globalité, montant en puissance ses unités interarmes et interarmées et anticipant les mouvements et axes logistiques stratégiques.

Les plans géorgiens.



Tbilissi veut reprendre le contrôle de la province d’Ossétie du sud et concentre son attention sur les objectifs tactiques à atteindre, prenant comme présupposition majeure que la Russie, après négociations, ne participera pas au conflit et que, l’Abkhazie, trop faible, pourra être traitée ultérieurement. L’analyse de l’ennemi ne prend donc pas en compte les troupes russes, donnant un rapport de forces favorable à la Géorgie. Celle-ci envisage une « guerre éclair » sur trois ou quatre jours alors que ses moyens aériens sont faibles, ses réserves limitées (1 bataillon de la 5ème brigade) et ses possibilités d’action dans la profondeur insuffisantes. A aucun moment, elle pense nécessaire d’intégrer la défense de son territoire dans la planification des opérations ou la couverture sol-air de ses unités de l’avant.
L’objectif de l’état-major est de détruire les forces ossètes, d’occuper la capitale Tskhinvali et de bloquer la route transcaucasienne venant de Russie. Couvert initialement par la 5ème brigade face à l’Abkhazie dans les gorges de Kodori et par la 2ème brigade basée à Senaki, le corps de bataille géorgien (12 000 soldats, 75 T72, 4 000 hommes du ministère de l’intérieur avec leurs 70 véhicules blindés légers), face à la frontière ossète, se compose de :
-La 4ème brigade, à l’ouest de Tskhinvali, doit atteindre le village de Khetagouvrovo puis Goufta pour encercler la capitale ossète.
-La 3ème brigade, à l’est, a pour objectifs les hauteurs de Priitsh puis les villages de Dmenis et de Sarabok avant de faire jonction avec la 4ème brigade à Goufta.
-C’est seulement dans un second temps que ces deux brigades sont censées s’emparer de Djava et du tunnel de Roki.
-Au centre, un groupement « ad hoc » formé de forces spéciales et d’unités du ministère de l’intérieur doit s’emparer de la capitale ossète, appuyé par un bataillon mixte et un bataillon d’infanterie légère.
-Enfin, à l’ouest, deux groupements légers sont en mesure de tenter des incursions sur les axes secondaires et en direction de Roki.
Cette planification tactique semble, d’emblée, contrainte par des objectifs à court terme, une focalisation des points clefs du terrain autour de Tskhinvali et finalement un manque de profondeur pour de manœuvrer face à un cas non conforme.

Déroulement des opérations du 1er au 12 août 2008.



Le 1er août, des accrochages sont orchestrés entre villages géorgiens et sud-ossètes et ces provocations iront crescendo jusqu’au 6 août. Les forces russes, comme prévues, prépositionnent à 30 km de la frontière ossète 1500 hommes, 14 chars T72, 16 canons 2S3 et 9 BM21.

Le 6 août, les unités géorgiennes sont mises en alerte et les deux brigades principales de l’offensive rédigent leurs ordres d’opération. Le 7 août, la mobilisation des réservistes débutent dans les villes géorgiennes, les vols de reconnaissance se multiplient, l’artillerie intensifie ses tirs (100 canons et 30 LRM) détruisant notamment les positions ossètes de Khetagouvrovo mais causant aussi de nombreuses pertes civiles. A 23h00, le déploiement géorgien est terminé face à la frontière.

Le 8 août, l’assaut est lancé, la 4ème brigade prend Khetagouvrovo et Znaour sans grande difficulté ignorant que les Russes ont lancé leur mouvement vers le tunnel de Roki avec leurs 2 bataillons (ces derniers ont pour mission de contrôler l’axe Roki-Djava-Tskhinvali en prévision de renforts à venir). Moscou met également en alerte 1 régiment d’infanterie (valeur d’une brigade de type OTAN) à Troitski, 2 régiments de fantassins et 1 régiment d’artillerie en Tchétchénie ainsi que des unités parachutistes.
En conduite, le commandement géorgien, craignant finalement de ne pas disposer de suffisamment de troupes, demande, dans l’urgence, à la 2ème brigade de quitter sa position de couverture face à l’Abkhazie pour se porter vers l’Ossétie.
La 3ème brigade géorgienne, de son côté, est ralentie par des résistances ossètes à Dmenis et Sarabouki pendant que l’assaut sur Tskhinvali, peu efficace, prend une nouvelle dimension avec l’attaque du camp du bataillon russe de maintien de la paix (pris sous un feu nourri) mais qui fixe de nombreux moyens géorgiens. Quatre avions SU25 géorgiens, tentent de ralentir les colonnes russes sortant du tunnel de Roki à hauteur du pont de Goufta mais sans résultats.
Alors que les forces de Géorgie ne contrôlent que 30% de Tskhinvali, dans l’après-midi, débute l’action aérienne russe, notamment contre la 4ème brigade dont le 42ème bataillon subit de lourdes pertes (20 morts et une centaine de blessés) et quitte ses positions dans la panique. Ceci entraîne un effondrement général géorgien dont les unités battent en retraite vers la frontière sans coordination. De plus, les hélicoptères de Tbilissi sont cloués au sol par les chasseurs russes et les unités de Moscou peuvent s’emparer des villages abandonnés par leurs adversaires.
L’armée géorgienne, renforcée par la 2ème brigade arrivée en renfort, planifie alors une contre-attaque pendant que la Russie transfert en Abkhazie 3 groupements tactiques parachutistes dont un par voie maritime.

Le 9 août, tôt le matin, les tirs d’artillerie géorgiens reprennent violemment puis l’assaut est relancé avec la 2ème brigade vers Khetagouvrovo, des bataillons vers Znaour et Tskhinvali, et la 3ème brigade en direction de Dmenis et Tliakan. Les aéronefs russes bombardent le territoire géorgien (100 bombes de 250 kg tirées) mais sont surpris par la défense sol-air et perdent trois avions. Ils visent notamment l’infrastructure militaire de la Géorgie mais aussi les centres de regroupement de réservistes afin de ralentir, voire interrompre, la mobilisation de cette force d’appoint sur le moyen terme.
Des Spetnatz sont envoyés dans le camp russe de Tskhinvali pour renforcer la faible garnison et guider les tirs d’artillerie. Celle-ci est l’objet d’un duel violent entre les deux protagonistes mais permet aux bataillons russes d’exploiter leur progression vers la capitale ossète. Du fait de cette action (et aux 28 missions air-sol russes), les unités géorgiennes subissent de lourdes pertes et battent en retraite vers 17h00, l’attaque est un échec.
Moscou, sentant que son contingent prend l’initiative, décide de donner une nouvelle dimension aux opérations et lance des missiles sur les voies de chemin de fer, la base navale géorgienne de Poti, les navires adverses et les centres de communication. Les troupes abkhazes, appuyées par les Russes, attaquent les éléments géorgiens dans les gorges de Kodori alors que les Russes débarquent 600 hommes et 120 engins sur les côtes.

Le 10 août, les éléments de la 42ème division russe de Tchétchénie arrivent en Ossétie après un mouvement de 300 km et participent au nettoyage des poches de résistance géorgiennes encore présentes à Tskhinvali. La Russie dispose maintenant de 10 000 hommes, de 10 hélicoptères de combat et frappe continuellement la Géorgie (missiles antiradars, harcèlement des axes, bombardement des centres de mobilisation). Le repli géorgien se fait dans la confusion et l’état-major ne peut compter que sur son artillerie pour appuyer le repli des brigades (incapables de se mettre en défense ferme sur la frontière). En Abkhazie, les Russes peuvent maintenant compter sur les 9 000 hommes et 330 blindés légers de 7ème division aéroportée arrivée en urgence.

Le 11 août, la Russie achève la conquête de la supériorité aérienne (pistes, aéronefs, batteries sol-air, postes de commandement) et lance une attaque au sol à partir de l’Ossétie du sud avec le 70ème régiment de fusillés et 1 bataillon parachutiste. Cette offensive permet aux Russes de s’enfoncer de 15 km en Géorgie dont les unités se replient vers Gori et Tbilissi. La brigade géorgienne en position dans les gorges de Kodori, encerclée, rend les armes alors que les troupes russes, franchissant la frontière abkhaze, s’emparent de Poti et de Senaki sans rencontrer de résistances.

Le 12 août, les Géorgiens mettent en place une ligne de défense devant Tbilissi, les Russes atteignent Variani et tombent en garde pour conforter leurs différents gains territoriaux afin de débuter les négociations en position de force. Les combats sont terminés, les diplomates prennent le relais jusqu’au retrait négocié.

Bilan et analyse des manœuvres conduites.

Cette confrontation conventionnelle s’achève rapidement et paraît d’une grande violence et d’une forte intensité dans un laps de temps très court. Pourtant, le bilan des pertes s’avère surprenant. Si les troupes géorgiennes comptent 170 morts et plusieurs centaines de blessés, la Russie ne déplore que 67 morts au combat et un nombre inconnu de blessés. Au final, peu de matériels majeurs ont été détruits des deux côtés, peu d’artillerie neutralisée (2 canons « Dana » détruits » et 20 pièces de 122mm abandonnées par la Géorgie), quelques chars de bataille perdus (10 T72 géorgiens détruits et 4 capturés) ainsi que quelques aéronefs (6 appareils russes, 4 hélicoptères et 2 avions de transport géorgiens). Il semble bien que l’effondrement et l’échec des troupes de Géorgie soit donc davantage psychologique que physique.
Aussi, cherchons à déterminer ce que dissimule ce constat. Du côté géorgien, on peut noter une vision tactique aveuglante qui bâtit une manœuvre sans profondeur et peu soucieuse de saisir les points clés du terrain. Il y a clairement des erreurs dans la conception du plan et les choix militaires. L’absence de défense sol-air de l’avant, une confiance trop forte dans l’action de l’artillerie (souvent peu précise) et un effort non consenti pour s’emparer du tunnel de Roki et des axes principaux (centre de gravité terrain non identifié) privent la Géorgie de sa liberté d’action. Pour relancer l’offensive, la réserve géorgienne est trop faible et l’arrivée tardive (et non prévue) de la 2ème brigade laisse aux Russes le temps nécessaire pour renforcer son dispositif. Concentré sur son objectif ossète, Tbilissi n’envisage pas l’intervention russe, en particulier aérienne et navale (neutralisation des avions et des hélicoptères d’appui au sol), retire prématurément l’élément de couverture face à l’Abkhazie et engage des unités à la préparation ou à la force morale peu performantes (malgré des moyens techniques conséquents et de bonne qualité). Les unités du ministère de l’intérieur, ainsi que les moyens militaires dévolus à la prise de Tskhinvali, ne sont pas suffisants et incapables de contrôler la ville tout en se laissant fixer par le camp russe du bataillon de maintien de la paix (pourtant faiblement défendu) et dont l’action a été sous-estimée.
La Russie a compris, quant à elle, que cette campagne avait une dimension opérative indéniable et décide de rapidement concentrer ses efforts par une « ubiquité » de son action (attaque depuis l’Ossétie, depuis l’Abkhazie et frappes aériennes en Géorgie). Sur le plan opératif, l’armée russe, souvent critiquée, arrive à projeter par terre, par air et par mer près de 20 000 hommes en quelques jours. Une action amphibie de la flotte de la Mer Noire profite de l’abandon de la couverture ouest, dévolue à la 2ème brigade géorgienne, et les avions russes frappent les infrastructures militaires de la Géorgie ainsi que les points de regroupement des réservistes de Tbilissi. D’un point de vue tactique, les Russes, malgré des moyens faibles (deux bataillons) s’engagent en Ossétie pour s’emparer, par un raid, des points clefs du terrain, et en particulier d’un axe d’attaque favorable pour le second échelon qui suit. L’effet majeur tactique est atteint en moins de 24 heures. Le point de fixation de Tskhinvali est renforcé et permet d’appliquer des tirs d’artillerie précis en complément de l’action aérienne. Plus tard, les Russes exploitent la retraite géorgienne et s’enfonce sur le territoire adverse, y compris depuis l’Abkhazie. En revanche, cette efficacité cache de graves dysfonctionnements. En effet, sur les 6 avions russes abattus, 3 sont le fait de tirs fratricides et il faudra de nombreuses bombes pour permettre une réelle efficacité des bombardements. Les pertes sont dues, pour près de la moitié, à des accidents de la circulation ou à des erreurs de manipulations des armes, ce qui montre un manque d’entraînement du soldat russe, pourtant professionnel. Enfin, lors des combats de rencontre, l’attitude des troupes laisse parfois à désirer (manque de reconnaissances, combativité) conduisant à la mort du général commandant la 58ème armée arrivé sans protection en première ligne ou imposant l’intervention des forces spéciales (Spetnatz du bataillon Vostok) pour rétablir la situation. Enfin, de nombreuses pannes et l’absence d’unités d’appui au mouvement ralentiront considérablement les colonnes russes, heureusement protégées par la chasse qui a conquis très tôt la supériorité aérienne.

Pour conclure, il paraissait intéressant de revenir sur cette guerre de 2008, combat conventionnel régional, dissymétrique certes, mais riche en enseignements tactico-opératifs. On constate que la vision russe élargie a permis de supplanter la tentative de « guerre éclair » géorgienne, mal planifiée, conduite selon des lignes d’opération étriquées et déséquilibrées. Derrière les manœuvres des acteurs se cachent des faiblesses et des atouts plus ou moins exploités par l’adversaire mais qui permettent, au final la victoire des forces russes. Ces dernières, pétries de leur culture ou de leur doctrine opérative, ont démontré qu’elles étaient capables d’opérations et de projections d’envergure interarmes et interarmées et d’actions tactiques efficaces.

Frédéric Jordan
Sources : « Les chars d’août » de Rouslan Poukhov, 2010, « Les cahiers Thucidyde n° 9 », 2010, « L’armée de terre russe en Géorgie, vers l’efficacité retrouvée. » Laurent Touchard, 2008.
Source image : courrier international.

2 commentaires:

  1. Je signale une erreur de date sur le titre d'un paragraphe. Le déroulement des opérations en 2012...

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