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lundi 23 juillet 2012

Troupes aéroportées ou comment cloisonner le terrain.



L’opération « Overlord » et l’utilisation des parachutistes dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 nous permet d’aborder le principe de liberté d’action et, en particulier, le procédé qui consiste à cloisonner la zone d’engagement pour y manœuvrer selon le mode d’action choisi. En outre, le document de référence doctrinal français « TTA 106 » définit le « cloisonnement » comme une action de feux visant à interdire les communications ennemies entre deux zones du champ de bataille et le terme « cloisonner » comme un effet tactique visant à désorganiser l’action adverse en dissociant par les feux, des obstacles et des actions de choc son échelon de contact, de soutien ou ses voisins. On comprend donc aisément le choix du général Eisenhower d’employer 3 divisions aéroportées et une brigade de commandos pour préparer le débarquement en Normandie, favoriser l’exploitation de l’action amphibie et modeler la réaction allemande.
Au regard des évènements, l’emploi des parachutistes pour cette bataille s’est avéré décisif mais il a également été une source de frictions imprévues (favorables ou non) alors que ses enseignements ont été et sont encore parfois mal interprétés.
Aussi verrons-nous quels furent les objectifs et l’impact réel de ce choix tactique en 1944 avant de nous interroger sur l’emploi des unités aéroportées hier et aujourd’hui.


 

La nuit des parachutistes, juin 1944.
Le plan d’Eisenhower fait intervenir l’engagement des troupes aéroportées quelques heures avant le débarquement pour engager le combat, saisir des objectifs vitaux (batteries côtières, ponts), désorganiser les lignes de communication allemandes (lignes d’opérations selon Napoléon ou Jomini), contrôler les axes principaux mais aussi saisir l’initiative et prendre l’ascendant sur les Allemands et ce, avant l’effort allié.
Ainsi, la 6ème division parachutiste britannique du général Gale doit s’emparer du pont (Pegasus Bridge) de Benouville sur l’Orne ainsi que du pont qui le prolonge sur le canal de Caen, prendre la batterie de Merville (qui menace la plage Sword beach avec ses canons) et détruire 5 sites de franchissement sur la Dives, en mesure de couvrir les opérations amphibies face à l’est. Si la saisie de Pegasus Bridge est réalisée sans grandes difficultés dès 00h20, des erreurs de largage, dues aux problèmes de visibilité ou à l’absence de balisage de certains Pathfinders (ces éclaireurs ayant atterris trop loin des zones prévues), éparpillent les parachutistes canadiens et britanniques qui mettront plusieurs heures pour se regrouper, s’orienter et finalement remplir leur mission (avec 60 soldats, le commandant Roseveare devra parcourir 10 km de nuit pour faire sauter le pont entre Troarn et St Samson sur la route nationale 815). Il en va de même pour le lieutenant-colonel Otway qui doit faire taire la batterie de Merville  et qui a, pour ce faire, réalisé de nombreuses répétitions en Angleterre avec son bataillon afin de fixer les moindres détails. Malheureusement, le jour J, il ne peut compter que sur 150 des 750 combattants de son unité dont la plupart s'est posée à près de 50 km de l’objectif ou s'est noyée dans les marais inondés. Après avoir dû adapter son mode d’action à ses ressources (1 seule mitrailleuse), il lance l’assaut à 04h30 et bouscule l’ennemi pour conquérir la place malgré de nombreuses pertes. La division britannique a ainsi rempli sa mission malgré l’imprévu et les frictions du moment.
A l’ouest, les Américains de la 101ème division aéroportée du général Taylor et de la 82ème division aéroportée du général Ridgway sont engagés dans la région de Carentan pour couvrir le flanc droit du débarquement. Subissant les mêmes aléas dans le largage que leurs camarades alliés, les combattants sont terriblement dispersés et se perdent dans le pays de bocage ou les plaines marécageuses (à titre d’exemple, la 101ème division est éparpillée dans un rectangle de 40 km sur 25 km). Les actions se font dans le désordre le plus total au gré des combats de rencontre et des initiatives de gradés ou de jeunes officiers. Des villages et des carrefours importants sont saisis dans la hâte à l’image de Sainte Mère-Eglise capturée au matin du 6 juin alors que dans la nuit la vingtaine de parachutistes tombés sur le site par erreur a été tuée ou capturée par les Allemands. Ces derniers, à l’image de la 709ème division d’infanterie, sont souvent paniqués par la présence de ces groupes de combattants qui mènent le coup de feu partout et nulle part à la fois. De la même façon, par le plus grand hasard, un groupe de soldats américains intercepte par hasard la voiture du général Falley qui commande la 91ème division d’infanterie (une des meilleures unités allemandes de la région) revenant d’un « Kriegspiel [i]» à Rennes et le tue, privant son unité de son chef pour préparer une contre-attaque efficace. Ces parachutistes feront rapidement jonction avec les hommes débarqués le 6 juin matin sur « Utah beach ». Une fois de plus, les frictions du champ de bataille ont tourné finalement à l’avantage des parachutistes permettant de cloisonner le théâtre des opérations et de désorganiser la réaction ennemie qui demeure longuement dans l’expectative (crainte d’une diversion, manque de renseignements pour localiser l’effort allié,…) et peine à faire venir des renforts vers les plages.
 
Quelques enseignements à chaud.

Malgré un entraînement poussé, des renseignements abondants (photos aériennes, cartes,..) et la maîtrise du ciel, les parachutistes alliés se voient confrontés à des frictions importantes (erreurs de largage, dispersion, blessés, difficultés de coordination,…) qui auraient pu remettre en question leur mission. Cet écueil a été dépassé grâce aux initiatives individuelles ainsi qu’à la souplesse d’emploi de ces unités légères aguerries mais également, grâce à la proximité des unités aéroportées avec les sites de débarquement. En effet, le matériel lourd (canons, jeeps, moyens antichars, transmissions, munitions,…) arrive par planeurs mais une grande partie se "crashe" à l’atterrissage ou se perd dans la campagne normande. Il aurait été difficile à ces unités de cloisonner le terrain et de couvrir l’action principale dans la durée ou face à une contre-offensive blindée sérieuse, sans l’arrivée du gros des troupes terrestres.
Le cloisonnement du champ de bataille a empêché les Allemands d’acheminer des renforts ou de préserver les axes principaux de la région leur garantissant liberté d’action et capacité à concentrer un effort en direction des plages avec, en particulier, les unités de panzers. L’éparpillement involontaire des parachutistes alliés a généré de grosses difficultés au sein des états-majors de la 7ème armée allemande incapable de mener une appréciation de situation claire ou de déterminer le mode d’action adverse. La perte de points d’appui importants comme la batterie de Merville, ou les faiblesses du commandement (mort d’officiers généraux, coupures des liaisons par la résistance) ont été des amplificateurs de frictions et ont opacifié un peu plus le "brouillard de la guerre" pour l’occupant privé de renseignements fiables.

Des leçons pas toujours exploitées hier comme aujourd’hui.

Si cette opération aéroportée a été la première d’une si grande envergure, malgré l’expérience sicilienne (voir notre article sur l’opération Husky), l’état-major allié n’a pas tiré toutes les leçons de cet assaut par la troisième dimension. En effet, lors des combats de « Market Garden », aux Pays-Bas en septembre 1944, les unités de paras seront envoyées pour saisir les ponts sur près de 107 km de profondeur jusqu’à Arnhem avant d’être relevées par les divisions mécanisées arrivant par la route. Malheureusement, privés de moyens lourds et de logistique, les soldats britanniques de la 1ère division aéroportée seront écrasés à Arnhem par le 2ème Panzer Korps allemand. Dans cette action, les parachutistes ne sont employés que pour saisir des points en avant, sans idée de cloisonnement ou de couverture du corps de bataille principal. Ils sont trop éloignés des renforts et des lignes d’approvisionnement, n’ont que de faibles appuis et des moyens de C2 (command and control) inadaptés.
Par ailleurs, en Indochine, si des unités parachutistes ont pu, avec difficulté, jalonner le Vietminh lors de la bataille de Na San en 1952 (voir notre article), à Dien Bien Phû, ces éléments de renseignement et de couverture étaient absents.
De la même façon, les troupes indiennes, en 1972, lors de la création du Bengladesh face au Pakistan, déploient uniquement une brigade aéroportée, au risque de l’isoler, pour s’emparer d’un pont sur la route de Dacca et ce, afin de priver les Pakistanais d’un axe de retraite. Aujourd’hui encore, dans la doctrine française sur les actions aéroportées (PIA 03-231), les termes de cloisonnement ou de cloisonner sont absents de la réflexion tactique de ce domaine. Alors que de nos jours, de nombreuses missions nécessitent de contrôler le terrain rapidement pour prendre l’ascendant sur des adversaires asymétriques et mobiles, il serait intéressant de réfléchir et de débattre sur l’emploi des unités parachutistes pour refermer des nasses ou priver l’ennemi de sa liberté d’action et de mouvement. De tels modes d’action avaient pourtant été expérimentés en Algérie grâce à l’utilisation nouvelle de l’hélicoptère.

Vos commentaires sont donc les bienvenus.

Frédéric JORDAN





[i] Exercice sur carte d’état-major.

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