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lundi 2 juin 2014

Un roman passionnant sur la guerre du Vietnam : Retour à Matterhorn.




Dans ce roman paru en 2012 à redécouvrir, Karl Marlantes, vétéran de la guerre du Vietnam où il a servi comme lieutenant en 1969, nous offre une vision sans concession mais d'un grand réalisme sur ce conflit qualifié aujourd'hui d'asymétrique. En effet, au delà du romanesque haletant qui rythme son livre au travers de missions et de personnages fictifs, l'auteur décrit avec précision les actions de combat, la vie d'une unité isolée ainsi que le quotidien des soldats américains. Cette lecture permet donc de revenir sur des enseignements tactiques mais aussi politico-militaires de ce type d'opérations de contre-rébellion dans des milieux contraignants.

L'auteur relate sur plusieurs semaines la vie d'une compagnie d'infanterie du corps des Marines engagée entre la zone démilitarisée et la frontière laotienne, dans une région accidentée, à des altitudes importantes et sur des collines couvertes d'une jungle impénétrable.
L'unité, au cours de son périple, va devoir s'emparer d'une position nommée Matterhorn, la déboiser, la transformer en "Fire support base" puis l'abandonner avant de recevoir l'ordre de la reconquérir alors qu'un régiment nord-vietnamien s'y est retranché. Au delà de ces actions tactiques et de ce huis-clos avec la guerre, Marlantes détaille plus largement les terribles conditions de vie des marines, l'équipement inadapté, un commandement éloigné des réalités du terrain, un renseignement défaillant mais surtout une fraternité d'armes et un courage permettant d'atteindre les objectifs fixés.
L'auteur met l'accent sur la difficulté, pour les unités conventionnelles, de mener des patrouilles face à un adversaire irrégulier connaissant la zone (topographie, camouflage), au milieu d'une forêt inhospitalière mais aussi sur un terrain difficile (brumes, humidité, maladies, sangsues, chaleur,...). La section qui est au cœur du roman cherche alors, pour s'adapter à son ennemi, à mener des embuscades pour le surprendre en pleine nuit ou à mener des reconnaissances profondes avec des patrouilles légères et discrètes (afin de détecter les mouvements vietnamiens ou leurs axes de ravitaillement).
L'hélicoptère, comme les appuis aériens d'ailleurs. se révèlent indispensables pour approvisionner les forces, assurer leur mobilité, appuyer les assauts ou évacuer les blessés. Néanmoins, ils ont également leurs limites du fait des conditions météorologiques extrêmes ou des armements utilisés face à eux comme, par exemple, les mitrailleuses lourdes positionnées sur les hauteurs. L'artillerie permet alors de palier ces défaillances à partir de positions d'appui feux de circonstance (canons de 105 et de 155mm) qui ne sont pas toujours à portée de tir mais demeurent la planche de salut des unités d'infanterie.
 
 
L'ennemi, quant à lui, s'adapte rapidement à la manœuvre américaine, cherchant l'opportunité de la prendre de vitesse, de s'engouffrer dans les brèches du combat lacunaire puis de le fixer avant de s'exfiltrer dès que le rapport de forces s'inverse (en n'oubliant pas d'emporter ses morts).
 
Les choix politiques contraignent également la force, Washington refusant d'intervenir au delà de la frontière laotienne où les nord-Vietnamiens établissent leurs sanctuaires et leurs bases arrières. Quant au commandement, il est obnubilé par le décompte des pertes adverses aléatoires et sans effets concrets, une méthode d'élaboration des ordres fondée uniquement sur une étude des cartes sans prise en compte du facteur humain ou de la spécificité de la zone d'engagement (dénivelé, végétation, coupures humides,...) . Il y a une réelle fracture entre la manœuvre de la grande unité (régiment équivalent à une brigade contemporaine cherchant un encerclement d'envergure) et l'action tactique des compagnies qui doivent mener des assauts meurtriers répétés, de jour comme de nuit, pour s'emparer des positions valorisées par l'ennemi.
Les succès tactiques ne permettent pas de renverser  le rapport de force stratégique du fait d'un manque de cohérence d'ensemble et de choix militaires décorelés de l'état final recherché par le niveau politique. D'ailleurs, les combattants américains, reflets de la société de l'époque (revendications des noirs américains, lutte des classes, pacifisme,...) finissent par ne plus cerner le sens de leur mission, privilégiant la camaraderie et le respect mutuel pour poursuivre la guerre. Les jeunes recrues s'aguerrissent  progressivement même si la rusticité de cet engagement asiatique affaiblit chaque jour davantage les organismes, le moral et la discipline des hommes sans que ne soient trouvés des solutions pour soutenir efficacement le combattant tant physiquement que psychologiquement.
L'auteur met toutefois l'accent sur la recherche du meilleur dispositif pour réduire les points d'appui vietnamiens mais aussi sur la violence du corps à corps, les blessés (physiques ou psychologiques), les actes de bravoure individuels comme la force du collectif permettant de dépasser les pertes et la fatigue.
En bref, au delà du plaisir de la lecture avec un roman passionnant et bien écrit, ce livre apporte une caisse de résonnance intéressante pour mettre en perspective les enseignements et les réflexions développées ces dernières années sur la conduite des opérations de contre-insurrection ou de contre-rébellion.
A lire ou à relire...
 
Frédéric Jordan
 
 
 


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