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mercredi 9 juillet 2014

Le camp Saint-Sébastien : quand l'entraînement assure le succès des campagnes.

 
En 2012, alors que débutent des travaux pour une nouvelle station d'épuration dans l'ouest parisien, l'INRAP met au jour, à quelques lieux de Saint-Germain en Laye, les vestiges d'un camp du XVIIème siècle dont les fossés sont parfaitement conservés.
Il s'avère rapidement qu'il s'agit, non pas d'un ouvrage défensif, mais d'un site d'entraînement près d'Achêres nommé, dans les archives, camp Saint-Sébastien. Il démontre la volonté du roi, Louis XIV, de former, d'aguerrir et d'entraîner son armée avant les difficiles campagnes de son époque, particulièrement celles qui seront rythmées par de longs sièges.
Cet épisode, replacé dans une perspective historique et contemporaine, met en exergue la nécessité, pour des unités militaires, d'entretenir leurs savoir-faire pour la guerre mais aussi de se préparer à "une guerre" spécifique à un moment, un terrain, un milieu voire à une tactique  bien déterminée.


Le camp Saint-Sébastien a ainsi révélé ses secrets au cours des 10 mois de fouilles. Louis XIV a supervisé la construction de ce camp qui a été bâti en 1669 puis agrandi l'année suivante. Il pouvait accueillir entre 15 et 20 000 hommes avec chevaux, pièces d'artillerie ainsi que le soutien nécessaire à l'entretien de cette troupe de métier. Les hommes s'entraînent dans des conditions réalistes puisque que le fort, dont les fossés (7 m de large sur 3 m de profondeur) sont construits en argile crue (pour amortir le choc des boulets), dispose de bastions d'angle puissants, de redents pour protéger les portes mais également d'escarpes solidement réalisées. Les compagnies royales s'exercent donc dans des conditions réalistes pour s'emparer des ouvrages et ce, en utilisant l'art de la poliorcétique de Vauban. Ce dernier a, en effet, dès cette époque, modélisé son dispositif de tranchées parallèles reliées par des boyaux en zigzag permettant l'approche des remparts à l'abri des tirs défensifs, tout comme la mise en batterie de pièce sensées ouvrir les brèches dans les murs.
 
 
A Saint-Sébastien, l'INRAP a d'ailleurs découvert une série de tranchées de ce type construites, probablement, pour les besoins de l'instruction. Le roi, qui vit alors au château de Saint-Germain, peut alors se rendre sur place pour inspecter ses troupes, donner ses consignes ou assister à des assauts fictifs. Il a parfaitement compris l'importance que revêt ce que l'on nomme aujourd'hui la préparation opérationnelle voire la mise en condition avant la projection adaptées au théâtre d'opérations choisi. Aussi, quand il s'engagera contre les Hollandais en 1673, il remportera de rapides victoires, évitant de longs, coûteux et épuisants sièges comme à Maastricht, forteresse réputée puissante mais conquise en moins d'un mois par les Français (à noter que le célèbre et véritable D'Artagnan y est tué lors d'un assaut comme on peut le voir dans l'exposition en cours aux Invalides).
De tous temps, l'entraînement, mais aussi l'exploitation du retour d'expérience, ont été des préoccupations des combattants les plus efficaces. Les Romains, par exemple, homogénéisent l'équipement des légions et profitent souvent des quartiers d'hiver pour parfaire l'instruction ainsi que les divers déploiements qui font leur force (tortue, mouvement en damier, ...). Plus tard, face à la menace barbare, ils adaptent l'organisation des détachements en campagne en se constituant des unités de cavalerie légères plus mobiles et puissamment armées. Au Moyen Age, les joutes, au delà de leur rôle social, sont des camps d'entraînement pour la chevalerie française même si la noblesse ne verra pas venir l'avènement de l'arc et les hécatombes de la première moitié de la guerre de cent ans. Pendant la Renaissance, la faiblesse des effectifs et la quasi absence d'une armée permanente favorisent l'emploi de mercenaires peu disciplinés mais parfaitement entraînés car aguerris. Progressivement les monarques vont tenter de maintenir, entre deux conflits, des périodes consacrées à l'entraînement, d'abord en bâtissant des casernes puis en généralisant l'exercice régulier mais aussi en créant des écoles spécialisées (écoles spéciale militaire de Saint Cyr en 1802 par Napoléon). Néanmoins, l'entraînement doit être conforme aux attendus de la mission. Ceci a pour but d'éviter les désillusions en opérations, à l'instar de la catastrophique campagne de Crimée de 1853 à 1856 pour laquelle les troupes françaises, entraînées au camp de Boulogne sur des schémas tactiques et un terrain sans lien avec la réalités des combats autour de Sébastopol, ont subi de lourds revers. Les camps et centres de préparation sont aussi l'occasion pour les chefs militaires d'évaluer le niveau de leurs hommes. Dans ce cadre, le général Joffre, lors des grandes manœuvres de 1913 découvrent les graves carences de ses corps d'armée et tentent, avec difficulté, en quelques mois, de promouvoir de nouveaux généraux et de modifier la doctrine d'emploi des grandes unités. En plein conflit mondial, le général Pétain, quant à lui, imposera d'ailleurs, à partir de 1917, des passages obligés dans des camps de l'arrière pour former les régiments à l'emploi des nouvelles armes (fusil Chauchat, lance grenades, chars, ...) ou des nouvelles articulations (groupes de combat), préparant ainsi le succès des offensives de 1918.
Aujourd'hui encore, même si l'armée française est très largement engagée sur divers théâtres d'opérations, elle a su se constituer, sous l'égide du commandement des centres de préparation des forces (CCPF), une politique d'entraînement de qualité. Les hommes et les matériels peuvent ainsi se préparer, au CENTAC (centre d'entraînement au combat) ou au CENZUB (centre d'entraînement en zone urbaine) par exemple à un engagement conventionnel générique mais aussi s'instruire en vue d'un déploiement particulier (formation à la lutte contre les IED, aguerrissement en montagne,...).
 
 
 
Pour conclure, la découverte du camp Saint-Sébastien démontre la nécessité ancienne et actuelle de ne jamais négliger l'entraînement et la préparation d'une armée et ce, quel qu'en soient les raisons, afin de préserver la capacité de remporter, le moment venu, la victoire sur l'adversaire connu ou émergent. Louis XIV avait donné les moyens à ses hommes de vaincre et il avait donc compris ce que Jomini, plus d'un siècle plus tard, allait écrire : "un gouvernement qui néglige son armée, sous quelque prétexte que ce soit est coupable aux yeux de la postérité " (Précis de l'art de la guerre - 1837).
 
Sources images :
-INRAP
-ECPAD
 
 

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