Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 23 avril 2016

Mission militaire au Hedjaz : présentation au ministre de la défense de l’exposition à Amman en Jordanie.


Le 19 avril 2016, à Amman en Jordanie, j’ai eu la fierté et l’honneur de commenter au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, pendant près d’une heure, l’exposition consacrée à la participation française à la révolte arabe du Hedjaz de 1916 à 1918. A l’occasion de cette inauguration à la « Jordan National Gallery » étaient également présents le prince Fayçal frère du Roi, le chef d’état-major des armées jordaniens, le général El Zaben, ainsi que de nombreuses personnalités jordaniennes et françaises provenant des équipes gouvernementales respectives (culture et défense) ou de la sphère civile comme monsieur Ladreit de la Cherrière ou la journaliste Sonia Mabrouk.
Il s’agissait, devant près d’une cinquantaine de photographies inédites issues de fonds privés français et jordaniens comme de l’ECPAD, de revenir sur le bien mal connu engagement de soldats venus de France pour soutenir et appuyer les forces du chérif Hussein Ibn Ali en lutte contre l’Empire ottoman sur les territoires actuels de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie et de la Syrie.
Revenons donc, comme je l’ai fait, sur la chronologie des évènements avant d'aborder, dans de prochains articles, les personnalités et les enseignements tactiques en lien avec ce théâtre d’opérations.


Quand le chérif Hussein lance la révolte en juin 1916, il n’est pas suivi par tous. En effet, si les tribus des Harb le rejoignent et que Said Idriss combat les Turcs en Assir, l’émir Ibn Rachid du Chammar (NE du Hedjaz), l’imam Yahia au Yémen et dans l’Hadramaout demeurent fidèles à Istambul. Ibn Séoud annonce soutenir la révolte mais demeure passif militairement (avant de trahir le chérif en 1919). Enfin, les tribus du Hedjaz des côtes de la Mer Rouge  ou plus au nord comme les Djueiney, les Haweitat, les Anezeh et les Beni-Sakher sont contraintes d’attendre une aide extérieure du fait de la pression exercée par les puissantes garnisons turques.


Les premières opérations chérifiennes à l’été 1916 sont des échecs ou très difficiles comme l’assaut raté sur Djeddah de l’émir Mansour à la tête de ses 3500 bédouins lancé le 14 juin. Les troupes de Hussein sont en effet peu disciplinées, mal équipées, sans capacité d’appui de type artillerie et sans état-major organisé. Il faut finalement l’engagement de croiseurs britanniques et de quelques canons servis par les 15 officiers et 250 soldats de sa gracieuse majesté pour permettre à la révolte arabe de s’emparer des ports de Yanbo et Rabeigh ou de la ville d’El Taif. C’est dans ce contexte que le président du conseil, Aristide Briand, décide, le 2 août 1916, d’envoyer en Egypte et au Hedjaz une mission militaire française aux ordres du colonel Brémond, d’abord constituée de 12 officiers et 48 sous-officiers et hommes de troupes avec quelques vieux canons de 80mm (modèle 1877) et 2400 fusils (pour équiper les premiers soldats réguliers chériféens). Ils sont pour la plupart musulmans, affectés dans des unités nord-africaines et ce, afin de pouvoir fouler les terres sacrées de l’Islam (entre Médine et La Mecque) et mieux s’intégrer au sein des troupes bédouines commandées par les 4 fils de Hussein : Fayçal, Abdallah, Ali et Zeid.



Sur le terrain, la situation devient encore plus critique pour la révolte, une partie de la puissante garnison ottomane de Médine, soient 17 000 hommes, marche vers Rabeigh et La Mecque pour mater la rébellion. Hussein envoie ses fils et  10 000 fusils pour freiner l’ennemi. Les Britanniques et les Français sont très inquiets et envisagent deux modes d’action. Celui soutenu par le colonel Brémond consisterait à débarquer plusieurs brigades franco-britanniques pour contre-attaquer à partir des rivages de la Mer Rouge. A l’opposé, l’idéaliste capitaine T.E. Lawrence souhaite que les conseillers occidentaux soient plus nombreux mais ne jouent qu’un rôle d’assistance auprès des Arabes dans leur combat pour se libérer. C’est Lawrence d’Arabie qui remporte la décision et, alors que les Turcs font finalement demi-tour vers Médine, Londres et Paris décident de renforcer leurs détachements d’assistance militaire opérationnelle pour utiliser un terme contemporain. La mission du colonel Brémond se voit ainsi doter à l’automne de 42 cadres, 983 hommes de troupe et 396 animaux de bât. Ils sont répartis dans 8 sections de mitrailleuses, 1 section d’artillerie de montagne, une batterie d’artillerie de campagne, des détachements de génie mais aussi des capacités de soutien (médecins, infirmiers, boulangerie de campagne, train d’artillerie) et même des moyens de transmissions (TSF et téléphonie).



Les franco-britanniques ont identifié le chemin de fer du Hedjaz comme étant le centre de gravité ottoman. Ce cordon ombilical de 1320 km construit entre 1900 et 1908 sous la supervision de l’ingénieur allemand August Meissner, permet, avec sa cinquantaine de locomotives, ses 270 wagons de voyageurs et plus de 1000 wagons de marchandises, de transporter entre Damas et Médine troupes, équipements comme pèlerins (27 000 en 1912). C’est aussi un véritable outil d’intégration pour la « Sublime Porte » et un outil de « Soft power ». Les Bédouins ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en s’opposant à son prolongement au sud de Médine (où beaucoup de matériaux sont ainsi stockés et permettront aux Turcs de réparer la voie ferrée endommagée par les Chériféens). Cette approche indirecte si chère à Liddell Hart va se concrétiser par des coups de main, des attaques de harcèlement, des sabotages menés par les militaires occidentaux aux côtés des forces arabes. L’objectif est d’affaiblir les lignes de communication turques en coupant les voies, en détruisant les ponts, en s’emparant des trains (la garnison de Médine est ravitaillée par un train tous les deux jours) ou des postes fortifiés qui jalonnent le tracé ferroviaire.



Si le premier minage est conduit à Touéra en février 1917 par Lawrence, des bédouins et un officier français (l’officier britannique évoque parfois la présence des Français dans les « 7 piliers de la sagesse » mais oublie bien souvent de décrire leurs faits d’armes…). D’avril à novembre 1917, des détachements français sont ainsi insérés dans les armées des fils du chérif afin d’apporter leur expertise génie, leurs connaissances tactiques ou la puissance des feux indirects. Il y a une véritable complémentarité entre les hommes de Brémond rompus au combat conventionnel et les Bédouins qui connaissent le terrain, résistent à la fatigue dans un milieu exigeant et savent jouer de la mobilité. On ne compte plus les manœuvres des unités (souvent 50 hommes) des lieutenants Zémori et Kernag avec la colonne Ali, de l’adjudant Lamotte avec Fayçal, du maréchal des logis Prost et du capitaine Raho avec Abdallah, du capitaine Depui ou du sergent Azoug. A titre d’exemple, le capitaine Mohamed Ould Ali Raho (officier français des Spahis algériens) fera, du 6 au 12 octobre, 340 km de désert pour combattre les troupes ottomanes avec 46 de ses hommes et 200 bédouins. Il s’emparera des postes d’Abou Naam et Istabel Antar. Le capitaine Pisani, quant à lui, artilleur, pourra mettre en avant un bilan élogieux pour 1917 : 2 trains capturés, plusieurs kilomètres de voie ferrée détruits, 550 Turcs blessés ou tués, 1000 prisonniers, 1000 fusils, 4 mitrailleuses et 5 canons saisis ainsi que des chameaux, indispensables pour transporter le ravitaillement dans les manœuvres au Hedjaz.
En mai 1917, Lawrence mène une expédition vers le nord (dans l’actuel Jordanie) pour convaincre les tribus Haweitat de rejoindre la rébellion. Ayant gagné leur confiance, il attaque avec eux le port d’Akaba par l’est et s’en empare le 6 juillet. Cette victoire, largement médiatisée, voire mise en scène au cinéma pour soutenir la légende de Lawrence a été facilitée par la piètre qualité de la garnison turque. Celle-ci souffrait depuis plusieurs semaines d’absence de liaison avec ses bases arrières et avait disposé ses canons vers la mer et non vers la terre, persuadée qu’un débarquement aurait lieu (comme en 1915 ou Français et Anglais avaient mené avec succès des assauts amphibies sans s’installer durablement dans ce port).
L’émir Fayçal y constitue, avec Lawrence et le détachement Pisani,  l’armée du nord formée de bédouins mais également de près de 3000 soldats réguliers. Ces derniers sont formés à Port Said en Egypte mais aussi à La Mecque (le lieutenant Mustapha Isaad avec 15 autres français y sont instructeurs). Le général français Bailloud qui mène une inspection préconise de réorganiser le déploiement français trop dispersé et de faire effort sur Akaba avec un contingent plus solide de 150 hommes aux ordres du capitaine Pisani. Il obtient l’envoi de canons de 65mm, pièces modernes réclamées depuis un an par le colonel Brémond (officier expérimenté, cultivé et arabisant dont nous détaillerons la carrière dans un autre article). Ce dernier est victime de son succès auprès du chérif Hussein et de la qualité de ses hommes. En effet, agacés, les Britanniques obtiennent son rapatriement en France et son remplacement par son adjoint, le commandant Cousse.
Fin 1917, début 1918, la guerre change de visage et devient davantage conventionnelle avec la montée en puissance des armées chériféennes mieux équipées, plus organisées, bien conseillées par les franco-britanniques et mieux commandées par des généraux arabes ralliés à la cause de Hussein comme Djaffer Pacha ou Nouri Said (futur premier ministre irakien). Ces derniers apprécient de se battre avec les hommes de Pisani (et ses canons de 65mm) comme dans la défense de Gouera (mitrailleuses du caporal Matte et du sergent Metery), comme lors du siège de Maan en février 1918, de la prise de Djaafar le 7 mars, de Ghadir El Hadj le 12 avril, d’Abou Djerdane et de Kalaa Anazeh pendant l’été. A compter de septembre 1918, l’armée du nord de Fayçal devient l’aile droite du général anglais d’Allenby arrivant de Palestine. Le capitaine Pisani participe avec 140 hommes (2 sections d’artillerie, 2 sections de mitrailleuses, une section de génie, une antenne médicale) à la manœuvre d’enveloppement des lignes turcs sur près de 1000 km de Maan à Deraa (actuelle Syrie) en passant par Azrak. Le 12 septembre, il combat devant Tell Arar et rentre en vainqueur à Damas avec Fayçal (et Lawrence) le 30 septembre 1918.
La mission militaire française au Hedjaz aura donc joué un rôle majeur dans le succès de la révolte arabe de 1916 à 1918, faits d’armes oubliés mais aux valeurs indéniables. Le succès tient surtout aux hommes qui ont accompagné Brémond et dont nous reparlerons…
A suivre…



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire