Le 19 avril 2016, à Amman en Jordanie, j’ai eu la fierté et
l’honneur de commenter au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, pendant
près d’une heure, l’exposition consacrée à la participation française à la
révolte arabe du Hedjaz de 1916 à 1918. A l’occasion de cette inauguration à la
« Jordan National Gallery »
étaient également présents le prince Fayçal frère du Roi, le chef d’état-major
des armées jordaniens, le général El Zaben, ainsi que de nombreuses
personnalités jordaniennes et françaises provenant des équipes gouvernementales
respectives (culture et défense) ou de la sphère civile comme monsieur Ladreit
de la Cherrière ou la journaliste Sonia Mabrouk.
Il s’agissait, devant près d’une cinquantaine de
photographies inédites issues de fonds privés français et jordaniens comme de l’ECPAD,
de revenir sur le bien mal connu engagement de soldats venus de France pour
soutenir et appuyer les forces du chérif Hussein Ibn Ali en lutte contre l’Empire
ottoman sur les territoires actuels de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie et de
la Syrie.
Revenons donc, comme je l’ai fait, sur la chronologie des évènements
avant d'aborder, dans de prochains articles, les personnalités et les
enseignements tactiques en lien avec ce théâtre d’opérations.
Quand le chérif Hussein lance la révolte en juin 1916, il n’est
pas suivi par tous. En effet, si les tribus des Harb le rejoignent et que Said
Idriss combat les Turcs en Assir, l’émir Ibn Rachid du Chammar (NE du Hedjaz),
l’imam Yahia au Yémen et dans l’Hadramaout demeurent fidèles à Istambul. Ibn
Séoud annonce soutenir la révolte mais demeure passif militairement (avant de
trahir le chérif en 1919). Enfin, les tribus du Hedjaz des côtes de la Mer
Rouge ou plus au nord comme les
Djueiney, les Haweitat, les Anezeh et les Beni-Sakher sont contraintes d’attendre
une aide extérieure du fait de la pression exercée par les puissantes garnisons
turques.
Les premières opérations chérifiennes à l’été 1916 sont des
échecs ou très difficiles comme l’assaut raté sur Djeddah de l’émir Mansour à
la tête de ses 3500 bédouins lancé le 14 juin. Les troupes de Hussein sont en
effet peu disciplinées, mal équipées, sans capacité d’appui de type artillerie
et sans état-major organisé. Il faut finalement l’engagement de croiseurs
britanniques et de quelques canons servis par les 15 officiers et 250 soldats
de sa gracieuse majesté pour permettre à la révolte arabe de s’emparer des
ports de Yanbo et Rabeigh ou de la ville d’El Taif. C’est dans ce contexte que
le président du conseil, Aristide Briand, décide, le 2 août 1916, d’envoyer en
Egypte et au Hedjaz une mission militaire française aux ordres du colonel
Brémond, d’abord constituée de 12 officiers et 48 sous-officiers et hommes de troupes
avec quelques vieux canons de 80mm (modèle 1877) et 2400 fusils (pour équiper
les premiers soldats réguliers chériféens). Ils sont pour la plupart musulmans,
affectés dans des unités nord-africaines et ce, afin de pouvoir fouler les
terres sacrées de l’Islam (entre Médine et La Mecque) et mieux s’intégrer au
sein des troupes bédouines commandées par les 4 fils de Hussein : Fayçal,
Abdallah, Ali et Zeid.
Sur le terrain, la situation devient encore plus critique
pour la révolte, une partie de la puissante garnison ottomane de Médine, soient
17 000 hommes, marche vers Rabeigh et La Mecque pour mater la rébellion.
Hussein envoie ses fils et 10 000 fusils
pour freiner l’ennemi. Les Britanniques et les Français sont très inquiets et
envisagent deux modes d’action. Celui soutenu par le colonel Brémond
consisterait à débarquer plusieurs brigades franco-britanniques pour
contre-attaquer à partir des rivages de la Mer Rouge. A l’opposé, l’idéaliste
capitaine T.E. Lawrence souhaite que les conseillers occidentaux soient plus
nombreux mais ne jouent qu’un rôle d’assistance auprès des Arabes dans leur
combat pour se libérer. C’est Lawrence d’Arabie qui remporte la décision et,
alors que les Turcs font finalement demi-tour vers Médine, Londres et Paris
décident de renforcer leurs détachements d’assistance militaire opérationnelle
pour utiliser un terme contemporain. La mission du colonel Brémond se voit
ainsi doter à l’automne de 42 cadres, 983 hommes de troupe et 396 animaux de
bât. Ils sont répartis dans 8 sections de mitrailleuses, 1 section d’artillerie
de montagne, une batterie d’artillerie de campagne, des détachements de génie
mais aussi des capacités de soutien (médecins, infirmiers, boulangerie de
campagne, train d’artillerie) et même des moyens de transmissions (TSF et
téléphonie).
Les franco-britanniques ont identifié le chemin de fer du
Hedjaz comme étant le centre de gravité ottoman. Ce cordon ombilical de 1320 km
construit entre 1900 et 1908 sous la supervision de l’ingénieur allemand August
Meissner, permet, avec sa cinquantaine de locomotives, ses 270 wagons de voyageurs
et plus de 1000 wagons de marchandises, de transporter entre Damas et Médine
troupes, équipements comme pèlerins (27 000 en 1912). C’est aussi un
véritable outil d’intégration pour la « Sublime Porte » et un outil
de « Soft power ». Les Bédouins ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en
s’opposant à son prolongement au sud de Médine (où beaucoup de matériaux sont
ainsi stockés et permettront aux Turcs de réparer la voie ferrée endommagée par
les Chériféens). Cette approche indirecte si chère à Liddell Hart va se
concrétiser par des coups de main, des attaques de harcèlement, des sabotages menés
par les militaires occidentaux aux côtés des forces arabes. L’objectif est d’affaiblir
les lignes de communication turques en coupant les voies, en détruisant les
ponts, en s’emparant des trains (la garnison de Médine est ravitaillée par un
train tous les deux jours) ou des postes fortifiés qui jalonnent le tracé ferroviaire.
Si le premier minage est conduit à Touéra en février 1917 par
Lawrence, des bédouins et un officier français (l’officier britannique évoque
parfois la présence des Français dans les « 7 piliers de la sagesse »
mais oublie bien souvent de décrire leurs faits d’armes…). D’avril à novembre
1917, des détachements français sont ainsi insérés dans les armées des fils du
chérif afin d’apporter leur expertise génie, leurs connaissances tactiques ou
la puissance des feux indirects. Il y a une véritable complémentarité entre les
hommes de Brémond rompus au combat conventionnel et les Bédouins qui
connaissent le terrain, résistent à la fatigue dans un milieu exigeant et
savent jouer de la mobilité. On ne compte plus les manœuvres des unités
(souvent 50 hommes) des lieutenants Zémori et Kernag avec la colonne Ali, de l’adjudant
Lamotte avec Fayçal, du maréchal des logis Prost et du capitaine Raho avec
Abdallah, du capitaine Depui ou du sergent Azoug. A titre d’exemple, le
capitaine Mohamed Ould Ali Raho (officier français des Spahis algériens) fera,
du 6 au 12 octobre, 340 km de désert pour combattre les troupes ottomanes avec
46 de ses hommes et 200 bédouins. Il s’emparera des postes d’Abou Naam et
Istabel Antar. Le capitaine Pisani, quant à lui, artilleur, pourra mettre en
avant un bilan élogieux pour 1917 : 2 trains capturés, plusieurs
kilomètres de voie ferrée détruits, 550 Turcs blessés ou tués, 1000
prisonniers, 1000 fusils, 4 mitrailleuses et 5 canons saisis ainsi que des
chameaux, indispensables pour transporter le ravitaillement dans les manœuvres au
Hedjaz.
En mai 1917, Lawrence mène une expédition vers le nord (dans
l’actuel Jordanie) pour convaincre les tribus Haweitat de rejoindre la
rébellion. Ayant gagné leur confiance, il attaque avec eux le port d’Akaba par
l’est et s’en empare le 6 juillet. Cette victoire, largement médiatisée, voire
mise en scène au cinéma pour soutenir la légende de Lawrence a été facilitée
par la piètre qualité de la garnison turque. Celle-ci souffrait depuis
plusieurs semaines d’absence de liaison avec ses bases arrières et avait disposé
ses canons vers la mer et non vers la terre, persuadée qu’un débarquement
aurait lieu (comme en 1915 ou Français et Anglais avaient mené avec succès des
assauts amphibies sans s’installer durablement dans ce port).
L’émir Fayçal y constitue, avec Lawrence et le détachement
Pisani, l’armée du nord formée de
bédouins mais également de près de 3000 soldats réguliers. Ces derniers sont
formés à Port Said en Egypte mais aussi à La Mecque (le lieutenant Mustapha
Isaad avec 15 autres français y sont instructeurs). Le général français
Bailloud qui mène une inspection préconise de réorganiser le déploiement français
trop dispersé et de faire effort sur Akaba avec un contingent plus solide de
150 hommes aux ordres du capitaine Pisani. Il obtient l’envoi de canons de
65mm, pièces modernes réclamées depuis un an par le colonel Brémond (officier
expérimenté, cultivé et arabisant dont nous détaillerons la carrière dans un
autre article). Ce dernier est victime de son succès auprès du chérif Hussein
et de la qualité de ses hommes. En effet, agacés, les Britanniques obtiennent
son rapatriement en France et son remplacement par son adjoint, le commandant
Cousse.
Fin 1917, début 1918, la guerre change de visage et devient
davantage conventionnelle avec la montée en puissance des armées chériféennes
mieux équipées, plus organisées, bien conseillées par les franco-britanniques
et mieux commandées par des généraux arabes ralliés à la cause de Hussein comme
Djaffer Pacha ou Nouri Said (futur premier ministre irakien). Ces derniers
apprécient de se battre avec les hommes de Pisani (et ses canons de 65mm) comme
dans la défense de Gouera (mitrailleuses du caporal Matte et du sergent Metery),
comme lors du siège de Maan en février 1918, de la prise de Djaafar le 7 mars,
de Ghadir El Hadj le 12 avril, d’Abou Djerdane et de Kalaa Anazeh pendant l’été.
A compter de septembre 1918, l’armée du nord de Fayçal devient l’aile droite du
général anglais d’Allenby arrivant de Palestine. Le capitaine Pisani participe avec
140 hommes (2 sections d’artillerie, 2 sections de mitrailleuses, une section
de génie, une antenne médicale) à la manœuvre d’enveloppement des lignes turcs
sur près de 1000 km de Maan à Deraa (actuelle Syrie) en passant par Azrak. Le
12 septembre, il combat devant Tell Arar et rentre en vainqueur à Damas avec
Fayçal (et Lawrence) le 30 septembre 1918.
La mission militaire française au Hedjaz aura donc joué un
rôle majeur dans le succès de la révolte arabe de 1916 à 1918, faits d’armes
oubliés mais aux valeurs indéniables. Le succès tient surtout aux hommes qui ont
accompagné Brémond et dont nous reparlerons…
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