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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

vendredi 29 août 2014

Indochine 1945-1954, chronique d’une guerre oubliée de P.Gélinet.

Patrice Gélinet, professeur d’histoire puis journaliste, suivi par les passionnés pour ses regrettées émissions radiophoniques « 2000 ans d’histoire » sur France Inter a publié un ouvrage original sur la guerre d’Indochine. Il revient sur cette campagne oubliée, mal connue de ses contemporains comme de bon nombre de Français aujourd’hui. Pourtant, ce conflit apporte un éclairage intéressant sur les interactions entre guerre et politique ainsi que sur les modes d’action utilisés en contre-insurrection par les militaires. Ces derniers ont tenté, sur ce théâtre d’opération lointain, de trouver la bonne adéquation entre les objectifs stratégiques fixés, les hésitations françaises, l’environnement local, les moyens de combat disponibles et une population déchirée entre son attachement à la France et son désir d’indépendance.


Le livre nous offre une vision de cette guerre à travers les yeux des acteurs de l’époque, journalistes, hommes d’état, militaires français, combattants du Viet-Minh ou tout simplement civils d’origine métropolitaine ou vietnamienne. Des Flash codes disséminés tout au long des pages permettent d’écouter des bandes archives de l’INA, discours, reportages, témoignages qui donnent vie au texte et permettent de s’imprégner de l’ambiance particulière de ce bout d'Asie.
L’auteur dresse tout d’abord le tableau de l’Indochine entre 1930 et 1945 avec, en particulier la montée du nationalisme vietnamien suivi par l’occupation japonaise. Si celle-ci a été brutale, elle aura permis à Hô Chi Minh de déclarer l’indépendance de son pays, de former un gouvernement avant de se heurter à la volonté française de rétablir la situation d’avant-guerre. Le général Leclerc est envoyé sur place pour rétablir l’ordre. Il comprend très vite que la seule issue s’inscrit dans la négociation mais se heurte à la fermeté de l’amiral D’Argenlieu chef civil et militaire sur place. En 1946, la crise est consommée, le Vietminh prend le maquis, la France bombarde Haiphong causant de nombreuses victimes collatérales.
Hô Chi Minh « s’installe au nord du Tonkin, près de la frontière chinoise, dans la jungle du Viêt Bac. De là, pendant les trois premières années du conflit, Giap va diriger une guerre étrange, une guerre dont on parle peu en France parce que c’est une guerre sans front, sans grand engagement militaire. Hô Chi Minh ne bénéficie d’aucune aide extérieure. Alors, les soldats de Giap mènent une guerre de petites unités, une guerre de guérilla. Dans tout le Vietnam, ces soldats paysans harcèlent les Français qui ne contrôlent que les grandes villes, Saigon, Hué, Haiphong et Hanoi dans le delta du fleuve Rouge. »
Le leader des rebelles décrit parfaitement sa stratégie dès septembre 1946 : « ce sera une guerre entre un tigre et un éléphant. Si jamais le tigre s’arrête, l’éléphant le percera de ses défenses. Seulement le tigre ne s’arrête pas. Il se tapit dans la jungle pendant le jour, et ne sort que la nuit. Il s’élancera sur l’éléphant et lui arrachera le dos par lambeaux, puis disparaîtra de nouveau dans l’ombre. Et l’éléphant mourra d’épuisement et d’hémorragie. »
Mais les combattants du Vietminh disposent de peu d’armes et doivent créer de l’équipement artisanal tel des bazookas à partir de rails de chemin de fer ou des mortiers. L’unité de base est représentée par 3 soldats (le nid) au sein de groupes d’une dizaine d’hommes. Rapidement, les deux belligérants comprennent que le centre de gravité des insurgés se matérialise par l’approvisionnement en riz devenu le nerf de la guerre et même une monnaie parallèle.
« En face de l’armée de Giap, le corps expéditionnaire français manque de soldats. Le gouvernement n’envoie des renforts qu’au compte-gouttes et refuse de faire appel au contingent. Jusqu’à la fin, la France n’enverra en Indochine que des soldats de métier (…) c’est pourquoi les Moï, les Mnong, les Thaï, les Muong, les Cham servent parfois dans les unités auxiliaires commandées par des capitaines ou des lieutenants qui deviendront célèbres. » Les Français doivent donc s’adapter aux modes d’action adverses, en particuliers le formidable réseau de tunnels et de souterrains permettant de se cacher lors des opérations de bouclage ou de dissimuler vivres et armements.
Néanmoins, la guerre change de visage à partir de 1949 car la Chine devenue communiste soutient Hô Chi Minh et le 16 septembre 1950, à Dong Khê, les soldats français n’ont plus face à eux des maquisards mais la première division de Giap (division 308) fanatisée et bien équipée. S’en suit la catastrophique évacuation de Cao Bang par la RC4 où les colonnes Le Page et Charton sont massacrées ou faites prisonnières (4000 hommes perdus) lors d’une embuscade à grande échelle (entre C       ao Bang et Langson) dans un terrain très difficile. Le reportage présenté ci-dessous permet de mieux comprendre cette défaite française.
Après ce désastre, le général De Lattre accepte de relever le défi et prend le commandement en Indochine. Il réorganise le corps expéditionnaire, met en place une nouvelle vision opérative et redonne le moral à ses hommes par son aura mais aussi une victoire en janvier 1951 où il arrête brutalement l’offensive de deux divisions ennemies dans la région de Vinh Yen. Il crée une ceinture de postes pour préserver le Vietnam utile, monte en puissance les groupes mobiles et entame le « jaunissement » des unités afin de créer un embryon d’armée vietnamienne régulière. Malade il doit quitter ses fonctions mais laisse un bel héritage et un outil aguerri à ses successeurs. La dynamique est lancée et l’armée française remporte une nouvelle victoire à Na San, une base opérationnelle fortifiée, en octobre 1952. Mais les buts de guerre politiques ne sont toujours pas clairement définis et le général Navarre, alors que débutent les négociations de Genève, va engager son corps de bataille dans la cuvette de Dien Bien Phû. Encerclée, le camp retranché va subir le choc des unités de Giap largement dotées en artillerie et en DCA. Malgré une défense héroïque et des pertes énormes de part et d’autres, les Français doivent se rendre le 7 mai 1954. Hô Chi Minh peut alors négocier l’indépendance avec un nouvel atout dans sa manche.
Fabrice Gélinet décrit ensuite avec de poignants témoignages l’évacuation du Vietnam, la terrible captivité des combattants français ainsi que les négociations en Suisse. Il insiste sur le décalage entre les réalités du terrain, les problématiques gouvernementales et politiques de la métropole, les influences des acteurs internationaux de la guerre froide (Chine, URSS, Etats-Unis) ou les aspirations du parti communiste indochinois.
Cet ouvrage, qui a le mérite d’humaniser une guerre oubliée, apporte un éclairage nouveau sur les hommes et les femmes qui ont fait l’histoire, qui ont aimé, façonné ce morceau d’empire colonial qui deviendra, quelques années plus tard, un nouvel enjeu entre les deux blocs.

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