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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 10 août 2014

Relire « Patton » de Ladislas Farago : le grand général mis en perspective (2/2).

 
Nous poursuivons avec l'étude de la biographie du général Patton écrite par Ladislas Farago. Ce dernier met en exergue la difficulté pour ce chef militaire d'être diplomate avec ses chefs ou ses pairs notamment en exprimant sans réserve son opinion quant aux choix politiques, stratégiques et tactiques. Dans l'entre-deux guerres, il critique vertement les décisions du gouvernement des Etats-Unis enfermé dans son isolationnisme et convaincu que l'outil de défense américain peut être réduit : "aux Etats-Unis, on protestait contre les folles dépenses qu'entraînait la guerre. L'ère était aux économies et l'Armée fut la première à en souffrir. Le Congrès, reflétant l'état d'esprit de la nation, décréta que la meilleure des armées était la moins onéreuse, la plus petite et la moins ostensible (...) En 1920, une loi de défense nationale fut votée au Congrès, prévoyant une armée de 280 000 hommes répartis en 9 divisions. Pour Patton, ce fut un désastre. La loi rayait le corps des tanks des cadres de l'armée et le ministère de la Guerre fit disperser les véhicules dans diverses unités. En 1920, la part du budget allouée aux chars se montait à 500 dollars." Cette juste analyse des conséquences graves à moyen terme de telles décisions ne quittera pas "Georgie" tout au long de sa carrière, en particulier dans son analyse du plan Overlord qu'il juge pas assez ambitieux dans son volet exploitation.

Il en sera de même quand Eisenhower ou Bradley freineront ses chevauchées, d'abord en direction de Paris puis vers la frontière allemande. Ce que Patton considèrera comme un manque d'audace permettra effectivement aux troupes de Berlin de se réorganiser sur le Rhin et ainsi de prolonger la guerre. En revanche, Patton n'a pas la fibre politico-militaire et, au Maroc comme en Bavière ses expériences de gouverneur militaire demeurent des échecs car son franc-parler et son militarisme s'accordent mal avec les exigences des affaires civiles.
Néanmoins, sur le terrain, il est un officier épanoui, partout à la fois, à son PC, sur le terrain, auprès de ses commandants de division et de corps d'armée, sur la ligne des contacts ou sur les axes logistiques. A tous, il imprime son énergie, ce sens du combat qui cherche à saisir toutes les opportunités mais également à brusquer l'adversaire, à lui imposer un rythme soutenu tout en le surprenant par des choix tactiques non conformistes. Ce fut le cas en Sicile à l'image de sa course vers Palerme mais aussi sur la Moselle puis dans les Ardennes en 1944-45. S'adressant à son état-major de la IIIème Armée, ses propos reflétèrent son sens de l'art de la guerre : "Il est à prévoir que de temps en temps on se plaindra que nous demandons trop à nos hommes, que nous allons trop fort et trop vite. Je me fous de ce genre de plaintes. Je crois à la bonne vieille règle selon laquelle un verre de sueur vaut mieux qu'un tonneau de sang. Plus vigoureusement nous avancerons, plus nous tuerons d'Allemands, moins nos hommes risqueront de se faire tuer. La vigueur et la rapidité réduisent les possibilités de pertes. Je ne veux pas que vous l'oubliez. Il y a autre chose que je veux que vous vous rappeliez. Ne vous inquiétez pas de vos flancs. Nous devons protéger nos flancs, d'accord, mais pas au point de ne plus faire autre chose. Un foutu crétin a dit un jour que les flancs doivent être protégés, et depuis lors tous les autres pauvres cons du monde n'ont plus pensé qu'à ce protéger les flancs. Nous ne voulons pas de cela dans la IIIème Armée. C'est à l'ennemi de s'inquiéter des flancs, pas à nous. Et je ne veux pas non plus de messages dans le genre je tiens ma position. Nous ne tenons rien du tout, laisser cela aux Chleuhs. Nous avançons constamment, et nous ne nous occupons pas de tenir quoi que ce soit, à part l'ennemi. Celui-là nous allons le tenir et lui ruer dans les fesses sans désemparer. Notre unique plan d'opérations est d'avancer et de continuer d'avancer sans nous soucier de savoir si pour cela nous devons passer dessus, dessous ou à travers l'ennemi. Nous n'avons qu'une devise, l'audace, l'audace, toujours l'audace."
Son outil principal reste son état-major qu'il a façonné à son image et qui finit même par être encore plus critique que lui sur les décisions du SHAEF jugées timorées : "Patton avait dit un jour à Eisenhower : je n'ai pas besoin d'un état-major brillant, je veux des hommes loyaux. C'était exactement ce qu'il avait eu, un état-major loyal qui le complétait, qui exécutait ses ordres avec discrétion et célérité, qui avait l'habitude de lui, de sa discipline, de ses manies. En échange, ces hommes pouvaient être assurés de la totale loyauté de leur chef, de son indéfectible protection. Si l'on considère les mérites individuels, l'état-major de Patton était plutôt hétérogène. Certains membres étaient d'excellents officiers destinés à des carrières personnelles météoriques après la guerre, en Corée ou ailleurs. D'autres étaient assez médiocres. Ils formaient cependant un ensemble parfait, un instrument de précision que Patton maniait avec l'habileté d'un horloger suisse. Comme le souffleur d'un théâtre qui connaît tous les rôles, Patton pouvait remplacer au pied levé n'importe lequel de ses assistants et cependant il se sentait impuissant et démuni s'il lui en manquait un seul."
Mais ce qui marque dans l'ouvrage de Farago ce sont les descriptions des grands chefs militaires alliés de l'époque. Montgomery est mis en cause dans le retard pris par les opérations tant en Sicile qu'en Europe. En effet, bon théoricien, ses modes d'action sont souvent assez conventionnels et manquent de soufflent et d'imagination. Le général britannique apparaît, avec probablement beaucoup de justesse, comme un officier bouffi d'orgueil, prêt à sacrifier l'intérêt général sur l'autel de son ambition en monopolisant, par exemple les moyens logistiques alliés. Ses plans comme ceux planifiés dans la plaine de Caen, en Hollande (Market Garden) ou sur les Rhin sont bien souvent inadaptés à l'adversaire ou au terrain. Bradley, d'abord déconcerté par le style de Patton va finalement un ami et son plus grand partisan à la fin du conflit. Néanmoins, son caractère affable, son sens tactique très scolaire et son obéissance aveugle le peignent comme un officier chef à l'envergure moyenne. Enfin, c'est Eisenhower qui déçoit le plus Patton du fait de ses hésitations, de son manque de reconnaissance pour son officier le plus performant, de son incapacité à brider Montgomery (et les Britannique en général) et, in fine, à conduire le SHAEF pour lui imposer une campagne audacieuse, rapide et à la mesure de ses moyens.
Ce livre apporte un nouvel éclairage sur le général Patton qui, jusqu'à sa mort accidentelle fera l'unanimité chez ses subordonnés puis demeurera un des plus grands chefs militaires de son époque.


 

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