Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 15 octobre 2014

« On flexibility, recovery from technological and doctrinal surprise on the battlefield » de Meir Finkel

 
Nous vous proposons aujourd'hui une fiche de lecture que nous publions également sur le site de réflexion stratégique U 235 et ce, dans le cadre de notre réflexion sur la résilience tactique (voir notre article http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2014/09/de-la-resilience-tactique-ou-comment.html). Nous traiterons donc de l'ouvrage de Meir Finkel : "On flexibility" paru en 2011.
 
Meir Finkel est général de réserve au sein de l’armée israélienne, il a d’ailleurs commandé une brigade blindée de réservistes. Il a été très marqué par la guerre du Kippour en 1973 (et en particulier l’emploi important mais inattendu, par les pays arabes, d’armes antichars et antiaériennes qui ont, dans les prémices du combat, sidéré Tsahal avant un sursaut victorieux d’Israël. Actuellement directeur du centre de recherche et de la doctrine du ministère de la défense israélien, son ouvrage, publié en 2011, est la retranscription de sa thèse basée sur la surprise tactique.

L’ouvrage et sa thèse :
Meir Finkel développe, en anglais, sa théorie de ce que nous pourrions appeler, en France, la résilience tactique en la dénommant « flexibilité sur le champ de bataille ». Ainsi, il considère que la surprise, qu’elle soit doctrinale, technologique ou de l’ordre de l’art de la guerre, demeure la principale arme dans un conflit et ce, que ce soit pour une confrontation conventionnelle comme dans un combat asymétrique. D’ailleurs, il souligne que bon nombre d’exemples historiques au XXème  siècle, comme l’utilisation des leurres radars par les Britanniques en 1944, l’apparition du char T34 soviétique ou l’emploi de missiles Sagger par les Egyptiens en 1973, sont autant de références appuyant sa thèse.
En fait, il réfute l’idée que le renseignement (même employé avec efficacité) peut, à lui seul, permettre d’anticiper la surprise et ainsi de préserver une armée de la perte d’initiative au moment d’un engagement. Il considère également que la planification à outrance, mais aussi la préparation de cas non conformes, restent sans effet sur la bataille dont l’issue ne dépendra que de la capacité, pour une armée, son organisation, ses matériels et ses chefs, à être flexible.
La surprise viendrait du fait que l’on croit, en élaborant sa propre manœuvre, que l’ennemi agira selon un schéma connu alors qu’il cherchera à nous surprendre dans les domaines de l’intention, du temps, du lieu, de la force et du style de combat (théorie de Barton Whaley et de Robert Leonhard).
En outre, l’auteur reproche aux armées occidentales de s’appuyer sur les concepts clausewitziens de supériorité numérique (armées de masse), de génie militaire (mythe de Napoléon) et de victoire rapide (une guerre courte est sans surprise) pour mettre de côté la nécessaire flexibilité de l’outil de combat. Si son modèle reste le général Von Moltke et son commandement décentralisé, Meir Finkel critique vertement le conservatisme militaire qui a nui, bien souvent, à la faculté d’adaptation des soldats en campagne et à la préparation à la conflictualité du futur et ce, quelle que soit l’époque.
Il utilise plusieurs cas extraits de l’histoire militaire, notamment de la seconde guerre mondiale, mais aussi l’engagement soviétique en Afghanistan pour montrer que l’on peut s’adapter à une surprise tactique (parfois en travaillant sur le long terme) ou en être victime et donc, ne pas pouvoir la dépasser (forces françaises bousculées par la « BlitzKrieg » allemande en 1940).
La résilience passe alors par la flexibilité doctrinale (équilibre entre les fonctions opérationnelles, refus d’un dogme, réceptivité aux idées nouvelles), par la flexibilité organisationnelle et technologique (redondance au sein des armements disponibles et des systèmes de commandement, diversité des structures pour les unités, principe dit d’Alkyoneus[1]). Dans ce cadre, Meir Finkel insiste pour que, dans le domaine technologique, les équipements soient versatiles, c’est-à-dire capables d’être utilisés pour un autre but que celui de leur conception (le canon de 88mm anti-aérien allemand devenu une arme antichar redoutable) ou pouvant être continuellement adaptés à la menace ou au besoin. Néanmoins, le plan le plus important de sa théorie pour faire face à la surprise s’appuie sur les chefs militaires ainsi que sur leurs états-majors dont il faut développer la flexibilité cognitive. Celle-ci repose principalement sur la capacité à l’initiative (Auftrags Taktik allemande ou commandement par objectifs), sur une structure de décision décentralisée qui permet au chef sur le terrain une décision rapide, adaptée à la situation et réactive tactiquement. Cette subsidiarité, souvent réduite du fait d’une volonté des échelons stratégiques de pratiquer le « micro management » sur les unités déployées (d’autant que ces dernières sont aujourd’hui de moins en moins nombreuses sur les théâtres d’opérations), est la seule garantie pour assurer une bonne résilience sur le champ de bataille.
Enfin, la force du retour d’expérience, la faculté d’apprendre des erreurs passées et à tirer des enseignements des engagements du moment, puis à diffuser rapidement les bonnes pratiques ou parades, permettent de consolider le spectre de la flexibilité.
Pour conclure, l‘auteur considère que son travail, et l’apport de nombreux stratégistes, permet de combler un manque dans la recherche. En effet, il remettrait le principe de surprise au cœur de la réflexion tactique devant d’autres préceptes comme la liberté d’action ou la concentration des efforts. L’objet de son étude est alors d’influencer les approches culturelles et militaires des armées (en particulier Tsahal) dans la préparation, comme la conduite, des conflits contemporains face à des menaces qualifiées d’hybrides ou dans des guerres de contre-insurrection et cela, afin d’éviter que la surprise ne vienne fragiliser les corps expéditionnaire ou les opérations.
Avis :
Bien documenté et appuyé sur de nombreuses références, le livre de Meir Finkel aborde un sujet peu traité dans le domaine de la réflexion tactique, à savoir la flexibilité et la capacité à réagir rapidement à une surprise, qu’elle soit technique ou doctrinale. Néanmoins, si son approche de la problématique éveille la curiosité du lecteur, ses exemples très ciblées et, finalement, peu nombreux, ne permettent pas toujours de tirer des conclusions générales. Certes, il met en avant la nécessaire marge d’initiative du chef militaire, des équipements polyvalents, une doctrine adaptable, cet ensemble apparaissant comme les solutions à tous les types d’engagements, mais son rejet de la planification, du renseignement comme arme d’anticipation paraît outrancier. Les innovations technologiques comme les drones, les satellites, la guerre électronique ou la menace cyber, mais aussi l’emploi des forces spéciales ou de la numérisation sont d’ailleurs complètement absents au fil des pages.
Il fait de nombreux constats sans jamais aller au bout du raisonnement sans proposer des structures concrètes, un enseignement militaire adéquat, une forme de commandement réactive (son intérêt pour la formule allemande de la seconde guerre mondiale n’est pas toujours objectif). Au bilan, on trouve dans cet ouvrage des idées intéressantes, parfois innovantes, mais on reste sur sa faim sans être toujours convaincu par le propos.


[1] Hercules, dans la mythologie grecque, parvient à vaincre Alkyoneus après avoir identifié son point faible et après l’avoir obligé à se battre dans une situation défavorable.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire