Nous suivons, comme chaque mois, le commentaire averti mais toujours très subjectif du lieutenant-colonel Rousset commentant le premier conflit mondial avec son regard acéré d'ancien professeur de tactique de l'Ecole supérieure de guerre.
En octobre 1915, il relate tout d'abord l'offensive de Champagne que nous savons aujourd'hui être un semi-échec offensif par le nombre de tués et de blessés. Et pourtant, sans le recul de l'histoire, cette attaque majeure apparaît comme une victoire. Le général Joffre d'ailleurs adresse le 3 octobre l'ordre du jour suivant : "le commandant en chef adresse aux troupes sous ses ordres l'expression de sa satisfaction profonde pour les résultats obtenus jusqu'à ce jour dans les attaques. 25 000 prisonniers, 350 officiers, 150 canons, un matériel qu'on n'a pu encore dénombrer, sont les trophées d'une victoire dont le retentissement en Europe a donné la mesure. Aucun des sacrifices consentis n'a été vain. Tous ont su concourir à la tâche commune. Le présent nous est un sûr garant de l'avenir. Le commandant en chef est fier de commander aux troupes les plus belles que la France ait jamais connues."
On sent dans ces paroles, à la fois, le nécessaire besoin de reconnaissance des hommes sur le champ de bataille mais aussi la propagande qui bat son plein et enfin une capacité à justifier, coûte que coûte, les pertes terribles subies pour des gains assez faibles, comme la prise du village de Tahure ou celle de la route de Souain près de Suippes. Les positions françaises, chèrement conquises, sont sous le feu de l'artillerie allemande les 4 et 5 octobre. En Orient, plus d'une quinzaine de transports de troupe se regroupent au large de Salonique avant d'y débarquer un contingent franco-britannique chargé de venir en aide aux Serbes face aux Bulgares. Ce débarquement débute finalement le 5 octobre mais avec des effectifs réduits alors que le lieutenant-colonel Rousset prône le déploiement de plusieurs centaines de milliers de soldats. En effet, pour lui, comme pour certains spécialistes d'outre-Manche, cette "approche indirecte" ne pourra fonctionner que si l'effort est conséquent et donc capable de déstabiliser les Allemands et les Bulgares. Hors, il n'est que symbolique. Aussi, alors que les Austro-allemands franchissent le Danube avec 250 000 hommes et attaquent Belgrade, les Français se concentrent sur le front de l'ouest et relancent, le 8 octobre, les assauts en Champagne (tranchées du Trapèze). Les Britanniques, quant à eux, s'engagent dans un duel sanglant avec les troupes allemandes avec la bataille en Artois (région de Lens-la Bassée, Loos).
Le 14 octobre 1915, les forces serbes, bousculées par l'offensive bulgare et austro-allemande, doivent continuer leur retraite en abandonnant leur seconde ligne de défense au sud de leur capitale entre Zaleznie et Erino-Brdo. En France, les Allemands contre-attaquent dans les Vosges où ils reprennent le sommet de l'Hartmanswillerkopf et, en Champagne, où ils écrasent les positions françaises d'Auberive par des feux indirects puissants.
Sur le front russe, la situation paraît plus ou moins figée après la poussée allemande de l'été même si, localement, les belligérants se disputent des bribes de terrain. C'est le cas des coups de main commandés par Moscou les 21 et 22 octobre dans la région de Baranovitchi (nœud ferroviaire) et en Galicie.
En Italie en revanche, les forces italiennes attaquent en Isonzo (sur un terrain très difficile) sur près de 60 km de front et ce, afin de dégager le front serbe d'une partie des effectifs allemands.Elle se poursuivra malgré de rudes conditions jusqu'au 28 octobre. En fait, malgré ces efforts venus des Alliés, les armées de Belgrade perdent le 18 octobre leur troisième ligne de défense autour du mont Avala.
Face à l'agression bulgare aux côté de la Triplice, les Alliés tergiversent pour s'engager en nombre contre la Bulgarie.
En France, les 19 et 20 octobre, après une préparation d'artillerie et le tir de gaz asphyxiants, les troupes du Kaiser partent à l'assaut de Reims en tentant de s'emparer de la ceinture défensive que constituent des points d'appui comme le fort de la Pompelle et le village de Prosnes, sans succès.
Dans les Balkans, après avoir débarqué, les troupes françaises du général Sarrail remontent enfin le Vardar et se heurtent avec succès aux Bulgares à Rabrovo - Gradets- Valandovo pendant qu'une escadre franco-anglo-russe bombarde les ports de Porto-Lagos et Dedeagatch.
La bataille navale fait également rage en Baltique où 20 navires allemands sont coulés dont le croiseur cuirassé Prinz-Adalbert. Dans le même mouvement, par une opération amphibie audacieuse, les Russes débarquent dans le Courlande, à l'entrée de Riga, et prennent les positions ennemis.
Le 27 octobre, les Serbes continuent de reculer tout en freinant les Austro-allemands grâce à un terrain favorable (vallées encaissées seules moyens de communication) alors que les Bulgares tiennent tête aux troupes françaises au sud et aux armées serbes au nord (Zaietchar, Kniajewatz).
Notre témoin, le lieutenant-colonel Rousset profite des remaniements ministériels du 28 octobre 1915 pour s'interroger sur le rôle du ministre de la Guerre. Son analyse intéressante permet également de nourrir la réflexion sur la situation contemporaine et d'analyser l'interaction, comme la répartition ou la définition des responsabilités entre politique et militaire et ce, afin de gérer les crises et les conflits, alors même que la pression du premier sur le second se fait de plus en plus pressante ou contraignante aujourd'hui (parfois au détriment de l'efficacité opérationnelle) :
"Dans une démocratie comme la nôtre, ce rôle est mal défini. Peut-être même ne l'est-il pas du tout (...) mais d'autre part, on ne peut nier que l'état de guerre réduise singulièrement celles-ci (les responsabilités du ministre) et surtout les spécialise. D'abord, l'autorité du ministre cesse là même où commence celle du généralissime, c'est à dire que ce dernier est absolument libre de ses choix, comme de ses décisions (...) ainsi aucune ingérence du ministre ni du gouvernement dans le domaine purement militaire. Mais souci constant de procurer au commandement tous les moyens d'action dont il a besoin, de simplifier les rouages administratifs (...) L'état-major lance les traits a écrit le vieux Moltke, le ministère de la guerre les forge et les acère (...) créées pour assurer la communauté de l'effort, elles ne doivent point pour cela se confondre et encore moins se contrecarrer". Le 30 octobre 1915, le nouveau gouvernement Briand choisit le général Gallieni comme ministre de la Guerre.
Les 30 et 31 octobre, les Allemands contre-attaquent violemment en Champagne sur Tahure et La Courtine sans parvenir à reprendre le terrain perdu alors que simultanément, sur le front d'Orient, les combats entre Bulgares, Serbes et Français se figent sur des localités peu importantes.
Ce mois de combat étudié par notre témoin montre à la fois une continuité dans la conduite de la première guerre mondiale, au travers de la guerre de positions qui opposent les différentes armées en Champagne, en Artois ou en Italie, mais il illustre également une volonté de renouer avec le mouvement. Pour cela, les tentatives "d'approches indirectes" avec des débarquements (Riga, Salonique), une guerre navale plus intensive ou l'entrée en guerre d'un nouvel allié (Bulgarie) sont les preuves d'une incitation renouvelée à la surprise opérative, à la saisie des opportunités et au retour de la manœuvre. Dans un autre registre, la tactique renoue avec l'utilisation du terrain pour prendre l'initiative, freiner l'ennemi et attaquer avec l'appui de l'artillerie, que ce soit en Italie, en Champagne et même en Serbie.
A suivre...
Source image : Gallica -Bnf
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