Nous poursuivons l'étude de l'expérience suisse de maintien de l'ordre intérieur par les forces armées. Nous avons vu que, malgré les efforts de formalisation dans l'engagement des soldats sur le territoire national, les troubles des années 1920 et de 1932 ont montré des failles dans la doctrine, le commandement, les responsabilités et l'emploi d'unités issues des forces terrestres.
Les chefs militaires décident d'abord d'améliorer le dispositif fédéral de mobilisation avec un ordre de bataille à deux , avec un effort : dans la préparation (instruction de commandants de division en janvier 1933), dans la rapidité de déploiement et dans l'identification d'éléments de réserve.
Un nouveau Règlement de service est édité avec, pour la première fois, des prescriptions détaillées sur le maintien de l'ordre (tactique, emploi des armes) et la détermination des pouvoirs de police de la troupe (militaires plus indépendants vis-à-vis des forces de sécurité intérieure et des autorités civiles.
"Deux principes avaient guidé l'élaboration de la partie du Règlement de service consacrée au maintien de l'ordre : d'une part la troupe devait recevoir la mission de l'autorité civile mais l'exécution incombait uniquement au commandement militaire; d'autre part la mission devait être indépendante et ne pas consister seulement à renforcer la police."
Si la prévention comme la dissuasion sont mis en avant, l''effet recherché pour les armées est bien la liberté de manœuvre ou liberté d'action garantissant une bonne adaptation aux circonstances y compris en renonçant à certains principes: " Contrairement aux principes de tactique qui recommandent d'être ménager de ses réserves, il ne faut craindre, en service d'ordre, d'en faire un large usage. La prompte intervention de forces importantes fait recouvrir rapidement la liberté d'action. En revanche, le fait de ne les engager qu'avec hésitation et par petits paquets diminue considérablement l'effet moral que doivent produire l'armée et la troupe et rend la tâche de celle-ci particulièrement difficile"(chapitre 20 du Règlement).
Forte de cette base doctrinale, l'armée suisse est engagée plus efficacement ou déployée préventivement comme dans le Tessin en 1934, à Neufchâtel en 1937.
Mais avec la seconde guerre mondiale, on craint que le désordre européen ne crée une "menace intérieure". L'état-major suisse met alors en place un dispositif en 5 phases pour faire face aux troubles éventuels:
Phase 1 : les polices cantonales et municipales;
Phase 2 : le commandement territorial et ses moyens (en général une compagnie);
Phase 3 : engagement des trois détachements motorisés spécialisés dans le service d'ordre;
Phase 4 : des parties des troupes frontalières et des régiments isolés;
Phase 5 : l'ensemble de l'armée.
Finalement, cette réflexion finit par conduire à la création effective en 1943 d'une troupe d'élite appelée Bataillon motorisé de la gendarmerie d'armée qui selon le chef de l'EMA helvétique "en temps de paix devait lutter contre la cinquième colonne et les saboteurs, être engagé à la frontière ou en cas de troubles dans les camps de réfugiés et pour maintenir l'ordre " et ce, sans devenir une police politique.
En revanche, pour les autres unités, certaines dérives sont constatées par les militaires comme à Berne où, en 1945,les soldats sont déployés par les autorités cantonales pour des gardes statiques. Ces dernières consistent en garde de bâtiments publics pour soulager la police locale. Puis, en 1949, le Conseil fédéral souhaita que 2 à 3000 hommes soient prêts, en permanence à appuyer la police cantonale pour effectuer des arrestations notamment chez les militants communistes de Léon Nicole. Mais, là encore, les chefs militaires s'y opposèrent afin de ne pas dévoyer les aptitudes des forces armées. Depuis cette époque, la Suisse s'est dotée de forces de police adaptées et garde son armée pour des misions plus conformes à son entraînement.
En conclusion, on le voit dans cet exemple helvétique, qu'il est toujours délicat d'engager les soldats dans le service d'ordre. Certaines conditions apparaissent prégnantes comme l'indépendance avec la police, la subsidiarité, la nécessaire formation, un emploi par les autorités civiles sur des missions les plus proches possibles des modes d'action militaires dans un cadre juridique clairement établi et la définition des effets à obtenir (sur un adversaire identifié). Ce livre apporte donc un élément de réflexion supplémentaire pour des situations plus contemporaines.
Source image : suissinfo.ch
Il faut à mon sens relativiser l'exemple suisse car ce pays a fait le choix de la neutralité. Par conséquent, les forces militaires jouent naturellements sur le même terrain que les forces de sécurité, alors qu'en France, la distinction existe même si elle tend à s'effacer.
RépondreSupprimerCette question va de paire avec celle du service national et de l'existance d'une garde nationale. Or sur ces 2 sujets, je trouve que les commentateurs et autres hommes politiques ont soit la mémoire courte, soit la mémoire sélective, voire les 2. La garde nationale a toujours été conçue comme une sorte de garde prétorienne, donc attachée au pouvoir, quant au service militaire entre ceux qui y échappaient (autre type de service national, études universitaires en cours, ...), et ceux qui bénéficiaient d'un service aménagé, il n'y avait au final que peu de place pour une réelle mixité.