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samedi 21 janvier 2012

Iran ou la stratégie de la Mosaïque.


Actuellement, la presse se fait l’écho des gesticulations diplomatiques et des déclarations belliqueuses autour de l’Iran, de son programme nucléaire et de son influence dans le golfe Persique. Certains analystes envisagent même, au-delà des simples sanctions économiques, des frappes américaines ou israéliennes. Dans ce cadre, je souhaitais revenir sur la stratégie iranienne militaire mise en place pour se préparer à un éventuel engagement étranger sur son sol. Les Iraniens l’ont baptisée la stratégie de la Mosaïque, métaphore d’une décentralisation de la défense et de l’ubiquité dans la menace portée aux assaillants. Voici donc, en quelques lignes les grands principes de cette option stratégique.



Un choix réfléchi.

Les forces militaires iraniennes sont encore très marquées par la guerre Iran-Irak (1980-88) qui a exigé de leur part une force morale importante ainsi qu’un esprit défensif solide. De la même façon, ils ont tirés les leçons de l’invasion américaine en Irak de 2003 ainsi que du conflit entre Israël et le Hezbollah en 2006. Ils en ont conclu que, face à un adversaire mieux équipé, technologiquement plus avancé, la solution stratégique la plus efficace consistait à développer l’asymétrie, les tactiques insurrectionnelles ainsi que les actions terroristes pour user l’assaillant et créer chez lui un choc psychologique propre à le contraindre au retrait ou à la négociation. De la même façon, l’Iran compte s’appuyer sur un certain nombre d’atouts mis à sa disposition à savoir, sa géographie (relief, détroit d’Ormuz, littoral important), sa profondeur stratégique et la résilience de sa population (capable d’accepter de lourdes pertes).
La stratégie retenue est donc le fruit de l’étude des concepts occidentaux et des principes idéologiques endémiques (martyr, zèle révolutionnaire) avec, en filigrane, l’héritage historique de la diversité culturelle persane d’hier et d’aujourd’hui.


Une stratégie bâtie par l’IRGC (Iranian Revolutionary Guard Corps)[1].

C’est l’actuel chef des Pasdarans, le général Mohammad Safari, alors directeur du centre d’études stratégiques de l’IRGC, qui a été l’initiateur de la stratégie de la Mosaïque (voir les sources en fin d'article). Il a d’abord milité pour une séparation des chaînes de commandement entre l’armée régulière iranienne (700 000 soldats environ) et les forces armées (bien mieux équipées) de l’IRGC fortes de 155 000 hommes. Cette stratégie consiste à décentraliser au maximum la défense du territoire afin de réduire les vulnérabilités des systèmes de « Command and Control » tout en laissant une large marge d’initiative aux subordonnés, ces derniers étant en prise directe avec la situation dans leur zone d’action. Cette subsidiarité se concrétise par la création de 31 commandements séparés (1 par province et 1 pour Téhéran) qui profitent de l’éparpillement de la population iranienne et de celle des lignes de communication dans un pays très grand (3 fois la superficie de la France).

La mise en œuvre pratique de cette stratégie.

Elle repose d’abord sur une première ligne de défense tenue par des « Artesh », formes de GTIA[2] (de l’armée régulière et de l’IRGC) dont la mission est de gagner des délais pour mobiliser, en arrière, les milices paramilitaires religieuses (Basidjis)[3] qui prépareront les embuscades, la valorisation des zones urbaines, les IED[4] et les actions de harcèlement. Un effort de défense passive est également planifié avec des actions de déception, du camouflage, des abris blindés et la dissimulation d’équipements militaires. Enfin, chaque province aura autorité pour utiliser au mieux son milieu et ses moyens pour affaiblir l’attaquant avec des modes d’action insurrectionnels violents.
Du point de vue naval, Téhéran veut rééditer, le long de ses côtes, tout en faisant effort sur le détroit d’Ormuz, les attaques de harcèlement ou suicides menées pendant la guerre de tankers au cours des années 1980. Il s’agit de modes d’action empruntés aux stratégies « anti accès »[5] (missiles antinavires, mines marines,…) et de raids menés par des embarcations rapides ou des sous-marins de poche. Déjà à l’époque, des navires de commerce et des bâtiments de guerre internationaux avaient été lourdement endommagés par ce type d’opérations.[6]
En revanche, l’armée de l’air et la défense anti aérienne iraniennes représentent les points de faiblesse de cette stratégie de la Mosaïque avec des avions anciens, mal entretenus (d’origine russe et même américaine avec des F14 et de F4 Phantom) et des moyens sol-air insuffisants en nombre et en qualité (d’autant que Moscou a finalement refusé en 2010 de vendre des systèmes sol-air S300 à l’Iran).


Pour conclure, l’Iran, consciente de ses faiblesses dans le domaine de la guerre conventionnelle, a donc mis en place une stratégie adaptée à ses ambitions et à ses moyens. En cas d’attaque, Téhéran compte bien sur sa défense Mosaïque dans la profondeur pour user un adversaire potentiel agissant pour cela avec tout le panel des modes d’action asymétriques connus amis également en s’appuyant sur sa géographie et sa ressource humaine la plus motivée et aguerrie : le corps des gardiens de la révolution renforcé des Basidjis.
Nul doute alors qu’une action en force dans ce pays nécessiterait des effectifs importants et une planification inscrite sur le long terme.


Sources:
-Iran's Mosaic Doctrine - an unrestricted army - Gallen Wrigth 2010.
-Iran asymetric naval warfare - F.Haghshenass.
-The Iran Primer - Us Institute vof peace.
-The other Iran - Peyman Jafari - 2009.
-The Persian Gulf cul de sac analysis - S.S.Parmar - Institute for Defense Studies - 2009.
-Iran naval forces from guerilla warfare to a modern naval strategy - US office of naval intelligence - 2009.
-image : Trends Magazine.




[1] Corps des gardiens de la révolution iraniens appelés aussi Pasdarans.
 [2] Groupements tactiques interarmes disposant de blindés et d’infanterie.
 
[3] Nombre difficile à estimer mais devant se situer entre 400 000 et un million de combattants.
 
[4] Engins explosifs improvisés.
 
[5] Voir l’article de l’Echo du champ de bataille :
 
[6] Frégate américaine FB Roberts touchée par une mine en 1988.


2 commentaires:

  1. Ce genre de stratégie n'est efficace que si l'agresseur souhaite aller en profondeur, tenir le terrain et rester un certains temps.
    Alors les dernières opérations US ont montré que tel était le cas, mais la "surprise stratégique", coté américain pourrait être de prendre à rebrousse poil l'organisation iranienne: Pour la profondeur, se contenter de bombardement (avion et MdC), pour le terrain et la durée, concentrer ses efforts sur les cibles navales et leur logistique, les détruire et se retirer. Puisque en définitive, l'arme la plus sensible de Téhéran, ce n'est pas son armée mais sa capacité à perturber le commerce du pétrole. Il "suffirait" de la leur retirer et de maintenir, à distance, la pression.
    Ses autres atouts, le terrorisme ou la techno-guerrilla, les américain pourront en limiter les effets là où ils sont déjà présent, car en définitive cela s'exporte assez mal sur le territoire de l'ennemi.
    Reste à savoir si les US pourrait se contenter d'objectifs limités, quitte à recommencer quelques années plus tard ?

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  2. @Thyd : dans le cadre de la stratégie iranienne citée dans cet article, les frappes aériennes sur la flotte que vous évoquez ne me semblent pas apporter une solution miracle. A moins de détruire TOUT ce qui flotte, y compris toutes les embarcations civiles dotées de moteurs, je ne vois pas comment faire cesser la menace contre le trafic maritime dans le détroit.
    De plus, le terrorisme a montré qu'il s'exportait très bien en Europe ou aux USA...

    Horangi

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