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lundi 30 janvier 2012

Pérennité des modes d’action tactiques chinois.


Bien que peu d’informations ouvertes soient disponibles quant à l’évolution des modes d’action tactiques ou opératifs d’une armée chinoise en pleine modernisation, on observe qu’elle change ses équipements, réduit ses effectifs, transforme ses unités d’infanterie à pieds en troupes mécanisées plus mobiles et mieux protégées, tout en inscrivant son entraînement dans une dynamique interarmées (appuis air-sol, actions amphibies ou aéroportées,…)[1].
Parallèlement à ces efforts, Pékin développe des stratégies « anti-accès »[2] qui semblent  négliger le déploiement de forces conventionnelles dans le cadre d’un engagement plus classique au sol. Dès lors, il paraît utile de s’interroger sur la manière dont l’APL[3] envisage de conduire, au XXIe siècle, sa manœuvre tactique, notamment terrestre, d’autant que la dernière guerre conduite face au Vietnam, en 1979[4], a révélé de lourdes carences dans ce domaine. Néanmoins, après une petite étude historique, il nous semble qu’il y ait bien une pérennité dans la conduite tactique des opérations par les militaires chinois, ce qui nous laisse penser, qu’aujourd’hui encore, l’armée de terre chinoise continue à mener sa préparation opérationnelle selon des principes constants.
Pour s’en convaincre, j’ai choisi de faire référence à 4 temps de l’histoire militaire chinoise grâce aux écrits de chercheurs ou d’acteurs en liens avec ces périodes (j’exclus néanmoins les principes particuliers de la guerre révolutionnaire menée par Mao Tse Tung et bien décrits par le général Beaufre[5]) : l’histoire chinoise ancienne[6], les combats menés par Tchang Kai-Tchek[7], les RETEX[8] du bataillon français de l’ONU en Corée de 1950 à 1953[9] et les études américaines pendant la guerre froide.[10]
Nous verrons donc que la tactique chinoise s’appuie sur des principes anciens et qu’elle se construit particulièrement au rythme de l’offensive et de trois procédés fondamentaux.


Des principes clairement énoncés :

Pour toute doctrine, il est nécessaire de s’appuyer sur des principes de la guerre qui sont des points de repères, des axiomes généraux dont découlent les procédés d’exécution. Ces derniers structurent la pensée opérative et tactique des officiers dans la conception des opérations. Si la France s’appuie sur trois principes fondamentaux, les Etats-Unis neuf et les Britanniques dix, l’armée chinoise semble en posséder treize. Pour l’armée du Kuomintang[11] comme pour celle qui franchit le Yalou en 1950 ou celle qui combat les Vietnamiens en 1979 il s’agit de :

-Déterminer un but de guerre (un objectif et un état final recherché clairement établi, à savoir la destruction du potentiel adverse ennemi plutôt que la préservation de zones ou de villes).
-La sécurité (mettre en place une réserve pour disposer en permanence d’un potentiel de combat).
-La mobilité (être capable de concentrer rapidement des moyens, reculer avant que l’ennemi n’avance et poursuivre l’adversaire s’il recule).
-La supériorité locale (attaquer l’ennemi sur un point faible et s’engager avec un rapport favorable de 2 à 6 contre 1).
-L’action offensive (à privilégier sur au moins deux axes d’attaque).
-Définir un objectif tactique unique.
-La flexibilité (adapter les modes d’action au terrain, au rythme de combat, à la situation).
-La surprise (préservation du secret, dissimulation, déception,…).
-L’initiative (sauvegarder la liberté d’action, contraindre l’adversaire à la retraite).
-L’unité de commandement.
-La préparation (phases préliminaires devant façonner le contexte d’engagement pour garantir le succès).
-La confiance (confiance dans la victoire).
-Le maintien du moral (par l’action politique).

Au travers de ces principes, on sent d’ores et déjà une appétence pour les modes d’action offensifs au détriment de la défense du terrain, ainsi que la volonté de garder l’initiative, tant par des actions de déception (mesures passives comme le camouflage), de diversion (ruses) ou encore de prise de l’ascendant moral. Mais ces lignes directrices de l’action se combinent concrètement pour édifier une tactique particulière selon trois axes fondamentaux.

Le dogme de l’offensive :

Déjà Sun Bin, dans son manuel militaire du IIIème siècle avant notre ère, décrit des formations de guerriers conçues pour le combat offensif, à l’instar de celles qu’il nomme « Zhui » (le poinçon). Plus tard, le conseiller allemand des nationalistes chinois, le général Von Seeckt, instruit l’armée du Kuomintang selon les méthodes d’attaque des « Sturmtruppen »[12] comme pendant les offensives de 1918 sur le front français. Mais c’est le commandant Le Mire (du bataillon français en Corée) qui décrit le mieux la tactique offensive chinoise. Cette analyse est confirmée par l’armée américaine en 1984. Ce mode d’action comporte une marche d’approche avec deux unités en tête et une en arrière (triangle base en avant au niveau du corps d’armée comme du bataillon et même de la compagnie). S’en suit la conquête d’une base d’assaut et ce, avant de se lancer vers la conquête des objectifs initiaux. Pour relancer l’action vers l’avant, l’élément au contact agit comme une force de couverture, lançant des attaques localisées pour tromper l’adversaire, confirmer le renseignement et permettre la relance du mouvement par les troupes de second échelon. Ceci est renouvelé, par vagues successives, pour permettre d’agir dans la profondeur du dispositif ennemi.


Une défensive limitée au combat retardateur :

L’action défensive ne semble pas faire partie de la pensée militaire tactique chinoise. Que l’on prenne la bataille de Bai Ju, en 506 après JC, où Sun Tzu aurait vaincu les armées de Chu après une défense mobile suivie d’une contre-attaque, ou que l’on cite les actions retardatrices de Tchang Kai-Tchek face aux Japonais en 1936, les forces chinoises privilégient la « défense fluide » avec un effort sur la valorisation du terrain (mines, obstacles). Celle-ci exclut la mise en place d’une ligne de défense principale ferme, au bénéfice d’un repli progressif d’un élément unique permettant de laisser l’adversaire dans l’incertitude et de collecter des renseignements. Pendant ce temps les deux autres unités (toujours cette structure ternaire) préparent une contre-attaque au moment jugé opportun. Dans le détail et si on étudie l’expérience coréenne les principes de la défensive chinoise sont :
-Un déploiement sur un front étroit mais profond (on sent là encore le poids des techniques enseignées aux Chinois par le général allemand Falkenhaussen dans les années 1930).
-Constitution de points d’appui.
-Emploi de fausses positions (déception).
-Utilisation des armes d’appui feu de nuit ou pour la contre-attaque pour ne pas dévoiler leurs positions.
-La contre-attaque est la phase essentielle de la défensive.

L’enveloppement, l’infiltration et le combat de nuit :

Pour que ces modes d’action soient les plus efficaces possibles, le militaire chinois cherchera en permanence à utiliser des procédés favorisant la surprise, la recherche du point faible et le rapport de forces favorable. Dans ce cadre, dans toutes les périodes historiques étudiées, on retient que les unités doivent exécuter les mouvements, les mises en place et les assauts de nuit pour se prémunir des reconnaissances ennemies et déstabiliser l’adversaire (ascendant moral). De même, les missions d’infiltration devront d’abord concourir aux besoins en informations sur le dispositif adverse tout en coupant les lignes de communication ou l’arrivée de renforts. Enfin, l’enveloppement, qu’il soit double ou simple, permet de trouver le point faible des déploiements que l’on cherche à désorganiser, à saturer sans leur laisser le répit nécessaire pour se rétablir ou retrouver l’initiative. 

Riche de cette perspective historique, on peut imaginer ce que peut être encore la doctrine tactique voire opérative de l’armée de terre chinoise aujourd’hui. Cependant, il, est à noter que certains spécialistes estiment que l’APL, plus que jamais, cherche à exploiter le RETEX des récents conflits, souvent meurtriers, auxquels elle a participé depuis 1945, de la guerre de Corée à la guerre sino-vietnamienne en passant par les affrontements contre les Soviétiques sur les fleuves Amour et Oussouri dans les années 1980. Elle pourrait ainsi faire des efforts pour développer une doctrine interarmes avec des méthodes innovantes combinant les chars, les moyens aéromobiles et l’artillerie. En attendant, elle compte sur le nombre pour submerger l’adversaire considérant peut-être, comme Tchang Gai-Tchek en 1938, qu’elle «  peut lancer la chair et le sang de ses soldats sur les armes ennemies ».

 
Source image : Tout sur la Chine.com.


[1] La modernisation militaire de la Chine- Charles Louis Labrecque, Hugo Bourassa, Gérard Hervouet – Hautes études internationales –Université Laval -juin 2011.
[3] Armée populaire de libération chinoise.
[5] Général Beaufre - Introduction à la stratégie – Editions Pluriel.
[6] Etude et traductions du manuel militaire de Sun Bin.
[7] Etudes de Walter H. Mallory et celles d’Arvo Vercamer sur la mission militaire allemande en Chine de 1895 à 1938.
[8] Retour d’expérience, enseignements tactiques.
[9] Compte rendu du bataillon français de l’ONU – CDT Le Mire - ressources SHD.
[10] Handbook of the Chinese people’s liberation army - Defense Intelligence agency - DDB-2680-32-84 -novembre 1984.
[11] Armée nationaliste de Tchang Kai-Tchek.
[12] Voir l’article de l’Echo du champ de bataille : http://lechoduchampdebataille.blogspot.com/2011/11/imagination-dans-la-guerre-la-tactique.html

1 commentaire:

  1. Difficile de traiter d’un sujet comme celui-là.
    Je pense personnellement que les Chinois sont de grands pragmatiques et qu’ils n’hésiteront pas à modifier complètement leur organisation s’ils en constataient le besoin. Bien sûr, leurs effectifs leur confèrent une certaine inertie, mais ils n’ont pas nos états d’âme d’Occidentaux pour mettre au chômage du jour au lendemain un million de personnes ou réorienter à 180° degré un choix technologique dont d’autres nations (nous par exemple) auraient démontré la faiblesse sur la terrain.
    Aussi, je me méfie beaucoup des constantes chinoises et donc d’une quelconque pérennité des modes d’action tactiques.
    Mais ça vaut le coup de s’y interroger.

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