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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 25 janvier 2012

La guerre sans pétrole : talon d'Achille ou rupture stratégique pour les armées de demain?(1/2)


Alors que l'Union européenne a mis en place un embargo sur les importations de pétrole iranien , que les prix du carburant repartent à la hausse et que Téhéran menace de fermer le détroit d'Ormuz, il m' a semblé pertinent de mettre en ligne un article que j'avais fait paraître au début de l'année 2011 sur le site de l'IFRI et qui peut susciter, à n'en pas douter, le débat parmi vous. Voici donc la première partie de cette réflexion sur l'influence de l'or noir sur les armées contemporaines. Bonne lecture.

Pour Jean-Pierre Favennec, professeur à l’Institut français du pétrole, les hydrocarbures possèdent cette caractéristique particulière qu’ils sont, de nos jours, indissociables de la conflictualité. En effet, ils permettent aux forces armées de conduire leurs missions. Ils constitueraient, en quelque sorte, avec la ressource financière, l’autre nerf de la guerre. En outre, tous les spécialistes de l’énergie s’accordent à dire que, d’ici 50 ans, cette ressource primaire sera soit épuisée, soit largement réduite et ce, au regard de l’augmentation de la consommation de ce début de siècle (croissance de 30 à 40% de la consommation attendue d’ici 2030 selon l’UFIP(1) ). De la même façon, les études prospectives (2) de centres de recherche tendent à démontrer que la part d’énergies renouvelables dans les transports ne dépassera pas, en 2050, 4,5 % du total alors que les hydrocarbures demeureront privilégiés.
Même si la notion est parfois contestée par de grands groupes comme Total(3) , l’avènement annoncé du « Peak oil »(4) entraînerait, à coup sûr, des pénuries, des inégalités, des restrictions ou des transformations structurelles dont les Etats et leurs outils militaires pourraient être les victimes. Il est donc nécessaire de remettre en cause la viabilité des stratégies des Etats, notamment développés, ainsi que des modèles actuels de leurs armées dont les fondements demeurent encore la force mécanique, l’arme aérienne ou navale, toutes dépendantes du soutien pétrolier. Ces moyens motorisés qui demeurent la source de puissance militaire de notre époque pourraient alors, demain, devenir le talon d’Achille des pays développés alors que leur abandon serait un atout pour les Etats moins riches mais disposant d’une forte ressource humaine. Aussi, peut-on légitimement s’interroger sur les évolutions nécessaires pour les armées futures consécutives à cette rupture énergétique. Nous nous interrogerons sur les mesures à mettre en œuvre face à cette échéance qui pourrait rendre les puissants d’aujourd’hui incapables d’utiliser leur outil militaire avec tout leur potentiel, redonnant aux plus faibles un potentiel militaire de taille et provoquant des ruptures stratégiques majeures.

1- La dépendance au pétrole : une faiblesse qui s’amplifie.

L’appétit des armées modernes en hydrocarbures liquides les rendent vulnérables aux effets attendus de l’ère post-pétrole qui pourrait émerger dans les trente années à venir. Ainsi, un rapport d’un « Think tank » américain (5) , daté du mois de septembre 2010 et diligenté par le Pentagone, souligne l’urgence à transformer l’armée des Etats-Unis avant 2040. Ces conclusions viennent d’être relayées par une étude du ministère allemand de la Défense parue dans le journal Der Spiegel, qui rappelle que, si l’échéance semble lointaine, une stratégie d’adaptation doit être lancée dès maintenant.
Les risques identifiés sont de plusieurs ordres. D’abord, le pétrole représente au sein des ministères de la défense occidentaux près de 80% des besoins énergétiques de fonctionnement, permettant les projections de force, le maintien des navires à la mer ou la conduite des opérations terrestres et aériennes. Le département de la Défense américain a d’ailleurs établi que l’augmentation du prix du baril de pétrole d’un dollar provoquait un surcoût budgétaire pour les armées de 130 millions de dollars. En effet, comme les crises contemporaines, la pénurie de pétrole entraine une hausse des coûts et une bataille commerciale pour s’approprier les volumes disponibles (6). On imagine donc aisément les répercussions financières si on en revenait durablement aux tarifs pétroliers de 2003 – soit près de 150 dollars le baril de pétrole brut alors qu’aujourd’hui, il oscille entre 85 et 100 dollars.
Par ailleurs, l’« or noir » provient parfois de pays producteurs dont la diplomatie conflictuelle limite les transactions, ou influe sur les marchés. L’Iran ou le Venezuela, notamment, sont régulièrement épinglés par les Américains qui craignent une flambée des prix dans cette période de récession économique. De même, la dépendance pétrolière peut constituer une source de déstabilisation à l’heure où l’insécurité des routes maritimes et les pipelines font peser des menaces sur l’approvisionnement. Aujourd’hui encore, la crise libyenne, malgré le fait que ce pays ne détient que 3% des réserves de pétrole mondiales, provoque l’envolée des cours du baril. En outre, de nombreuses régions, disposant de gisements ou hébergeant des oléoducs, demeurent crisogènes à l’instar des pays du Caucase ou encore du Golfe de Guinée. Dans ce contexte, l’interruption durable de l’approvisionnement d’un des fournisseurs pétroliers majeurs comme l’Arabie Saoudite (23% des importations de l’UE (7) ) ou le Venezuela (32% des importations des Etats-Unis), pourrait déséquilibrer les budgets de certains pays occidentaux affaiblissant leur potentiel militaire ainsi restreint en carburant pour s’entraîner et se déployer et ce, malgré les réserves stratégiques estimées à 6 mois. Ces dernières sont constituées de stocks dont la gestion est de la responsabilité de l’Etat au profit des services publics mais aussi de la consommation domestique en cas de rupture sérieuse dans la distribution, le raffinage ou l’approvisionnement pétrolier.



Enfin, au combat, le rythme des opérations est contraint par la logistique du carburant. Ceci apparaît en particulier sur les théâtres des conflits asymétriques, les convois étant la cible privilégiée des actions des groupes insurrectionnels. Ainsi, en Irak, une centaine de soldats américains des unités logistiques a été tuée en Irak lors des 19 premiers jours du conflit en 2003, et près d’un millier ont été blessés jusqu’à ce jour (soit près d’un quart des pertes totales) en menant des missions de ravitaillement ou de liaison. Cette vulnérabilité est bien moins prégnante dans les guerres conventionnelles où les unités de soutien, à l’abri derrière la ligne des contacts, bénéficient d’une relative protection, hormis face à des raids aériens ou de forces spéciales. C’est aussi une des raisons pour lesquelles l’armée française, confrontée aux attaques des insurgés afghans sur les convois d’approvisionnement a dû acheter « sur étagère » des camions de transport de fret blindés de type Scannia pour remplacer les traditionnels VTL , aux caractéristiques identiques à celles des gammes commerciales.

2- La difficile mais indispensable adaptation.

Face à ces perspectives préoccupantes, il apparaît important d’investir rapidement et largement dans des programmes de recherche et de développement ayant pour objet de substituer au pétrole de nouvelles énergies ou, du moins, d’améliorer le rendement des moteurs pour les rendre moins consommateurs en carburant.
Il existe pourtant déjà des pistes exploitées et efficaces, à l’instar du développement dans la marine de la propulsion nucléaire, pour les bâtiments de surface comme pour les sous-marins. Cette option demeure le gage de l’efficacité et de l’endurance de ces matériels, même si ce tournant technologique induit des coûts d’entretien très importants, ainsi que de lourdes contraintes de sûreté, pour un mode de propulsion qui n’est pas généralisable à tous les vecteurs.
De même, l’apport de technologies duales issues de l’industrie automobile ne doit pas être négligé. En effet, les progrès dans le domaine du développement durable pour réduire la consommation en hydrocarbures ont généralisé des motorisations peu consommatrices avec l’éthanol ou encore les véhicules à moteurs hybrides. Néanmoins, les performances de ces derniers restent encore loin des critères exigés pour des véhicules de combat. Ainsi des prototypes d’engins électriques militaires ont démontré qu’ils n’étaient pas encore capables de développer, compte tenu du poids du blindage, la puissance nécessaire pour franchir certains obstacles du terrain (pentes, fossés, sols mous,…).
Enfin, le développement de biocarburants dans certains pays émergents peut contribuer à la diversification des sources d’énergie en complément de produits comme le GPL ou de moteurs fonctionnant avec de l’air comprimé. Seuls les Etats-Unis cherchent à développer, au sein du département de la Défense, une stratégie à long terme visant à atteindre le seuil de 50% de carburants alternatifs en 2016 pour leur armée de l’Air notamment. Ils cherchent également à mettre en œuvre un avion de chasse (F18 Hornet) volant avec du biocarburant en 2011, tout en créant dans la marine une Green Task Force regroupant des navires à propulsion nucléaire, ou hybrides. A suivre...

Source image : site spécilaisé photographie Andia.fr.
[1] Union Française des Industries pétrolières.
[2] World Energy Outlook 2010 de l’Agence Internationale de l’Energie.
[3] Qui comptent sur la découverte et l’exploitation de nouveaux gisements qui demeurent, malgré tout, aujourd’hui soit onéreux (schistes bitumineux) soit hypothétiques (réserves arctiques par exemple).
[4] Début du déclin de la production pétrolière parallèlement à une demande croissante.
[5] The Center for a new American Security.
[6] A l’instar de ce qui sepasse actuellement pour obtenir les métaux rares nécessaires aux technologies liées à l’informatique.
[7] Source CNUCED

3 commentaires:

  1. Bonjour.

    Le coût du pétrole impactant lourdement les capacités opérationelles, une diminution de la consommation des matériels est effectivement importante. Mais il est possible de limiter la hausse du coût du pétrole et sa consommation en menant une large politique d'économie dans toute la société (industrie, transport...). Cela permettrait également de diminuer la dépendance et donc les tensions géopolitiques et par conséquent les risques de conflit.
    Une limitation des capacités de transport obligerait à constituer des stratégies essentiellement défensives : fortifications, unités mobiles au niveau tactique/opératif, appuis feu longue distance grâce à l'artillerie... L'armée de l'air risque de perdre de son importance (sauf au niveau spatial via les satellites d'observations)tandis que la marine devrait conserver une capacité opérationnelle relativement importante mais passant par un allégement des navires, une réduction de la consommation (vive la voile et le nucléaire). Pour l'armée de terre, la roue devra être utilisée largement.

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  2. Merci pour ce commentaire fort à propos et je vous soumettrai, dans la deuxième partie de cet article d'ici à vendredi, quelques solutions et réflexions pour parler prospective. Ces idées rejoignent d'ailleurs vos remarques. Merci de votre contribution, à bientôt.

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  3. La guerre pour le pétrole détruit l'Occident
    Les décisions des autorités de l'Argentine et la Hongrie, de renforcer leur souveraineté nationale a une incidence négative sur la domination absolue de l'Occident.

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