Voici un article que j'ai fait paraître la semaine dernière sur le blog de "L'Alliance géostratégique" à laquelle j'appartiens.
Si l’actualité fait souvent
référence à la Syrie
et aux combats qui s’y déroulent entre diverses factions ou forces en présence,
l’histoire permet, une fois encore, de remettre en perspective ce conflit dans
une région qui a, de tous temps, été un enjeu militaire pour diverses armées.
Même si cette zone stratégique historique est bien plus large géographiquement
que les frontières actuelles de l’Etat syrien, force est de constater qu’elle
possède, néanmoins, des caractéristiques pérennes. Celles-ci façonnent, de facto, les modes d’action, l’emploi,
le type, voire l’organisation des unités qui s’y sont battues ou pourraient y
être engagées.
Aussi, nous verrons que, malgré
l’évolution des armements et de l’art de la guerre, c’est bien le milieu
spécifique à la Syrie ,
avec son climat, son relief, ses fleuves et ses agglomérations, qui a influencé la tactique des différents
belligérants qui ce sont succédés sur ce terrain.
L’Antiquité ancienne (XIIème
siècle avant JC) voit déjà s’affronter les armées égyptiennes et hittites lors
de la bataille de Qadesh dont l’enjeu est bien de conquérir les voies de
communication (les forteresses surplombant la rivière Oronte par exemples)
permettant l’acheminement des troupes et, en particulier, des chars à roues qui
forment l’ossature des forces du moment. Le désert ou les zones arides
syriennes permettent clairement la mise en œuvre efficace de cet équipement
particulier, en rase campagne, ainsi que des déploiements compacts facilitant
l’effet de choc sur l’adversaire.
Alexandre le Grand va devoir lui
aussi s’ouvrir les portes de l’empire perse avant son long périple vers l’est
et ce, en conquérant cette région syrienne, entre autres par la saisie rapide
des cités (nécessité logistique) et des accès à la mer. Ces points sont
d’ailleurs, encore aujourd’hui, convoités par la rébellion syrienne ou les
combattants de Bachar al Assad.
Plus tard, la Syrie est conquise par les
légions de Pompée entre 64 et 63 avant JC. Ce stratège va progressivement
commencer la fortification de villes comme Heliopollis (Balbek) puis établir
une ligne de fortins, d’abord sur l’Oronte, et plus en avant, en direction des
oasis du désert méridional (températures extrêmes, tempêtes de sable). Il a
compris l’avantage que représente la chaîne de montagnes dite du Djebel
Ansaryya qui se présente comme une muraille naturelle, aux vallées encaissées,
capable de protéger et de préserver les ressources agricoles de la façade
méditerranéenne (céréales et fruits). Hanté par la défaite de Carrhes face aux
Parthes en 53 avant JC, Marc Aurèle déplace, après étude de la géographie
locale, le « Limes » en
direction de l’Euphrate. Cette ligne concrète doit constituer une base de
départ pour les attaques menées contre l’empire orientale voisin, à l’image de
l’expédition difficile du général Lucius Verus entre 161 et 166 après JC. Les
cités syriennes (Gerasa, Palmyre) sont également perçues, par les forces en
présence de cette période comme des points d’appui ainsi que des nœuds de
communication qu’il faut, tantôt défendre, ou tantôt assiéger puis investir.
Pour s’adapter aux menaces venues
de l’est (invasions barbares) et à un terrain nécessitant une grande mobilité (favorisant
le harcèlement), Rome installe alors ses 2 légions permanentes (III Gallica et IV Scythia) à Samosate et
Zeugma pendant qu’un large contrôle de zone est assuré par des unités
auxiliaires comme l’Alae Gallorum ou
la cohorte Thracum. Ces dernières
sont constituées d’archers et de cavaliers (equitatae)
venus de contrées lointaines ainsi que de Sagi
Harii, troupes d’élite formées par des Syriens de souche connaissant
parfaitement le terrain.
Comme aujourd’hui, des rebellions
éclatent dans certaines cités ou du fait de minorités se sentant plus ou moins
spoliées, à l’instar de Palmyre dont le souverain Odeynath (puis sa veuve) tient tête, pendant plusieurs
années, aux généraux romains tout au long du IIIème siècle. En 636,
les Arabes battent la Syrie Byzantine
à Yarmouk en attirant leurs adversaires pendant 5 jours vers la rivière du même
nom (frontière actuelle avec la Jordanie). Les lourds cataphractaires et
fantassins de Byzance perdent mobilité et orientation suite à un brouillard ou
une tempête de sable, conditions météorologiques locales bien connues qui
permettent aux forces musulmanes de contre-attaquer et ce, malgré une large infériorité
numérique.
Quand arrive le Moyen Age, la Syrie devient terre de
confrontations entre les Croisés et les chefs musulmans. L’un d’entre eux, Saladin,
va ainsi être victorieux lors de la bataille de Hattin en 1187, tirant à lui les
avantages des chaleurs et du manque d’eau dont souffrent les chevaliers occidentaux
dans un désert exigeant mais adapté à ses propres cavaliers nomades. Si les
royaumes chrétiens contrôlent certaines cités ou forteresses, ils sont
rapidement isolés de leurs bases et de leurs approvisionnements, comme de leurs
renforts, par l’action de leurs ennemis arabes et turcs sur les routes, les
campagnes et les voies navigables.
En 1258 les Mongols cherchent à
prendre Damas sans succès mais, en 1408, Tamerlan s’empare de la ville avant
que le sultan ottoman Selim ne batte, en 1516, les Mamelouks à Alep. A chaque
fois, comme actuellement, sur ce territoire si particulier, ce sont les
agglomérations qui sont prises pour cibles car elles représentent les lieux de
décision et les centres économiques ainsi que les portes vers les horizons
orientaux.
En ce qui concerne le XXème
siècle, au cours du premier conflit mondial, les Européens s’allient aux
troupes arabes d’Hussein et de Fayçal grâce à l’action du britannique Lawrence
d’Arabie. Ce dernier a compris que, pour vaincre les Turcs (qui occupent la Syrie et les pays alentours),
il est essentiel de mettre en œuvre une guérilla appliquée sur les centres de
gravité géographiques syriens. Il s’agit bien évidemment des routes pour
l’approvisionnement, des voies de chemins de fer (régulièrement coupées), de la
dispersion des troupes d’Ankara dans des postes multiples (oasis) et de la
capitale, Damas, qui tombe en 1918.
Déçus par les choix politiques de
l’après-guerre, Fayçal tente de s’opposer au protectorat français et décide de
conquérir les montagnes de l’Anti-Liban afin de rayonner sur la Syrie utile et ses débouchés
vers le sud ou l’ouest. Cependant, il sera battu par le général Gouraud le 24
juillet 1920 à Khan Mayssaloum.
Il faudra ensuite attendre ces
dernières années pour voir renaître l’intérêt militaire pour la Syrie. Dès lors, il apparaît
que la guerre civile actuelle se développe sur des objectifs identiques à ceux du passé dans un
environnement difficile (météo et relief) qui provoque de fortes contraintes
sur les opérations : le littoral riche, les cités qui sont des nœuds de
communication, les oasis des zones arides, les fleuves et rivières qui
constituent, avec la montagne, des obstacles naturels. Les unités doivent ainsi être mobiles, frapper l’ennemi puis se
retirer rapidement alors que des effectifs, même limités, entretiennent
l’insécurité ou permettent de tenir des zones habitées importantes.
L’histoire militaire apporte donc, une fois de plus, des clés de
réflexion dans le cadre d’une planification opérationnelle en Syrie et ceci,
quel que soit le type d’armée, ses moyens ou ses ambitions tactiques,
opératives ou politico-militaires.
Source image : Hérodote .net, templiers.net
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