Si
nous fêtons aujourd’hui le 150ème anniversaire de la bataille de
Camerone, chère aux légionnaires, cette commémoration doit être davantage mise
en perspective car elle évoque également une expédition française, peu connue,
peu évoquée ou illustrée et pourtant, très riche en enseignements tactiques.
Il
ne s’agit pas de dénigrer le fait d’armes majeur de la Légion étrangère mais de
dépasser ce combat qui n’engagea qu’une compagnie face à près de 2 000 combattants
mexicains. Certes, Camerone est le symbole de la combativité, du courage et de
l’honneur de ces combattants venus du monde entier qui se battent pour la
France sur tous les théâtres d’opération. Remise dans son contexte, elle montre aussi le professionnalisme et la qualité des troupes impériales malgré le
fait qu’elles faisaient alors face à une armée mexicaine régulière et des
guérillas maîtrisant le terrain ou bénéficiant du soutien de la population.
Il
convient donc de revenir sur cette campagne mexicaine voulue par Napoléon III,
mission d’abord internationale avant d’engager jusqu’à 38 000 militaires
français pendant près de 6 années de combat. Il est surprenant que, jusque dans
les murs du Musée de l’armée à Paris, cet épisode guerrier ne soit presque pas analysé alors que nous démontrerons qu’il propose des réflexions en lien avec la
stratégie (militaire et politique), la tactique et l’emploi des armes, le
commandement, le combat en zone urbaine, la logistique, la contre-rebellion
comme la stabilisation voire « l’approche globale ».
1-Le
contexte et la stratégie.
L’expédition
mexicaine débute par une volonté de Napoléon III de jouer un rôle sur la scène
internationale avec une certaine vision (appelée par les contemporains « la grande pensée du règne ») de ce
que doit devenir ce pays américain. En effet, le Mexique souffre d’une
instabilité politique, d’une violence et d’une misère chronique depuis la fin
de la domination espagnole. Soumis à des « lobbies » divers mais
aussi influencés par des intérêts financiers (le Mexique étant un créancier peu
fiable depuis des années), les gouvernements britanniques, espagnols et français
vont donc créer une coalition (6 300 soldats pour l’Espagne, 3 000 pour la France
et quelques centaines d’Anglais) pour faire pression sur le président mexicain
Juarez. Néanmoins, cette alliance de circonstance, dont les troupes sont
rapidement affaiblies par la maladie (le « Vomito » nom local de la Fièvre jaune), va rapidement
rencontrer ses limites quand les Etats vont diverger sur la durée, les
objectifs (nouveau gouvernement, remboursement des emprunts, accords
commerciaux,…) et les moyens (diplomatie, action de force, …) de l’expédition.
D’emblée, l’effet final recherché n’a pas été clairement défini au-delà des premières
ambitions ni le consensus international permettant d’obtenir les ressources
politiques ou financières de transformer le Mexique. Comme aujourd’hui, les
débats parlementaires sur l’intervention sont tendus à l’image des joutes
verbales entre Thiers et Berryer à Paris en 1864. De même, la presse va
rapidement critiquer l’action des militaires français en les accusant d’exactions
ou de violences disproportionnées, à tel point que les journaux comme « Le siècle », « La revue des
deux mondes », « L’opinion
nationale » ou « les débats »
tiennent le même discours au travers de leurs chroniqueurs comme Prevost-Paradol
ou Forcade.
La
France va ainsi devoir soutenir seule la prise de pouvoir de Maximilien, frère
de l’empereur d’Autriche, plébiscité par quelques ambitieux mais inconnu du
peuple et ce, pour un bien triste bilan à la fin de la campagne (il sera
fusillé).
2-La
tactique et l’emploi des armes.
Face
aux armées dites libérales (troupes fidèles au président Juarez) et ses
généraux pourtant efficaces, le corps expéditionnaire français fait excellente
figure. Que ce soit en 1862 dans sa marche vers l’intérieur des terres depuis
Veracruz dans les « Cumbres »
(collines abruptes fortifiées par l’ennemi), en tentant la prise des fortins de
Puebla ou en 1863 pendant la campagne de l’intérieur lancée par le général
Bazaine. Les unités d’infanterie de ligne, les Zouaves, les Légionnaires, l’artillerie
de la garde, les chasseurs d’Afrique mais aussi les cavaliers du général Du
Barail vont défaire les unités mexicaines souvent bien supérieures
numériquement mais pas assez réactives. La vitesse d’exécution, les marches et
contremarches, les modes d’action fulgurants initiés par les chefs français
rendent inefficaces les tentatives conventionnelles des forces rebelles qui
doivent reculer puis esquiver le contact avec le corps expéditionnaire pour ne
pas être écrasées.
3-Le
commandement et la logistique.
Il
sera, au départ, une des faiblesses du détachement français avec un général de
Lorencez hésitant entre ses consignes politico-militaires reçues de Napoléon
III et sa perception du terrain après son arrivée. Remplacé par le général
Forey, ce dernier montrera un piètre intérêt pour les difficultés de ses hommes
à combattre en zone urbaine comme dans un environnement logistique contraint.
Hésitant tactiquement, montrant peu d’empressement à l’engagement, il laissera
le temps aux troupes mexicaines de fortifier Puebla et d’en faire un piège pour
ses unités. Seule la bravoure puis la clairvoyance tactique de ses subordonnés
lui permettront de rentrer victorieux dans Mexico. Alors qu’il ne réussit pas à
imposer son autorité aux conservateurs mexicains dans la capitale, il est à son
tour remplacé par le général Bazaine, considéré par les soldats comme un chef
charismatique et respecté. Cet officier fera preuve, jusqu’à la fin de l’expédition,
d’une grande diplomatie mais aussi de qualités exceptionnelles en termes de
stratégie.
Côté
mexicain, les partisans de l’Empereur Maximilien voient leurs chefs comme
Marquez par exemple être davantage des chefs de bande ou des opportunistes que
des combattants efficaces. Quant au tout jeune monarque austro-mexicain
lui-même, il se refuse longuement à être un commandant en chef, préférant l’étude
de projets de loi inapplicables ou la transposition du protocole européen au
continent américain à la construction d’une armée nationale solide.
Pour
la logistique, le corps expéditionnaire souffrira des rigueurs du pays (chaleurs,
humidité, relief), des faiblesses des lignes de communication et enfin du peu
de moyens lourds et adaptés pour transporter le ravitaillement de près de 38 000
hommes en campagne. Cette projection de troupes coûtera environ 270 millions de
francs à la France avec pourtant des soldats souvent mal équipés suite aux
défaillances de l’intendance et à la distance avec la métropole. Enfin, pour
combattre les maladies, Paris fera appel au soutien de forces « exotiques »
comme les soldats du bataillon égyptien prêté par le Pacha du Caire, moins sensibles à la fièvre jaune ou aux
sapeurs venus des colonies antillaises ou asiatiques capables de travaux lourds
dans la Sierra.
3-Le
combat en ZURB.
Les
troupes françaises vont connaître à Puebla en 1863 une difficile campagne en
zone urbaine. En effet, dans cette ville avec des rues qui se croisent en
angles droits, les pâtés de maison sont comme de petites forteresses : ce
sont des « quadres »
construits en maçonnerie sur 150 m de long et 50 m de large. Les nombreux
monastères et les églises sont fortifiés, les portes barricadées, les murs
crénelés et des barricades positionnées sur tous les points névralgiques. La
cité sera défendue âprement par les Mexicains qui tiendront tête aux troupes
françaises contraintes de prendre chaque maison, chaque cour au prix de lourdes
pertes. Puebla ne tombera qu’après un siège efficace et montrera qu’il faut
pour l’assiégeant disposer d’artillerie lourde, de sapeurs nombreux et de
poudre (en l’absence d’explosifs pour créer des brêches). Ces leçons seront
retenus car Bazaine, afin de s’emparer de Oaxaca, fait bâtir une route pouvant
amener les plus gros canons et l’approvisionnement nécessaire à l’attaque. Il
fait également construit des tranchées d’approche vers l’enceinte afin de
favoriser l’attaque. Celle-ci n’aura pas lieu car la garnison rebelle se rend
face à cette démonstration de force.
5-La
Contre-rébellion.
Fortement
critiquée en France dans la personne de son chef, le colonel Du Pin, personnage
haut en couleurs vétérans d’Italie et de Chine, elle est très efficace sur le
terrain. Ces « Diables rouges » sillonnent la campagne pour harceler
les guérillas mexicaines qui attaquent les lignes de communication ou créent l’insécurité
au sein des populations comme du corps expéditionnaire. Que ce soient les mercenaires
de Stoeklin ou les cavaliers de Du Pin, ces mexicains, américains ou européens
sont de redoutables adversaires pour les irréguliers qui fin 1864 sont très
affaiblis. Néanmoins, Napoléon III peine à soutenir longtemps les actions
souvent violentes de ces corps francs décrits par le presse comme des criminels
sans patrie. Réduites dans leurs marges d’initiative et privées de certains de
leurs chefs relevés de leurs fonctions, ces troupes perdront de leur utilité
tactique.
6-Reconstruire
un Etat failli.
Le
général Bazaine va inaugurer, malgré les décisions de Maximilien, une forme d’approche
globale dans la reconstruction d’un pays détruit par la guerre civile. Pourtant
l’empereur venu d’Autriche impose sa vision politique en décalage avec la
réalité du pays, sa misère et ses inégalités. Il s’appuie en effet sur une
force de volontaires belges et autrichiens peu aguerris et hais par les
populations locales tout en soutenant des partis politiques sans influence
(Maximilien, en prenant le pouvoir ‘est connu comme plébiscité que de quelques
centaines de milliers d’habitants sur près de 8 millions).
Le
commandant français, pour sa part, fait craindre aux libéraux comme Zamacona en
1864 une adhésion des Mexicains au projet de la France et une victoire à moyen
terme. Dans ce cadre, force est de constater que le corps expéditionnaire a
rétabli les lignes télégraphiques, créé des lignes de chemin de fer, assuré la
sécurité des routes, séduits certaines populations, acquis la confiance de
certaines tribus indiennes tout en contrôlant les principales villes ou zones
habitées. En parallèle, il tente de reconstruire une armée légale avec près de
10 000 hommes et des officiers de mieux en mieux instruits et fidèles au
gouvernement de Mexico. Malheureusement cette situation ne pourra pas perdurer face
à l’incurie de l’administration et une corruption qui va croissante avec les
faiblesses de l’empereur et ce, jusqu’à sa chute en 1866.
Pour
conclure, cette guerre du Mexique bien peu souvent évoquée, demeure un fait d’armes
de l’armée française malgré le rembarquement d’un corps expéditionnaire et l’échec
de l’installation d’un empereur au Mexique. Les succès tactiques n’ont pas
suffi à créer les conditions d’une victoire politique mais ont mis en avant des
enseignements toujours pertinents dans divers domaines de l’art militaire. Au-delà
du symbole de Camerone, rendons hommage aux soldats français qui se sont battus
avec ténacité dans des conditions souvent difficiles face à un adversaire tant conventionnel qu’asymétrique.
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