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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mardi 30 avril 2013

Camerone ou la France en guerre au Mexique (1861-1867).

Si nous fêtons aujourd’hui le 150ème anniversaire de la bataille de Camerone, chère aux légionnaires, cette commémoration doit être davantage mise en perspective car elle évoque également une expédition française, peu connue, peu évoquée ou illustrée et pourtant, très riche en enseignements tactiques.
Il ne s’agit pas de dénigrer le fait d’armes majeur de la Légion étrangère mais de dépasser ce combat qui n’engagea qu’une compagnie face à près de 2 000 combattants mexicains. Certes, Camerone est le symbole de la combativité, du courage et de l’honneur de ces combattants venus du monde entier qui se battent pour la France sur tous les théâtres d’opération. Remise dans son contexte, elle montre aussi le professionnalisme et la qualité des troupes impériales malgré le fait qu’elles faisaient alors face à une armée mexicaine régulière et des guérillas maîtrisant le terrain ou bénéficiant du soutien de la population.
Il convient donc de revenir sur cette campagne mexicaine voulue par Napoléon III, mission d’abord internationale avant d’engager jusqu’à 38 000 militaires français pendant près de 6 années de combat. Il est surprenant que, jusque dans les murs du Musée de l’armée à Paris, cet épisode guerrier ne soit presque pas analysé alors que nous démontrerons qu’il propose des réflexions en lien avec la stratégie (militaire et politique), la tactique et l’emploi des armes, le commandement, le combat en zone urbaine, la logistique, la contre-rebellion comme la stabilisation voire « l’approche globale ».


1-Le contexte et la stratégie. 
L’expédition mexicaine débute par une volonté de Napoléon III de jouer un rôle sur la scène internationale avec une certaine vision (appelée par les contemporains « la grande pensée du règne ») de ce que doit devenir ce pays américain. En effet, le Mexique souffre d’une instabilité politique, d’une violence et d’une misère chronique depuis la fin de la domination espagnole. Soumis à des « lobbies » divers mais aussi influencés par des intérêts financiers (le Mexique étant un créancier peu fiable depuis des années), les gouvernements britanniques, espagnols et français vont donc créer une coalition (6 300 soldats pour l’Espagne, 3 000 pour la France et quelques centaines d’Anglais) pour faire pression sur le président mexicain Juarez. Néanmoins, cette alliance de circonstance, dont les troupes sont rapidement affaiblies par la maladie (le « Vomito » nom local de la Fièvre jaune), va rapidement rencontrer ses limites quand les Etats vont diverger sur la durée, les objectifs (nouveau gouvernement, remboursement des emprunts, accords commerciaux,…) et les moyens (diplomatie, action de force, …) de l’expédition. D’emblée, l’effet final recherché n’a pas été clairement défini au-delà des premières ambitions ni le consensus international permettant d’obtenir les ressources politiques ou financières de transformer le Mexique. Comme aujourd’hui, les débats parlementaires sur l’intervention sont tendus à l’image des joutes verbales entre Thiers et Berryer à Paris en 1864. De même, la presse va rapidement critiquer l’action des militaires français en les accusant d’exactions ou de violences disproportionnées, à tel point que les journaux comme « Le siècle », « La revue des deux mondes », « L’opinion nationale » ou « les débats » tiennent le même discours au travers de leurs chroniqueurs comme Prevost-Paradol ou Forcade.
La France va ainsi devoir soutenir seule la prise de pouvoir de Maximilien, frère de l’empereur d’Autriche, plébiscité par quelques ambitieux mais inconnu du peuple et ce, pour un bien triste bilan à la fin de la campagne (il sera fusillé).
  
2-La tactique et l’emploi des armes.
Face aux armées dites libérales (troupes fidèles au président Juarez) et ses généraux pourtant efficaces, le corps expéditionnaire français fait excellente figure. Que ce soit en 1862 dans sa marche vers l’intérieur des terres depuis Veracruz dans les « Cumbres » (collines abruptes fortifiées par l’ennemi), en tentant la prise des fortins de Puebla ou en 1863 pendant la campagne de l’intérieur lancée par le général Bazaine. Les unités d’infanterie de ligne, les Zouaves, les Légionnaires, l’artillerie de la garde, les chasseurs d’Afrique mais aussi les cavaliers du général Du Barail vont défaire les unités mexicaines souvent bien supérieures numériquement mais pas assez réactives. La vitesse d’exécution, les marches et contremarches, les modes d’action fulgurants initiés par les chefs français rendent inefficaces les tentatives conventionnelles des forces rebelles qui doivent reculer puis esquiver le contact avec le corps expéditionnaire pour ne pas être écrasées.

3-Le commandement et la logistique.
Il sera, au départ, une des faiblesses du détachement français avec un général de Lorencez hésitant entre ses consignes politico-militaires reçues de Napoléon III et sa perception du terrain après son arrivée. Remplacé par le général Forey, ce dernier montrera un piètre intérêt pour les difficultés de ses hommes à combattre en zone urbaine comme dans un environnement logistique contraint. Hésitant tactiquement, montrant peu d’empressement à l’engagement, il laissera le temps aux troupes mexicaines de fortifier Puebla et d’en faire un piège pour ses unités. Seule la bravoure puis la clairvoyance tactique de ses subordonnés lui permettront de rentrer victorieux dans Mexico. Alors qu’il ne réussit pas à imposer son autorité aux conservateurs mexicains dans la capitale, il est à son tour remplacé par le général Bazaine, considéré par les soldats comme un chef charismatique et respecté. Cet officier fera preuve, jusqu’à la fin de l’expédition, d’une grande diplomatie mais aussi de qualités exceptionnelles en termes de stratégie.
Côté mexicain, les partisans de l’Empereur Maximilien voient leurs chefs comme Marquez par exemple être davantage des chefs de bande ou des opportunistes que des combattants efficaces. Quant au tout jeune monarque austro-mexicain lui-même, il se refuse longuement à être un commandant en chef, préférant l’étude de projets de loi inapplicables ou la transposition du protocole européen au continent américain à la construction d’une armée nationale solide.
Pour la logistique, le corps expéditionnaire souffrira des rigueurs du pays (chaleurs, humidité, relief), des faiblesses des lignes de communication et enfin du peu de moyens lourds et adaptés pour transporter le ravitaillement de près de 38 000 hommes en campagne. Cette projection de troupes coûtera environ 270 millions de francs à la France avec pourtant des soldats souvent mal équipés suite aux défaillances de l’intendance et à la distance avec la métropole. Enfin, pour combattre les maladies, Paris fera appel au soutien de forces « exotiques » comme les soldats du bataillon égyptien prêté par le Pacha du Caire,  moins sensibles à la fièvre jaune ou aux sapeurs venus des colonies antillaises ou asiatiques capables de travaux lourds dans la Sierra.

3-Le combat en ZURB.
Les troupes françaises vont connaître à Puebla en 1863 une difficile campagne en zone urbaine. En effet, dans cette ville avec des rues qui se croisent en angles droits, les pâtés de maison sont comme de petites forteresses : ce sont des « quadres » construits en maçonnerie sur 150 m de long et 50 m de large. Les nombreux monastères et les églises sont fortifiés, les portes barricadées, les murs crénelés et des barricades positionnées sur tous les points névralgiques. La cité sera défendue âprement par les Mexicains qui tiendront tête aux troupes françaises contraintes de prendre chaque maison, chaque cour au prix de lourdes pertes. Puebla ne tombera qu’après un siège efficace et montrera qu’il faut pour l’assiégeant disposer d’artillerie lourde, de sapeurs nombreux et de poudre (en l’absence d’explosifs pour créer des brêches). Ces leçons seront retenus car Bazaine, afin de s’emparer de Oaxaca, fait bâtir une route pouvant amener les plus gros canons et l’approvisionnement nécessaire à l’attaque. Il fait également construit des tranchées d’approche vers l’enceinte afin de favoriser l’attaque. Celle-ci n’aura pas lieu car la garnison rebelle se rend face à cette démonstration de force.
5-La Contre-rébellion.
Fortement critiquée en France dans la personne de son chef, le colonel Du Pin, personnage haut en couleurs vétérans d’Italie et de Chine, elle est très efficace sur le terrain. Ces « Diables rouges » sillonnent la campagne pour harceler les guérillas mexicaines qui attaquent les lignes de communication ou créent l’insécurité au sein des populations comme du corps expéditionnaire. Que ce soient les mercenaires de Stoeklin ou les cavaliers de Du Pin, ces mexicains, américains ou européens sont de redoutables adversaires pour les irréguliers qui fin 1864 sont très affaiblis. Néanmoins, Napoléon III peine à soutenir longtemps les actions souvent violentes de ces corps francs décrits par le presse comme des criminels sans patrie. Réduites dans leurs marges d’initiative et privées de certains de leurs chefs relevés de leurs fonctions, ces troupes perdront de leur utilité tactique.
6-Reconstruire un Etat failli.
Le général Bazaine va inaugurer, malgré les décisions de Maximilien, une forme d’approche globale dans la reconstruction d’un pays détruit par la guerre civile. Pourtant l’empereur venu d’Autriche impose sa vision politique en décalage avec la réalité du pays, sa misère et ses inégalités. Il s’appuie en effet sur une force de volontaires belges et autrichiens peu aguerris et hais par les populations locales tout en soutenant des partis politiques sans influence (Maximilien, en prenant le pouvoir ‘est connu comme plébiscité que de quelques centaines de milliers d’habitants sur près de 8 millions).
Le commandant français, pour sa part, fait craindre aux libéraux comme Zamacona en 1864 une adhésion des Mexicains au projet de la France et une victoire à moyen terme. Dans ce cadre, force est de constater que le corps expéditionnaire a rétabli les lignes télégraphiques, créé des lignes de chemin de fer, assuré la sécurité des routes, séduits certaines populations, acquis la confiance de certaines tribus indiennes tout en contrôlant les principales villes ou zones habitées. En parallèle, il tente de reconstruire une armée légale avec près de 10 000 hommes et des officiers de mieux en mieux instruits et fidèles au gouvernement de Mexico. Malheureusement cette situation ne pourra pas perdurer face à l’incurie de l’administration et une corruption qui va croissante avec les faiblesses de l’empereur et ce, jusqu’à sa chute en 1866.
Pour conclure, cette guerre du Mexique bien peu souvent évoquée, demeure un fait d’armes de l’armée française malgré le rembarquement d’un corps expéditionnaire et l’échec de l’installation d’un empereur au Mexique. Les succès tactiques n’ont pas suffi à créer les conditions d’une victoire politique mais ont mis en avant des enseignements toujours pertinents dans divers domaines de l’art militaire. Au-delà du symbole de Camerone, rendons hommage aux soldats français qui se sont battus avec ténacité dans des conditions souvent difficiles face à un adversaire tant conventionnel qu’asymétrique.

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