Ayant
eu la chance de pouvoir consulter certaines archives sur cette unité française
atypique, mais aussi conscient que l’actualité
internationale nécessite d’étudier, sous le prisme de l’histoire, ce théâtre d’opérations
asiatique, j’ai souhaité revenir sur les enseignements connus du bataillon
français de Corée. Ce dernier a combattu aux côtés des troupes de l’ONU et
surtout des Etats-Unis face aux combattants nord-coréens appuyés par de
nombreux volontaires chinois et ce, dans un environnement géographique et
tactique extrême et fortement éloigné du milieu européen.
Nous
verrons donc que si le contexte et l’armement étaient particuliers et propres à
leur époque, les principes de la guerre comme l’emploi combiné des différentes
fonctions opérationnelles ont été mis en œuvre pour obtenir des succès
incontestables sur l’ennemi comme sur le terrain et une météo inhospitaliers.
<!--[if !supportLists]-->1-
<!--[endif]-->La
création du bataillon français.
Le 25 août 1950, le gouvernement français, soucieux
de soutenir l’allié américain mais également les efforts de l’ONU dans la
péninsule coréenne depuis juillet décide, malgré un effort soutenu mené en
Indochine face au Vietminh, la formation d’un bataillon de volontaires pour la
Corée. Secondé par le commandant Le Mire, le général Monclar (héros de Narvik),
qui n’a pas hésité à renoncer à son grade pour prendre le commandement de cette
unité en qualité de lieutenant-colonel, débarque avec ses 1 017 hommes à Pusan
le 29 novembre 1950 où il rejoint le 23ème régiment d’infanterie de
la 2ème division d’infanterie américaine. La structure interarmes de
ce bataillon est héritière des « combat
command » de la seconde guerre mondiale et des « regimental teams »
déployés par l’allié américain. Elle se compose d’une compagnie de commandement
et de services (qui dispose en outre d’observateurs d’artillerie et d’une
section du génie), d’une compagnie dite d’accompagnement (sections de
mitrailleuses, de canons sans recul 75 mm et de mortiers de 81 mm) et de trois
compagnies d’infanterie à 3 sections d’infanterie et une section d’accompagnement
(mortiers de 60 mm et canons sans recul 57 mm) chacune. La plupart des
combattants sont des vétérans du dernier conflit mondial ou issus des colonies.
Ils sont aguerris, parfois indisciplinés mais feront preuve de courage et d’une
force morale extraordinaire face aux épreuves du combat et d’un pays exigeant
au relief de moyenne montagne (sommets escarpés et pitons rocheux ou boisés)
avec un climat éprouvant (neige, pluies diluviennes, températures pouvant
atteindre -40°C).
Au cours de la campagne, il sera également renforcé d’une
compagnie sud-coréenne (ROK) encadré par des Français qui feront une nouvelle
expérience de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui du « mentoring ». Le bataillon comptera
269 soldats français tués au combat, 1 350 blessés, 12 prisonniers et 7
portés disparus sur 3 421 hommes engagés sur les trois années de
déploiement (jusqu’au 23 octobre 1953).
<!--[if !supportLists]-->2-
<!--[endif]-->Le
combat interarmes, facteur du succès.
Les soldats français, comme leurs alliés ont dû s’adapter
aux modes d’action des troupes communistes usant de force manœuvrière, de camouflage,
de combat de nuit, d’infiltrations dans la profondeur et d’assauts massifs
rapprochés d’infanterie. Les unités de Pyongyang, comme les Chinois, sont
capables de rapides mouvements tactiques ou opératifs afin de surprendre l’adversaire,
de l’attaquer puis de se replier et de disparaître du champ de bataille. Le
bataillon a ainsi dû réapprendre la bataille nocturne tant défensive qu’offensive
en bénéficiant d’un large maillage de communications entre unités élémentaires
(filaire principalement à l’époque), d’appui artillerie (éclairant), de
projecteurs puissants (pour aveugler l’ennemi), d’écoute ou de dispositifs d’alerte
avancés (pièges, mines). Dans ce cadre, on observe que la côte 951 fut attaquée
sans succès le 16 septembre 1951, de jour par les Français (14 tués et 40 blessés),
mais prise, de nuit, 2 semaines plus tard (aucune perte). La baïonnette refait
son apparition pour les combats au corps à corps mais aussi comme impact
psychologique sur l’autre belligérant.
La masse blindée, initialement utilisée par les
Américains pour briser l’attaque nord-coréenne, perd rapidement de son efficacité
dans le milieu difficile du pays. De fait, les chars sont alors employés en
binôme avec les fantassins comme appuis mobiles
pour créer des « bouchons » (en fond de vallée ou sur les cols)
mais aussi comme complément (feux et protection) pour les contre-attaques.
Le génie doit apporter son savoir-faire afin de
garantir la mobilité opérative ou tactique des forces de l’ONU en rétablissant
le réseau routier, en l’entretenant face aux intempéries et aux combats mais
aussi en le créant (chemins creusés dans la roche). Le franchissement, dans un pays compartimenté par des cours d’eau
importants, est une exigence pour assurer la liberté d’action d’unités comme le
bataillon français (pont Bailey de près d’un km construit sur la rivière Soyang
en 10 jours en 1952). L’artillerie et les appuis aériens sont, quant à eux, essentiels
dans ce conflit car ils ont permis l’appui des troupes au contact mais aussi le
traitement, dans la profondeur, des regroupements sino-coréens avant les
attaques sur les points d’appui tenus par les franco-américains (bataille de
Chipyong-Ni par exemple). A ce titre, les détachements légers d’observations
intégrés aux unités de mêlée ont permis une boucle courte entre les lanceurs et
les premières lignes, souvent surprises par les assauts communistes. Les feux
indirects venaient ainsi compléter les tirs à vue des canons sans recul
positionnés sur les points hauts ou à flanc de colline, même si l’efficacité
des tirs a pu parfois été remise en cause au regard du ratio
consommation/efficacité (jusqu’à 300 000
coups tirés en 24 heures pour une division).
Concernant la logistique, l’hélicoptère fait ses
premières armes en évacuant des blessés, en assurant des liaisons de
commandement mais aussi, à l’occasion, en permettant le déploiement d’unités de
reconnaissance sur les pitons d’altitude. Les parachutages permettent de
ravitailler les troupes rapidement, malgré le terrain accidenté, à l’image des
5000 tonnes de matériels largués pour la 1ère division de Marines
américaine à Kotori le 7 décembre 1951.
<!--[if !supportLists]-->3-
<!--[endif]-->Les
principes, toujours les principes.
Même si le général Monclar considère lui-même devant
l’ampleur des combats que : « nous
avons fait nos remarques sur le théâtre d’opération le plus difficile, le plus
montagneux, le plus escarpé. L’aviation et l’artillerie y perdent de leur
efficacité. Le char est d’un emploi restreint. L’organisation du terrain
facilite la résistance du petit nombre. Sur ce théâtre qui s’y prêtait, le rêve
de fonder une tactique sur des barèmes universels s’effondre », l’action
du bataillon français de Corée démontre la pertinence du respect des principes
de la guerre pour assurer la victoire.
La liberté d’action tout d’abord apparaît avec la
nécessité de disposer de réserves pour se prémunir de la surprise d’un ennemi
mobile et « furtif ». Mais il faut également souligner la prise des
sommets afin de dominer le terrain et le milieu, s’affranchir des obstacles,
appliquer des feux au plus loin et constituer des points d’appui. Sans compter
les dispositifs de sûreté qui sont installés pour alerter la nuit (infiltrations
adverses) et garantir l’accès aux vallées et aux cols et ce, par le déploiement
de moyens blindés. Enfin, notons la garantie de disposer de lignes de
communication et de ravitaillement adaptés à une armée moderne.
La concentration des efforts se caractérise par l’emploi
de moyens d’appui-feux conséquents au plus près des troupes mais aussi par une
mobilité opérative et une logistique permettant de déplacer le centre de
gravité d’une armée ou de saisir les opportunités. Face à l’adversaire, il s’agit
de faire preuve d’ubiquité pour le surprendre puis de prendre l’ascendant moral
et physique sur lui.
Enfin, l’économie des moyens est illustrée par une
structure interarmes souple et adaptable faite d’unités modulaires, de forces
régulières ou locales (ROK) dotées de moyens d’appui adaptés aux conditions
tactiques (canons sans recul, mortiers, génie). La présence des observateurs d’artillerie
aux côtés des fantassins, l’emploi du char dans certaines circonstances comme
les prémices de l’hélicoptère démontrent la force de la coopération entre les
fonctions opérationnelles.
Pour conclure, l’action méconnue mais remarquable du
bataillon de Corée, dans un conflit violent et dans un milieu défavorable à l’engagement
d’une armée conventionnelle, prouve que les principes tactiques, adaptés au
contexte, à la menace et au terrain, permettent de remporter des succès. Il y a
donc lieu d’anticiper l’engagement et le déploiement d’une force dans un
théâtre d’opérations tel que celui-ci, en particulier en faisant appel aux
enseignements de l’histoire militaire.
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