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dimanche 2 juin 2013

Campagne de Pologne en 1939 : quand la tactique déséquilibre la stratégie (fin).


Nous achevons notre évocation de la campagne de Pologne en 1939 et les interactions entre stratégie et tactique qui la caractérisent.
 
4. Le déroulement de la campagne.
 
Le plan allemand consiste en une attaque surprise associant rapidité et offensive multi-directionnelle. Le général von Brauchitsch, commandant en chef, résume son idée de manoeuvre dans son ordre d'opérations : "L'objectif est la destruction des forces armées polonaises. L'opération consiste à envahir par surprise le territoire polonais pour prévenir toute tentative de mobilisation et de concentration de l'armée polonaise et à détruire le gros de son armée, situé à l'ouest de la ligne Vistule-Narew, par deux attaques concourantes, l'une venant de Silésie et l'autre de Poméranie et de Prusse orientale. Il ne faut tenir aucun compte d'une éventuelle intervention ennemie venant de Galicie". On sent clairement l'héritage clausewitzien allemand avec la recherche de la bataille décisive sans compter un attachement aux éléments structurants de la tactique, à savoir l'intérêt porté au terrain (cadre espace-temps), le choix du mode d'action, la recherche de la surprise (attaque depuis la Prusse orientale notamment) et la concentration des efforts sur les moyens militaires, sans prendre en compte le potentiel industriel, politique ou autre.
Côté polonais, la perception du conflit à venir est toute autre et s'inscrit dans une vision plus stratégique avec un déploiement de forces qui doit permettre de durer dans une guerre qui s'annonce longue (une fois que les Alliés prendront l'offensive à l'ouest).

Dans ce cadre, le chef militaire polonais, le maréchal Rydz-Smigly écrit : "Mon projet de manoeuvre est basé sur l'hypothèse d'une attaque du gros des forces allemandes contre la Pologne. Mon plan de défense a pour but de parer à la destruction de nos unités avant l'offensive de nos alliés à l'ouest, en infligeant les plus grandes pertes possibles aux Allemands, en défendant certaines zones indispensables à la conduite de la guerre et en exploitant toutes les occasions de contre-attaquer avec nos réserves. Je dois accepter la perte de certains territoires polonais au début de la guerre. Mais ils seront reconquis par la suite. Quand la pression sur le front polonais diminuera à la suite des activités déterminantes et sérieuses des Alliés, j'agirai en fonction des circonstances".
On sent la volonté de protéger les centres vitaux du pays sur le long terme en s'appuyant sur les coupures humides et un déploiement dans la profondeur. Ainsi, comme le résume la carte ci-dessous, 3 armées sont en première ligne, soutenues par des réserves alors que 2 groupes sont en flanc-garde au sud comme au nord. Si ce plan paraît cohérent d'un point de vue stratégique, il prive l'armée polonaise de toute liberté d'action tactique et ce, d'autant que son équipement demeure, en 1939, ancien et obsolète (une seule brigade blindée et de nombreux chars FT17 datant de 1918 en appui des unités d'infanterie).
 
 
Quand les opérations débutent le 1er septembre 1939, l'armée polonaise n'a pas achevé sa mobilisation générale (seules 50% des divisions sont en ordre de marche) et les Allemands surprennent Varsovie en attaquant de l'ouest et du nord. Berlin a d'ailleurs concentré ses meilleures forces (blindées) au sein de la Xème armée. Pour l'Allemagne, le centre de gravité adverse à atteindre est clairement la Vistule qui, une fois conquise, permettra de fragmenter le rideau défensif polonais, de fixer les armées puis de les détruire.
Le plan allemand se déroulera parfaitement avec même une action d'envergure imprévue mais faite de la saisie des opportunités par les unités venant du nord et de Prusse.
 
Chronologie simplifiée :
 
01/09 Bombardement naval et aérien sur Varsovie et Westerplatte.
02/09 Percée allemande à Wielun.
03/09 L'armée de Lodz commence son repli. L’Armée Poznan demande à attaquer les flancs allemands, demande refusée, la 10ème armée allemande franchit la Warta, la 14ème approche de Cracovie.
04/09 Repli de l’armée Modlin, franchissement allemand de la Narew.
06/09 Poussée générale allemande vers Varsovie et vers la Roumanie – ordre polonais de repli vers la ligne Narew-Vistule-San. Transfert du PC polonais à Brest Litovsk.
07/09 Effondrement de la ligne de défense polonaise, repli vers le Boug.
08/09 Une division blindée allemande atteint les faubourgs sud de Varsovie (225 km en 7 jours)
09/09 Tentative de contre-attaque des armées Poznan et Pomorze dans la région de Bzura (allemands repoussés de 20km).
11/09 Les Allemands progressent au sud-est et franchissent la San – bataille de Bzura.
13/09 Echec de la contre-attaque polonaise sur Lowicz.
14/09 Les troupes allemandes franchissent la Narew et s’approchent de Varsovie, 19ème corps de Guderian atteint Brest Litovsk.
15/09 L’armée Poznan est encerclée à Kutno, et l’armée Pomorze se met en défensive.
16-17/09 Encerclement de Varsovie – attaque des Soviétiques.
18/09 Fin de la bataille de Bzura (19 divisions polonaises encerclées). Varsovie est attaquée – Les Soviétiques font leur jonction avec les Allemands à Brest Litovsk.
A compter du 20 septembre réduction des poches de résistance polonaises par les Allemands.
23-25/09 Bombardement et attaque de Varsovie (9 divisions allemandes, 150 batteries d’artillerie, 400 bombardiers).160 000 soldats polonais sont faits prisonniers.
6 octobre Reddition des derniers soldats polonais à Koch.
 
Pour conclure, il apparaît, au travers de la campagne de Pologne de 1939, que les principes tactiques allemands : liberté d'action (par la vitesse, la mobilité et plusieurs axes de progression), concentration des efforts sur l'armée polonaise et la Vistule, économie des moyens (masse blindée concentrée sur les 10ème et 14ème armées), vont déséquilibrer les principes stratégiques polonais : liberté d'action (défendre dans la durée en attendant l'intervention des alliés), concentration des efforts sur les centres industriels ou politiques et sur les frontières, économie des moyens (réserves en second échelon n'intervenant que dans une phase ultérieure).
Il en ressort que la manière dont on conçoit la guerre, les moyens dont on dispose et, in fine, la doctrine associée influencent la  conduite les opérations. Il est donc important de confronter sa propre mise en oeuvre de l'art de la guerre avec celle de l'ennemi afin de se prémunir d'une réaction inadaptée. Il est intéressant d'ailleurs de constater, qu'en 1941, les Allemands commettront, à leur tour, les erreurs des Polonais en considérant que leur manoeuvre tactique pourrait venir à bout rapidement de l'ogre soviétique pétri de concepts opératifs maîtrisés et soutenu par le "général hiver" et un théâtre d'opérations aux échelles démesurées.
 
Frédéric Jordan

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