Les armées occidentales semblent privilégier, sur les théâtres d'opérations contemporains, la reconstruction des armées locales afin de désengager, au plus tôt, leurs corps expéditionnaires. Que l'on parle de "mentoring", de formation ou encore d'assistance militaire, l'objectif demeure le développement de forces légitimes, efficaces et débarrassées de toute influence partisane.
Cette idée n'est pas nouvelle et a déjà été mise en pratique par les Etats-Unis dans le cadre de leur stratégie d'influence sur le continent sud-américain issue de la doctrine Monroe. Pourtant si ces initiatives ont été des succès opérationnels à court terme, ils sont demeurés des échecs institutionnels dans la durée.
Après que les troupes de Washington aient battu les Espagnols en 1899, le gouverneur de Cuba, le général Wood, dissout l'armée de libération cubaine qui avait soutenu l'intervention américaine mais qui avait montré de piètres valeurs combatives. De plus, ces combattants s'étaient rendus coupables d'exactions, de pillages et de corruption. Le capitaine Slocum, officier américain, est alors chargé de créer une toute nouvelle "Rural Guard", forme de gendarmerie aux moyens élargies (artillerie, cavalerie). Ces unités, appuyées par l'US Army, tissent un maillage territorial efficient mais aussi sécurisent les campagnes grâce à un recrutement (10 000 hommes) de qualité. Elle peut compter également sur le soutien des élites rurales qui y voient l'opportunité de protéger les plantations et le cœur économique de Cuba. Quand les dernières troupes américaines se retirent en 1902, la "Rural Guard" semble tenir ses promesses jusqu'aux lourdes difficultés à maintenir l'ordre au moment des troubles sécuritaires qui entourent les fraudes électorales de 1906. Les Etats-Unis sont contraints d'accepter d'intervenir à nouveau et décident de faire encore appel aux officiers qui avaient conseillés la jeune force de sécurité cubaine. Malheureusement, les oppositions politiques internes à Cuba imposent aux militaires américains de créer, en parallèle de la "Rural Guard" une armée régulière (symbole de souveraineté). Les efforts tant budgétaires qu'humains, voire opérationnels, sont alors partagés entre ces deux entités qui finissent par s'opposer et par rejoindre telle ou telle faction. De fait, privées de leur neutralité et de leur crédibilité, ces forces périclitent dans les années 1920.
Au Nicaragua, le débarquement des Marines est, quant à lui, justifié par le conflit que se livrent les armées conservatrices et libérales après des élections contestées de 1927. Les soldats américains obligent les belligérants à rendre les armes et commencent à mettre sur pieds une "garde nationale" constituée de combattants issus des deux camps. Elle est rapidement mise à contribution par Washington pour lutter contre la guérilla du général Sandino qui refuse l'ingérence étrangère. La garde nationale, bien formée, connaissant le terrain, se révèle un redoutable outil de contre-insurrection au détriment de la formation de ses cadres. Aussi, quand les Marines terminent leur retrait en 1933, l'officier nicaraguayen le plus gradé est seulement lieutenant et personne ne peut s'imposer comme chef pour maintenir le niveau technique ou tactique des combattants. A l'instar de Cuba, malgré les propositions et les écrits de jeunes officiers comme le capitaine Hanna, les Etats-Unis n'inscrivent pas leur action de "mentoring" sur le long terme (en refusant par exemple de former l'encadrement de jeunes officiers sud-américains à Westpoint). Quant au corpus juridique des institutions militaires, au recrutement, à l'avancement ou à l'organisation du commandement, ils sont sommaires et insuffisants pour bâtir des fondations solides pour les armées de ces deux pays. Plus largement, aucune réforme politique profonde n'est engagée pour stabiliser les jeunes démocraties qui restent des instruments de la diplomatie américaine dans une région de plus en plus stratégique (Caraïbes, canal du Panama).
Pour conclure, on observe donc une réelle efficacité dans la formation de troupes nationales par une armée occidentale, succès tactique et opérationnel qui dissimule une incapacité à transformer profondément la culture locale comme le contexte politico-social du moment. Une fois de plus, ces exemples démontrent, s'il en était besoin, la nécessité de planifier, sur une échelle de temps longue, les initiatives de stabilisation et de normalisation sécuritaires d'un pays en crise et ce, afin d'assurer la solidité de ce qui est construit.
Frédéric Jordan
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