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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 26 juin 2013

Enseignements stratégiques et tactiques : la vision du général Marshall (fin).


Nous achevons notre série d'articles consacrés à l'analyse militaire de la seconde guerre mondiale par le général Marshall, alors chef d'état-major des armées américaines.
 
Le prix de la victoire.
 
Le général Marshall constate que, malgré l'effort de guerre allié et une supériorité incontestée sur les forces de l'Axe en termes de puissance de feu, les Etats-Unis auront perdu près de 772 626 hommes dont 160 045 tués en Europe mais aussi 170 596 soldats dont 41 322 morts dans le Pacifique.
Cela représente davantage de pertes qu'au moment de la guerre civile américaine (1861-65) réputée pourtant meurtrière avec 184 594 combattants mortellement touchés. 
Après un premier semestre 1944 où  les Américains perdirent jusqu'à 13 700 hommes par mois en Italie, dans la foulée du débarquement de Normandie, le taux atteignit entre 48 000 et 81 000 soldats mis hors de combat mensuellement. Les unités les plus exposées furent les divisions combattantes (81% du total des pertes) et les équipages d'avions (campagnes de bombardement).

Pour l'armée de terre, il s'avère que l'infanterie, qui ne comprenait que 20,5% des forces totales engagées, aura subi 70% des pertes totales. Ceci met en avant l'échec partiel des bombardements stratégiques défendus par des généraux comme Harris persuadés, à l'instar de certains penseurs contemporains, que les campagnes aériennes peuvent, à elles seules remporter la victoire. Les Allemands, les Italiens et les Japonais de leur côté perdirent 1 592 600 tués, 303 700 blessés (perte de capacités permanente) et 8 150 447 prisonniers. Il apparaît une disproportion flagrante en ce qui concerne l'attrition des forces.
Marshall souligne ensuite les grands progrès dans le traitement des blessés par les services médicaux militaires qui ont permis de réduire le taux de mortalité sur le champ de bataille, mais surtout de permettre le réengagement de 50,8% des hommes blessés après une période de soins. Dans ce cadre, un effort tout particulier a également été mené par près de 90 000 médecins et infirmières pour gérer la pathologies infectieuses et les épidémies sur des théâtres d'opérations difficiles ou lointains (typhus, dengue, fièvre jaune,...).  De même, les "cas de névrose" causés par la bataille ont fait l'objet d'une attention nouvelle toute particulière et ce, afin que 20 à 30% des blessés "psychologiques" puissent retourner au combat. Comme aujourd'hui, 25 centres spéciaux pour convalescents ont été mis en place afin de faciliter le retour des blessés dans la vie civile (surtout les plus gravement touchés devant s'approprier des prothèses).
Quant au moral de la troupe il s'est rapidement avéré essentiel de le maintenir en créant une section de l'information et de l'éducation appuyée par les officiers dits "des services spéciaux" pour organiser les programmes récréatifs et améliorer les rudes conditions de vie du soldat. Ainsi, furent distribués 4 000 000 de livres et 10 000 000 revues tout comme de nombreux films ou spectacles mais aussi, de manière plus pragmatique, des guides de poche (connaissances linguistiques, géographie, hygiène ...) pour répondre  aux interrogations des soldats projetés loin de chez eux (et de leurs repères culturel quotidiens). A chaque fois que possible les talents des soldats enrôlés ont été mis à contribution dans les domaines artistiques ou sportifs pour innover et improviser le cadre de vie quotidien. Des cours par correspondance ont, de la même façon, été prodigués à 1 million de soldats (algèbre, chimie, histoire,...), initiative complétée par  l'établissement d'une école technique centrale (2 mois de cours) en Angleterre et d'une université "provisoire" à Shrivenham. Le chef d'état-major insiste sur ces outils tournés vers l'avenir et permettant une démobilisation plus facile ainsi qu'une réinsertion accrue dans la vie civile.
Il salue l'effort logistique des services mais aussi l'organisation du commandement organique dans la montée en puissance de l'armée américaine et son entretien tout au long de la guerre. En effet, le  ravitaillement s'est fait au moyen d'une flotte de 1537 navires,  3700 cantonnements ont été aménagés sur le territoire des Etats-Unis, 7 370 000 hommes et 101 750 000 tonnes de fret ont été transportés ainsi que 9 083 000 personnes soignées dans les hôpitaux militaires. On oublie bien souvent le rôle du soutien qui demeure pourtant un levier essentiel de la planification opérationnelle.
Pour conclure son rapport, le général Marshall développe ses préoccupations en lien avec la démobilisation et le désarmement de son pays, tant technique, humain que stratégique face à un monde qu'il considère encore dangereux pour son pays. Conscient qu'une armée de masse professionnelle est d'un coût prohibitif, il propose de garder un corps de soldats de métier, une garde nationale mais surtout de mettre en place un "entraînement universel" (différent du service national) pour tous les jeunes américains  afin de garantir une capacité rapide de remontée en puissance et une transmission de l'expérience acquise par les vétérans. Quelques années plus tard, en 1950, la guerre de Corée démontrera qu'il avait vu juste quand Washington sera obligée de constituer, en hâte, une force d'intervention de bric et de broc pour tenir la poche de Pusan puis débarquer à Inchon...
 
Frédéric Jordan

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