Pour ce dernier article de l’été
(nous y reviendrons à la rentrée) consacré à l’armée Rouge, j’évoquerai la
vision tactique du combat en zone urbaine telle qu’elle était perçue par les
militaires soviétiques. Ces derniers considèrent, de manière surprenante, que
la conquête par la force des villes ou des concentrations de peuplement n’est
envisagée qu’en dernière extrémité et ne doit se faire que sur un rythme
soutenu afin de ne pas ralentir la progression.
Nous verrons donc que la
réflexion interarmes est certes déjà aboutie pour l’époque mais que les modes
d’action demeurent, pour ce milieu complexe, simplistes et linéaires, tout en
marquant un héritage fort vis-à-vis de l’expérience issue du dernier conflit
mondial.
Après avoir énoncé les
généralités de la vision soviétique de la guerre « en zone urbanisée » (pour utiliser le terme employé dans les
écrits militaires), nous détaillerons la doctrine générale avant de développer certains
procédés de combat à l’échelon tactique.
1-Généralités
L’armée Rouge, dès 1970, est
consciente de l’extension de l’urbanisation avec l’apparition de villes
nouvelles (plus étendues et plus aérées) mais également dotées d’un réseau de
communication plus complexe. Tout commandant d’unité soviétique apprend qu’il
rencontrera en offensive une ville moyenne tous les 50 km environ.
Il est sensé l’analyser selon 4 critères :
Il est sensé l’analyser selon 4 critères :
- Les dimensions de
l’agglomération (exemple : une ville de 100 000 habitants fait en
moyenne 8 km
de diamètre).
- Le tracé des rues avec 6 types
de système (voir ci-dessous).
- Les points clés (usines,
administration, télécommunications, carrefours, ponts,…).
- L’organisation générale (ville
ancienne avec rues étroites, caves,… ou industrielle, avec constructions
légères, structures métalliques,…).
En conséquence, les publications
militaires en URSS font état que ce milieu urbain est favorable aux unités
blindées et mécanisées, ce qui paraît surprenant et ce, malgré quelques
limitations. Ces dernières sont principalement des restrictions en termes
d’observation, d’orientation, de manœuvre et de tirs aux armes modernes
(missiles,…). De même, l’ennemi peut créer de solides points d’appui à partir
des immeubles et favoriser l’émiettement des combats en
« micro-batailles » à très courte portée. Ceci implique des progressions difficiles (plusieurs niveaux et
plusieurs vitesses), des liaisons radio aléatoires, des feux d’artillerie
compliqués à mettre en œuvre, une surconsommation de munitions et finalement
une certaine vulnérabilité aux retours offensifs de l’adversaire sur les flancs
et les arrières.
Il est intéressant de noter que
les Soviétiques estiment, de manière très contemporaine pour les années 1960,
que les troupes occidentales souffrent, pour leur part, d’une gêne majeure dans
la défense des villes, du fait de la présence de populations civiles entraînant
des règles d’engagement contraignantes.
2-Doctrine générale
La conquête d’une zone urbanisée
reste une option de dernier recours au regard des Soviétiques si le
contournement ou le franchissement rapide sont impossibles. Elle est décidée
principalement quand l’agglomération est située sur un axe d’effort ou si elle
constitue un objectif opératif voire stratégique.
Les buts à atteindre édictés par
les règlements militaires sont, au
mieux, devancer l’ennemi sur les points clés en lui interdisant de s’installer
en défensive, au moins, encercler tout ou partie de la zone puis organiser un
siège jusqu’à la capitulation et, en dernier ressort, prendre d’assaut la
ville, quartiers après quartiers.
De cet état final recherché sont
exprimés plusieurs principes :
-planification d’opérations très
mobiles et rapides (débordement, infiltration,…) ;
-décentralisation du commandement
aux petites unités progressant dans des couloirs parallèles ;
-large recours aux débordements
par le 3ème dimension (actions héliportées) ;
-obtenir un rapport de forces
favorable (6 à 8/1 en artillerie, 3 à 4/1 pour les forces interarmes) ;
-intégration interarmes à tous
les niveaux ;
-mise en infériorité psychologique
des populations et des défenseurs (intimidation, propagande, démoralisation,
panique).
Concernant l’articulation des
unités, l’organisation interarmes descend jusqu’au niveau du groupe de combat
(équipes lance-flamme, petits matériels génie,…).
Le bataillon de fusillers
motorisé (BFM) est le pion de base de la manœuvre en ZURB. En autonome, il agit
en « détachement avancé »
pour devancer l’ennemi, en « avant-garde »
pour le poursuivre ou le déborder, en « détachement héliporté » afin de contrôler les points clés
comme détruire les postes de commandement.
Au sein d’un régiment, ce BFM est
constitué en « détachement d’assaut »
avec des renforcements particuliers (compagnie de chars, groupe d’artillerie,
compagnie anti-chars, section sol-air, compagnie de génie, matériels de lutte
contre l’incendie et détachement lance-flamme). Comme on peut le voir sur le
schéma suivant, le détachement d’assaut progresse sur un seul échelon le long
de plusieurs rues parallèles (1 compagnie ou « groupe d’assaut » par axe selon un dispositif plus profond,
comme le préconise les Polonais).
Ce déploiement paraît très figé,
manquant de souplesse et de sureté quant aux exigences de liberté d’action
propres à la zone urbaine.
3-Procédés de combat
particuliers
Pour rentrer dans le détail
tactique de cette doctrine soviétique en ZURB, nous allons développer la
conquête d’un groupe d’immeuble par un « détachement d’assaut ».
Reconnaissances et préparation :
-Etude des plans (cartes,
photos), des postions adverses, des approches (rues, passages souterrains), des
axes de contre-attaque possibles.
-Recueil de l’information (unités
spécialisées).
-Ordre initiaux donnés depuis un
poste d’observation.
-Mesures de coordination établies
(couverture, tirs d’artillerie directs et indirects, signaux de reconnaissance,
position des PC,…).
-Installation du PC du bataillon
à 200 ou 300 mètres
derrière les « groupes d’assaut »,
déploiement dans des bâtiments élevés de 2 à 3 équipes d’observateurs
directement reliées au PC.
Appuis :
-Tirs indirects d’artillerie aux
ordres du régiment ou de la division pour neutraliser les abords et faire de la
contre-batterie (durée de tirs 5 à 20 minutes).
-Tirs directs étagés en
hauteur : au sol des chars des canons et des LRM sont adaptés au bataillon
et progressent en « dominos »
pour ouvrir des brèches, neutraliser les positions adverses repérées ou appuyer
les lignes de débouché ; dans les étages des mitrailleuses, tireurs
d’élite et lance-roquettes pour couvrir les abordages de l’infanterie ;
sur les toits des mortiers et des lance-grenades automatiques pour interdire
les itinéraires d’approche, les carrefours et les tranchées ; au dessus
des hélicoptères d’attaque.
Assaut :
En 4 temps.
-mise en place d’une base de
départ à partir d’un bâtiment voisin ;
-abordage des lisières par des
fantassins appuyés par des chars et des lance-flammes ;
-assaut et pénétration
directement par les premiers étages ou les toits avec contrôle des escaliers et
des accès au sous-sol (les blindés pénètrent dans les cours et jardins pour appuyer
par le feu l’infanterie) ;
-nettoyage en partant
simultanément du haut vers le bas puis reprise de la progression.
On perçoit l’héritage de la
deuxième guerre mondiale avec un déploiement linéaire et un combat systématique
qui manque parfois de la souplesse nécessaire à l’adaptation au terrain. Les
raids blindés ne sont pas évoqués (l’exemple de Falloudjah démontre que c’est
possible en ZURB), l’appui aérien peu marqué, l’action du génie faiblement
détaillé (quoique que considéré comme essentiel), la manœuvre logistique
(blessés, carburant, eau, …) ignorée, et l’emploi des réserves à peine décrit.
En conclusion, cette doctrine
tactique en milieu urbanisée, bien que réfléchie du point de vue de la
coopération interarmes ou de la coordination des moyens, met en avant des
groupements tactiques bien équipés mais qui travaillent selon des schémas (progression
linéaire, préparation d’artillerie) anciens et difficilement efficaces face à
un adversaire mobile, bien appuyé, agissant e jour comme de nuit dans un
terrain qu’il maîtrise. A vouloir privilégier la vitesse, les Soviétiques en
oublie le bréchage, la surprise, la sûreté, la notion de durée, l’attrition des
unités et la consolidation des gains territoriaux ou des axes de progression.
Cette pensée militaire sans
originalité, qui laisse de côté certains principes tactiques et logistiques
élémentaires, pourrait fort bien expliquer les premiers échecs des offensives
russes à Grozny en Tchétchénie au cours des années 1990.
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