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mardi 27 août 2013

Singapour 1941-1942 : le Sedan britannique.


Le 15 février 1942, le général Percival, qui commande les troupes britanniques en Malaisie, donne sa reddition aux Japonais alors que l'on considérait Singapour comme une forteresse inexpugnable.  
De la même facon, si l'armée française de 1940 concentre souvent les critiques quant à son incapacité à arrêter la "guerre éclair" allemande dans les Ardennes, "les soldats de sa Majesté" démontrent, en décembre 1941, qu'ils souffrent des mêmes insuffisances matérielles, psychologiques et tactiques face à une force japonaise manoeuvrière et audacieuse.
Nous verrons donc, au travers de cette évocation historique, que les Britanniques en Malaisie, comme les Français de Sedan, font montre d'une mauvaise analyse du terrain, d'une sous-estimation de leur adversaire, d'un système défensif inefficace, d'un matériel défaillant et finalement d'un commandement dépassé.

L'arrogance et l'impréparation britannique

Alors que la Malaisie et Singapour sont menacées par l'expansionnisme nippon et que le général Wavell qui commande les forces d'Extrême-Orient milite pour renforcer cette position, le commandant de la place, le général Percival, demeure inactif. En effet, cet officier manque de charisme et d'applomb face aux poids des responsabilités. De son point de vue, préparer la défense de la péninsule nuirait au moral des troupes comme des civils. Aussi, décide-t-il de s'en tenir aux pièces d'artillerie de gros calibre sensées protéger Singapour de toute invasion de la mer. Dans son état-major, personne n'envisage le fait que les Japonais puissent s'infiltrer dans la jungle malaise pour attaquer la péninsule par le nord. Cette analyse fait fi des évolutions récentes de la forêt qui est maillée par de nombreuses pistes carossables. Celles-ci ont été percées afin de faciliter le commerce du caoutchouc dont le pays fournit 38% de la production mondiale. La Grande-Bretagne dispose de 140 000 hommes (Australiens et troupes indiennes des forces du Commonwealth), de nombreuses pièces d'artillerie mais d'aucun char et de quelques 150 avions vétustes. Les unités sont mal entraînées, rarement à effectif complet et elles se révèlent surtout démoralisées par l'inaction comme par l'absence de préparatifs (à l'inverse de ce que Pecival cherchait à obtenir !).

L'attaque japonaise

Le général Yamashita, pour sa part, reçoit la mission de conquérir la péninsule malaise. Il dispose pour cela de 70 000 hommes, de 200 chars, de moyens amphibies conséquents et de plus de 600 avions modernes. Ces hommes sont des vétérans de la campagne chinoise et sont pourvus d'équipements adaptés au terrain comme les 6000 bicyclettes (permettant aux combattants de transporter 40kg de matériels dans la jungle) ou le détachement d'un régiment du génie (franchissement des coupures humides) pour chacune des divisions interarmes.


Le 8 décembre 1941, les forces nipponnes débarquent en Malaisie (Kota Baru) et en Thailande (Singora) afin de converger vers le sud selon deux axes d'attaque. Les Britanniques sont surpris et tentent de résister. L'armée de l'air japonaise obtient rapidement la maîtrise du ciel en détruisant les avions ennemis au sol, ou en l'air, mais également en s'emparant des bases aériennes avancées comme Alo Star par exemple. Le Royaume-Uni tente, en réponse, d'envoyer deux croiseurs, le "Prince of Wales" et le "Repulse", sur la façade orientale afin d'appuyer ses troupes. Malheureusement, les bâtiments sont détruits le 11 décembre en moins de 2 heures par des avions en piqué japonais. Le général Percival essaie alors de mettre en place des lignes de défense successives pendant plusieurs semaines mais ce choix se révèle inefficace. Les hommes de Yamashita bousculent leurs adversaires grâce à une tactique audacieuse associant vitesse, choc et manoeuvre. A chaque fois, un assaut frontal d'infanterie (plutôt nocturne) appuyé par des blindés et des avions d'attaque au sol est suivi par un débordement via la jungle ou grâce à une opération amphibie sur les arrières des défenseurs. Les Britanniques perdent l'initiative et subissent ce rythme effreiné malgré des tentatives de rétablissement sur les rivières comme la Slim. Seules quelques actions décentralisées permettent de sauver l'honneur, à l'image de l'embuscade réussie des Australiens sur le pont de la Gemenche (700 soldats japonais tués), le 13 janvier 1942. Un nouveau débarquement nippon à Endau (façade est de la péninsule) sonne le glas du dispositif défensif des soldats du Commonwealth.
Après la chute de la ville de Johore Bahru, Percival demande aux 85 000 hommes qui lui restent de se replier sur l'île de Singapour alors que les Japonais sont moins nombreux et connaissent déjà des problèmes de ravitaillement.

Le siège de Singapour



Début février, les troupes nipponnes encerclent l'île et débutent une action de diversion à l'est, en regroupant de nombreuses unités puis en entamant un bombardement massif alors que 3 divisons préparent des embarcations légères en vue d'un débarquement à l'ouest. Le 8 février 1942, 400 canons japonais commencent à tirer sur l'île. Le soir même, à 22h45, 15 000 Japonais entreprennent de franchir le chenal à l'aide de 300 chaloupes pliables en contre-plaqué. Le littoral  est défendu par une brigade qui, très inférieure en nombre, ne peut contenir l'assaut. Les jours suivants, Yamashita et ses blindés (qui ont franchi le chenal à leur tour sur des ponts du génie) s'emparent de l'aéroport de Tengah puis du village de Bukit Timah et ce, en dépit des contre-attaques britanniques. Le 14 février, les Nippons sont maîtres du réservoir d'eau de Mac Ritchie qui fournit l'eau potable à Singapour. Dans la ville, la panique commence à s'emparer des civils qui tentent de fuir par la mer mais aussi des militaires qui désertent ou quittent leurs positions, créant des mouvements de foules incontrôlables. Pourtant, paradoxalement, le commandement japonais envisage de se replier car sa logistique est catastrophique (10% de munitions restantes seulement par exemple) et les troupes sont exténuées. Mais le général Percival n'a pas les moyens d'obtenir ce renseignement et n'a ni la volonté, ni les moyens, ni l'énergie pour rétablir la situation ou prolonger la défense. Le 15 février, les Britanniques se rendent et inscrivent dans l'histoire cette humiliante défaite militaire.  La conquête japonaise de la Malaisie, longue de plus de 800 kilomètres, a été menée en 70 jours au prix, pour le Japon, de 3 500 tués et environ 6 000 blessés, en plus de 30 blindés et 50 avions perdus. Les Britanniques ont perdu environ 9 000 tués et blessés en plus de 200 avions. A ces pertes, il faut ajouter le chiffre de 130 000 prisonniers et la capture par l'ennemi de 750 pièces d'artillerie, de 65 000 armes légères, de plusieurs milliers de véhicules ainsi que de 10 avions.

En conclusion, la victoire japonaise n'est pas dû au nombre mais à la qualité du mode d'action tactique déployé par le général Yamashita qui a su combiner ses fantassins avec ses chars, ses avions et ses moyens amphibies. Il a adapté son outil au terrain tout en imposant son rythme et en cultivant la surprise. Les Britanniques, de leur côté, vivent sur de vieux schémas. Ils sous-estiment leur adversaire, n'anticipent pas la manoeuvre défensive et perdent l'inititaive dès le début de la campagne privés d'appui aérien. Enfin, la faiblesse psychologique du commandement, le manque de confiance des soldats, voire la confusion dans les choix tactiques, créent le doute et ne permettent plus de saisir l'opportunité de renverser la situation face à des Japonais inférieurs en nombre ou affaiblis par des problèmes de ravitaillement. Cette situation rappelle, dans bien des points, les combats en France à Sedan en mai 1940. Face aux blindés de Guderian, les hommes de la 7ème armée connaîtront les mêmes errements face à des Allemands qui craignent de commettre l'irréparable en franchissant la forêt des Ardennes et la Meuse devant les défenses françaises. Leur audace sera payante comme pour les Japonais.

Frédéric Jordan



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