Cet ouvrage, publié en 2001, écrit par l’historien Yann Le Bohec, spécialiste de l’Antiquité romaine que l’on ne présente plus, demeure une réelle mine d’or pour celui qui s’intéresse aux fondements de la tactique. De la même façon, l’étude de César, en tant que chef militaire, permet de mettre en perspective les qualités d’un général telles qu’elles sont perçues à l’époque, qualités qui peuvent encore aujourd’hui, être transposées aux opérations contemporaines. Le livre de Yann Le Bohec, richement documenté mais également appuyé par les recherches les plus récentes en archéologie ou en histoire, s’articule en trois parties et ce, afin de démontrer que César était bien un stratège comme un tacticien accompli, de par son éducation (en particulier en poliorcétique), son parcours professionnel ou politique tout comme par son sens du terrain mais également sa faculté à adapter sa manœuvre à l’adversaire (barbare ou romain). Cette aptitude s’illustre grâce, en particulier, à une planification structurée des opérations, ces dernières pouvant parfois sortir ou prendre de la distance avec le carcan doctrinal de leur temps afin de surprendre et de déstabiliser l’ennemi au bon moment.
Il
serait donc trop fastidieux de synthétiser l’ensemble de ce travail qui court
de la jeunesse de César à la fin de la guerre civile avec Pompée, de l’Orient à
la Gaule en passant par l’Italie, la Germanie ou l’Espagne mais nous tâcherons
de mettre en exergue ce qui fait de César un général remarquable.
La
culture militaire de César.
Il
semble que l’éducation de César fut très riche et respectueuse des étapes
« scolaires » de l’Antiquité avec l’enseignement d’un « litterator » puis d’un « grammaticus » et enfin d’un « rethor » avant de parcourir
diverses contrées pour être formé par les meilleurs intellectuels, juristes ou
philosophes du moment. C’est donc un homme cultivé qui accède aux
responsabilités à l’instar des paroles du général De Gaulle plusieurs siècles
plus tard qui considère que « la
meilleure école du commandement reste la culture générale ». Du point
de vue militaire, il lit « L’art
militaire » de Caton, « Le
commandant de cavalerie » de Xénophon ou encore les « Mémoires » de Sylla et de Lutatius
Catulus. Il est également un bon connaisseur des traités de poliorcétique grecs
(Pyrrhus, Cinéas) qui lui apporteront une vraie compétence pour soutenir ou
mener des sièges. Il poursuit sa formation en accompagnant, comme nombre de
jeunes gens à l’époque, des prêteurs ou des proconsuls en Asie et en Anatolie,
participant à des batailles ou à la lutte contre la piraterie.
Un
chef maîtrisant la communication et l’influence.
César,
tout au long de sa carrière politico-militaire a feint la neutralité et a
souvent travesti la réalité. Sans jamais trop inventer, il a beaucoup menti et
usé d’une technique dite de démonstration : « il tronquait l’information, il séparait les faits, par exemple en ne
parlant que d’une légion là où deux intervenaient ; il introduisait des
récits pré-explicatifs et d’autres justificatifs,…Ensuite, il s’efforçait de
persuader par des rappels, par des répétitions, par des exagérations, ou encore
la dramatisation. Et enfin, il utilisait une forme de propagande rudimentaire,
certes bien inférieur à ce que le XXème siècle a connu, mais réelle,
en développant des thèmes politiques et militaires tout à sa gloire, comme le
mythe du chef et celui du soldat. ».
Un
bon organisateur et meneur d’homme.
César
commande des armées dont les structures ont fait leurs preuves notamment grâce
au système des légions renforcées de troupes auxiliaires spécialisées
(cavaliers, frondeurs,…) mais il va s’entourer d’experts pour optimiser ses
moyens. Comme il n’existe pas de troupes particulières pour le génie et
l’artillerie (balistes, catapultes, sapes,…), il fait appel à un adjoint du nom
de Vitruve dont le traité « De
l’architecture » sera remis au goût du jour à la Renaissance. Grâce à
lui, César pourra isoler les cités qu’il assiègera en mettant en place la
trilogie défensive fossa-agger-valum
ou en bâtissant des ouvertures fortifiées selon le principe du titulum ou de la clavicula. De la même façon, le chef romain utilise tout le panel
des moyens de renseignement mis à sa disposition afin de connaître les
intentions adverses ou anticiper telle ou telle manœuvre. Il utilise également
les informations qu’il collecte pour créer des stratagèmes à l’image de
l’engagement qu’il provoque contre les Suèves alors que ces derniers ne
souhaitaient pas se battre car les présages leur étaient défavorables. Comme
ses contemporains, avant chaque combat, il se montre à ses homes, les harangue
et fait en sorte qu’ils fassent du bruit avec leurs cris et leurs armes.
Un
bon tacticien et un précurseur de l’art opératif.
César
adapte son dispositif de marche en fonction du terrain ou de l’ennemi afin de
varier sa manœuvre au regard de l’autre belligérant. Tantôt il avance avec ses
bagages (intendance) en queue de colonnes libérant le gros de ses forces de
cette contrainte, tantôt il les encadre selon l’agmen quadratum. Ceci passe par une bonne connaissance de son
adversaire et de ses tactiques ou modes d’action, que ce soit les assauts
frontaux des tribus gauloises à la cavalerie suève (un cavalier accompagné d’un
fantassin en appui mutuel), en passant par les chars bretons.
Il
dispose toujours ses unités nouvellement crées auprès de vétérans (comme
Alexandre le Grand) afin d’équilibrer son dispositif sur le champ de bataille
tout en gardant un déploiement sur trois lignes (Triplex acies). Avec celles-ci il tente soit d’envelopper les
troupes adverses pour s’emparer de son camp soit d’enfoncer un coin dans une
aile ou le centre ennemi afin de provoquer une déroute. Il se crée une réserve
permanente avec la Xème légion très expérimentée qui devient son
« ultima ratio » pour
changer le cours des batailles. Au cours de celles-ci il innove parfois
n’hésitant pas, par exemple à adosser 2 légions pour faire face à une attaque
des Nerviens selon deux axes opposés. Enfin, il sécurise ses axes logistiques
car il a conscience que sans approvisionnement il perd toute liberté d’action.
César
a une haute vision de l’art de la guerre et pense sa campagne dans sa globalité
adoptant ce qu’on appellerait aujourd’hui une vision opérative. En effet, il
cherche à obtenir une justification juridique à son intervention militaire en
provoquant les protagonistes (afin qu’ils apparaissent comme les agresseurs) et
fait preuve de « celeritas »
en traversant le théâtre des opérations avec une grande mobilité opérative afin
de frapper le centre de gravité des armées ou gouvernements ennemis. Il sait
également développer une stratégie contre-insurrectionnelle efficace en
sécurisant les centres vitaux et en fragilisant la logistique des insurgés par
des coups de main sur les troupeaux, les refuges ou les récoltes de ces
derniers ou en menant du contrôle de zones (4 groupes de légions répartis sur
le territoire des Eburons par exemple). Comme aujourd’hui il cherche aussi à
conduire des opérations de « search and capture » en tentant d’attraper
les chefs gaulois les plus dangereux comme Ambiorix. Enfin, pour s’assurer de
la soumission d’un peuple récalcitrant il pratique une répression très dure
selon 3 piliers : la destruction (incendier), le pillage (faire du butin
en hommes et en bien) et les exécutions.
Que
ce soit face aux Gaulois ou pendant la guerre civile face aux armées de Pompée,
César utilisera toutes les possibilités de combat, en rase campagne, en milieu
urbain (y compris la bataille de rues comme à Avaricum), la contre-guérilla,
l’embuscade ou la bataille navale (voire les opérations amphibies et les
débarquements). Le siège demeure son arme favorite, élémentaire avec un assaut
rapide, ou complexe avec de lourds travaux ou l’aménagement d’une tête de pont
pour la mise en œuvre des machines de guerre.
Pour
conclure, César apparait, sous la plume de Yann Le Bohec comme un chef
militaire aguerri et expérimenté qui tire sa réussite de son éducation mais
aussi d’une belle intelligence de situation comme d’une capacité à innover ou à
s’adapter. S’il garde l’initiative c’est bien parce qu’il parvient presque
toujours à accélérer le rythme des opérations, à frapper le cœur de
l’adversaire qu’il ne sous-estime pas et connaît, à anticiper l’action ennemie,
à surprendre tout en intégrant sa tactique dans une campagne plus large. Enfin,
il use de la ruse comme de l’influence pour convaincre, tromper ou prendre
l’ascendant psychologique dans son camp comme chez ses rivaux.
Certaines
de ses aptitudes restent d’une grande actualité et s’appuient sur certains
principes ou procédés qu’il s’agit de ne pas oublier.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire