Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 28 décembre 2013

Lecture et enseignements : « César, chef de guerre » de Yann Le Bohec.


Cet ouvrage, publié en 2001, écrit par l’historien Yann Le Bohec, spécialiste de l’Antiquité romaine que l’on ne présente plus, demeure une réelle mine d’or pour celui qui s’intéresse aux fondements de la tactique. De la même façon, l’étude de César, en tant que chef militaire, permet de mettre en perspective les qualités d’un général telles qu’elles sont perçues à l’époque, qualités qui peuvent encore aujourd’hui, être transposées aux opérations contemporaines. Le livre de Yann Le Bohec, richement documenté mais également appuyé par les recherches les plus récentes en archéologie ou en histoire, s’articule en trois parties et ce, afin de démontrer que César était bien un stratège comme un tacticien accompli, de par son éducation (en particulier en poliorcétique), son parcours professionnel ou politique tout comme par son sens du terrain mais également sa faculté à adapter sa manœuvre à l’adversaire (barbare ou romain). Cette aptitude s’illustre grâce, en particulier, à une planification structurée des opérations, ces dernières pouvant parfois sortir ou prendre de la distance avec le carcan doctrinal de leur temps afin de surprendre et de déstabiliser l’ennemi au bon moment.
Il serait donc trop fastidieux de synthétiser l’ensemble de ce travail qui court de la jeunesse de César à la fin de la guerre civile avec Pompée, de l’Orient à la Gaule en passant par l’Italie, la Germanie ou l’Espagne mais nous tâcherons de mettre en exergue ce qui fait de César un général remarquable.


La culture militaire de César.
Il semble que l’éducation de César fut très riche et respectueuse des étapes « scolaires » de l’Antiquité avec l’enseignement d’un « litterator » puis d’un « grammaticus » et enfin d’un « rethor » avant de parcourir diverses contrées pour être formé par les meilleurs intellectuels, juristes ou philosophes du moment. C’est donc un homme cultivé qui accède aux responsabilités à l’instar des paroles du général De Gaulle plusieurs siècles plus tard qui considère que « la meilleure école du commandement reste la culture générale ». Du point de vue militaire, il lit « L’art militaire » de Caton, « Le commandant de cavalerie » de Xénophon ou encore les « Mémoires » de Sylla et de Lutatius Catulus. Il est également un bon connaisseur des traités de poliorcétique grecs (Pyrrhus, Cinéas) qui lui apporteront une vraie compétence pour soutenir ou mener des sièges. Il poursuit sa formation en accompagnant, comme nombre de jeunes gens à l’époque, des prêteurs ou des proconsuls en Asie et en Anatolie, participant à des batailles ou à la lutte contre la piraterie.
 
 
Un chef maîtrisant la communication et l’influence.
César, tout au long de sa carrière politico-militaire a feint la neutralité et a souvent travesti la réalité. Sans jamais trop inventer, il a beaucoup menti et usé d’une technique dite de démonstration : « il tronquait l’information, il séparait les faits, par exemple en ne parlant que d’une légion là où deux intervenaient ; il introduisait des récits pré-explicatifs et d’autres justificatifs,…Ensuite, il s’efforçait de persuader par des rappels, par des répétitions, par des exagérations, ou encore la dramatisation. Et enfin, il utilisait une forme de propagande rudimentaire, certes bien inférieur à ce que le XXème siècle a connu, mais réelle, en développant des thèmes politiques et militaires tout à sa gloire, comme le mythe du chef et celui du soldat. ».
 
 
Un bon organisateur et meneur d’homme.
 
 
César commande des armées dont les structures ont fait leurs preuves notamment grâce au système des légions renforcées de troupes auxiliaires spécialisées (cavaliers, frondeurs,…) mais il va s’entourer d’experts pour optimiser ses moyens. Comme il n’existe pas de troupes particulières pour le génie et l’artillerie (balistes, catapultes, sapes,…), il fait appel à un adjoint du nom de Vitruve dont le traité « De l’architecture » sera remis au goût du jour à la Renaissance. Grâce à lui, César pourra isoler les cités qu’il assiègera en mettant en place la trilogie défensive fossa-agger-valum ou en bâtissant des ouvertures fortifiées selon le principe du titulum ou de la clavicula. De la même façon, le chef romain utilise tout le panel des moyens de renseignement mis à sa disposition afin de connaître les intentions adverses ou anticiper telle ou telle manœuvre. Il utilise également les informations qu’il collecte pour créer des stratagèmes à l’image de l’engagement qu’il provoque contre les Suèves alors que ces derniers ne souhaitaient pas se battre car les présages leur étaient défavorables. Comme ses contemporains, avant chaque combat, il se montre à ses homes, les harangue et fait en sorte qu’ils fassent du bruit avec leurs cris et leurs armes.

 
Un bon tacticien et un précurseur de l’art opératif.
César adapte son dispositif de marche en fonction du terrain ou de l’ennemi afin de varier sa manœuvre au regard de l’autre belligérant. Tantôt il avance avec ses bagages (intendance) en queue de colonnes libérant le gros de ses forces de cette contrainte, tantôt il les encadre selon l’agmen quadratum. Ceci passe par une bonne connaissance de son adversaire et de ses tactiques ou modes d’action, que ce soit les assauts frontaux des tribus gauloises à la cavalerie suève (un cavalier accompagné d’un fantassin en appui mutuel), en passant par les chars bretons.
Il dispose toujours ses unités nouvellement crées auprès de vétérans (comme Alexandre le Grand) afin d’équilibrer son dispositif sur le champ de bataille tout en gardant un déploiement sur trois lignes (Triplex acies). Avec celles-ci il tente soit d’envelopper les troupes adverses pour s’emparer de son camp soit d’enfoncer un coin dans une aile ou le centre ennemi afin de provoquer une déroute. Il se crée une réserve permanente avec la Xème légion très expérimentée qui devient son « ultima ratio » pour changer le cours des batailles. Au cours de celles-ci il innove parfois n’hésitant pas, par exemple à adosser 2 légions pour faire face à une attaque des Nerviens selon deux axes opposés. Enfin, il sécurise ses axes logistiques car il a conscience que sans approvisionnement il perd toute liberté d’action.
César a une haute vision de l’art de la guerre et pense sa campagne dans sa globalité adoptant ce qu’on appellerait aujourd’hui une vision opérative. En effet, il cherche à obtenir une justification juridique à son intervention militaire en provoquant les protagonistes (afin qu’ils apparaissent comme les agresseurs) et fait preuve de « celeritas » en traversant le théâtre des opérations avec une grande mobilité opérative afin de frapper le centre de gravité des armées ou gouvernements ennemis. Il sait également développer une stratégie contre-insurrectionnelle efficace en sécurisant les centres vitaux et en fragilisant la logistique des insurgés par des coups de main sur les troupeaux, les refuges ou les récoltes de ces derniers ou en menant du contrôle de zones (4 groupes de légions répartis sur le territoire des Eburons par exemple). Comme aujourd’hui il cherche aussi à conduire des opérations de « search and capture » en tentant d’attraper les chefs gaulois les plus dangereux comme Ambiorix. Enfin, pour s’assurer de la soumission d’un peuple récalcitrant il pratique une répression très dure selon 3 piliers : la destruction (incendier), le pillage (faire du butin en hommes et en bien) et les exécutions.
Que ce soit face aux Gaulois ou pendant la guerre civile face aux armées de Pompée, César utilisera toutes les possibilités de combat, en rase campagne, en milieu urbain (y compris la bataille de rues comme à Avaricum), la contre-guérilla, l’embuscade ou la bataille navale (voire les opérations amphibies et les débarquements). Le siège demeure son arme favorite, élémentaire avec un assaut rapide, ou complexe avec de lourds travaux ou l’aménagement d’une tête de pont pour la mise en œuvre des machines de guerre.
 
 
 
Pour conclure, César apparait, sous la plume de Yann Le Bohec comme un chef militaire aguerri et expérimenté qui tire sa réussite de son éducation mais aussi d’une belle intelligence de situation comme d’une capacité à innover ou à s’adapter. S’il garde l’initiative c’est bien parce qu’il parvient presque toujours à accélérer le rythme des opérations, à frapper le cœur de l’adversaire qu’il ne sous-estime pas et connaît, à anticiper l’action ennemie, à surprendre tout en intégrant sa tactique dans une campagne plus large. Enfin, il use de la ruse comme de l’influence pour convaincre, tromper ou prendre l’ascendant psychologique dans son camp comme chez ses rivaux.
Certaines de ses aptitudes restent d’une grande actualité et s’appuient sur certains principes ou procédés qu’il s’agit de ne pas oublier.
Frédéric Jordan

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