J'accueille une nouvelle fois sur votre blog Nathalie Barraillé et la remercie pour la contribution qui suit et rend hommage à ceux de la Grande guerre meurtris par les combats.
Le
27 mars dernier, dans le cadre du cycle des « Conférences Vincent Wright » consacrées à l’histoire
administrative et organisées, depuis 2005, par le comité d’histoire du Conseil
d’Etat et de la juridiction administrative[1],
Pascal Mounien, docteur en droit et avocat, a dispensé une conférence sur le
thème : « la pension militaire
et l’émergence du droit à réparation 1914-1939 ».
Cette
conférence, qui s’est tenue au Palais-Royal, a permis d’aborder un sujet
essentiel autour de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, celui
du rôle majeur assuré par le Conseil d’Etat, dans la compréhension, à la
lumière de sa jurisprudence, de l’émergence de ce droit à réparation, pendant
la période allant du Premier conflit mondial à l’entre-deux guerres.
Dès
les propos introductifs de cette conférence, un hommage appuyé a été rendu à
René Cassin, vice-président du Conseil d’Etat de 1944 à 1959, qui fut, tout au
long de sa vie, un fervent militant de ce droit à réparation puisque grièvement
blessé en octobre 1914 au cours de la bataille
de Saint-Mihiel.
La
pension militaire est un élément central du devoir de réparation et de
reconnaissance. Le régime d’invalidité des militaires a depuis bien longtemps
constitué une préoccupation pour les pouvoirs publics, comme en témoigne la
création, décidée par Louis XIV en 1670, de l’hôtel national des invalides,
lieu destiné à accueillir les soldats blessés à la guerre, les extropia -ceux qui ont exposé leur vie et
prodigué leur sang pour la défense-. Aujourd’hui, parmi les nombreux
organismes accueillis dans ce haut lieu de mémoire, se trouve l’institution
nationale des invalides, hôpital militaire qui poursuit la toute première
vocation, celle d’être la « maison
des invalides » pour les anciens combattants blessés et les victimes
de guerre.
Le
premier conflit mondial va donner une signification toute particulière au
principe du droit à pension. En effet, en 1914, la France rentre dans une
guerre totale, industrielle, économique et sociale et marque un changement
radical de la société (première généralisation de l’expérience corporelle du
combat, escalade de la violence, brutalisation, destructions matérielles avec
un nombre impressionnant d’invalides de guerre, d’aveugles, de gazés, d’amputés,
de « gueules cassées », de
« générations sacrifiées »
ou de « mutilés de guerre »).
Nombreux
sont ceux qui ne pourront reprendre une activité professionnelle et devront
être pensionnés.
Aussi,
le 20 novembre 1917, à la tribune de la chambre des députés, Georges
Clémenceau déclarait-il, au nom de la solidarité nationale :
« (…) Nous nous présentons devant
vous dans l'unique pensée d'une guerre intégrale. (…) Nous avons de grands
soldats d'une grande histoire, sous des chefs trempés dans les épreuves, animés
aux suprêmes dévouements qui firent le beau renom de leurs aînés. Par eux, par
nous tous, l'immortelle patrie des hommes, maîtresse de l'orgueil des
victoires, poursuivra dans les plus nobles ambitions de la paix le cours
de ses destinées. Ces Français, que nous fûmes contraints de jeter dans la
bataille, ils ont des droits sur nous. Ils veulent qu'aucune de nos pensées ne
se détourne d'eux, qu'aucun de nos actes ne leur soit étranger. Nous leur
devons tout, sans aucune réserve ».
Au
sortir de la guerre, le regard de la société change sur ces mutilés et sur la
perception de l’étendue des préjudices qu’ils subissent.
Ainsi,
comme le relève le comité, dans la présentation de ce colloque, « A partir de la première guerre mondiale, une
réflexion s’instaure dans le cadre des acquis de la Révolution française, car
la pension n’est plus un symbole mais une particularité essentielle d’un droit
à réparation ».
Cette
réflexion va donc permettre de réformer en profondeur le régime des pensions et
après plus d’un an de débats parlementaires (de novembre 1917 à mars 1919), la
loi du 31 mars 1919 modifiant la
législation des armées de terre et de mer en ce qui concerne les décès
survenus, les blessures reçues et les maladies contractées ou aggravées en
service, plus communément appelée « Charte du Combattant », crée un véritable droit à
réparation (définition de la nature des pensions et de leurs bénéficiaires, reconnaissance
des notions d’aggravation, de présomption d’imputabilité et d’origine des
infirmités par le fait ou à l’occasion du service) pour les anciens combattants
infirmes.
Cette
loi, dès son article 1er, traduit une nouvelle conception juridique
du rôle de l’Etat en matière de protection sociale : « La
République, reconnaissante envers ceux qui ont assuré le salut de la patrie,
proclame et détermine, conformément aux dispositions de la présente loi, le
droit à la réparation due : 1°/
aux militaires des armées de terre et de mer affectés d’infirmités résultant de
la guerre ; 2°/ aux veuves, aux orphelins et aux ascendants de ceux qui
sont morts pour la France ».
Le
législateur veille alors à rendre la loi plus efficace et pragmatique avec une
obligation morale et matérielle qui pèse sur les pouvoirs publics et proclame
avec force et conviction ce droit à réparation, en le rendant opposable à la
société toute entière, pour permettre à chacun de faire valoir ses droits et ne
pas rester dans l’ignorance de la procédure à suivre.
Pour
accompagner toutes ces victimes, ce texte favorise également l’apparition des
associations de blessés et d’invalides (association des Amputés Grands blessés
et Victimes de Guerre, association des Mutilés de Guerre de France, Fédération
des Amputés de Guerre de France …) et de diverses institutions.
De
nombreuses aides se mettent en place (soins, rééducation, emplois réservés,
réinsertion professionnelle, …).
Si
l’émergence de ce droit à réparation trouve son origine dans les informations
communiquées par les associations des anciens combattants, dans les divers
journaux spécialisés ou dans les commentaires de la loi du 31 mars 1919,
l’analyse par échantillonnage des arrêts rendus par le Conseil d’Etat et à
laquelle s’est livré le conférencier (avec deux années particulièrement
riches : 1922 et 1927), à travers une démarche historiographique, permet de
mettre en évidence des points essentiels de l’application de cette loi (champ
des bénéficiaires, établissement de l’existence d’un lien suffisant entre l’infirmité
et le fait générateur, reconnaissance, preuve et présomption de l’imputabilité,
barèmes et taux minimum indemnisables,
notion d’aggravation, arrérages, rappels de pension...).
Et,
l’interprétation de la jurisprudence constructive du Conseil d’Etat qui éclaire
et prolonge cette législation, aura même pour vertus, par exemple, de favoriser
les grands mutilés, dans l’application des barèmes ou, dans l’entre-deux
guerres, de reconnaître un régime d’hospitalisation, avec obligation de soins
envers les pensionnés : prestations médicales, thérapeutiques ou
pharmaceutiques (cf. article 64 de la loi) voire également, l’extension du
champ des bénéficiaires de la loi du 31 mars 1919 aux victimes civiles de la
guerre.
Ainsi
s’achevait cette conférence …
Pour
conclure, il nous est permis de relever que la plupart des contentieux examinés
par les juridictions des pensions (tribunaux -juridictions administratives
spécialisées qui siègent au sein d’un tribunal de grande instance- ou cours
régionales des pensions) et par le Conseil d’Etat portent aujourd’hui sur la
reconnaissance de l’imputabilité des infirmités au service ou sur le taux
attribué.
Quant
aux réflexions présentées par Raymond Odent, ancien président de la section du
contentieux du Conseil d’Etat de 1966 à 1976, dans sa préface à l’ouvrage
« Pensions militaires d’invalidité
et pensions de victimes de guerre » de Paul Coudurier publié aux
éditions Dalloz en 1976, elles restent plus que jamais d’actualité…
En
voici quelques lignes : « Le
domaine juridique n’échappe pas à la mode ; certains thèmes, à certaines
époques, attirent les commentateurs ; d’autres, au contraire, sont
injustement délaissés, même s’ils sont de ceux dont l’intérêt pratique est
manifeste. Le régime des pensions militaires d’invalidité appartient à la
catégorie des sujets que les auteurs ignorent actuellement ; sa réputation
bien assise d’austérité n’est peut-être pas étrangère à une défaveur qui se
prolonge alors que ces pensions occupent l’activité d’un des principaux
services du Secrétariat d’Etat aux Anciens combattants et que leur contentieux
encombre les rôles des tribunaux départementaux et des cours régionales des
pensions ainsi qu’une commission spéciale de cassation adjointe depuis quarante
ans au Conseil d’Etat. Services administratifs et juridictions spécialisées ne
chôment pas et sont même débordés par l’afflux des dossiers ; ils ont
dégagé une doctrine qui porte à la fois sur l’interprétation du Code des
pensions militaires d’invalidité et sur le rôle et les pouvoirs du juge de cassation
à l’intérieur de la juridiction administrative ».
Si
de nombreuses questions ou contentieux ont trouvé des réponses ou ont été
résolus à travers les décisions rendues par le Conseil d’Etat et le Conseil
constitutionnel (contentieux lié au taux
du grade, carte du combattant, troubles psychiques, décristallisation des
pensions …), d’autres débats ne manqueront pas de s’ouvrir en raison d’une
meilleure prise en compte des blessures invisibles que sont les syndromes
post-traumatiques pour ne citer
que cet exemple.
Par
ailleurs, un important travail de refonte du code des pensions militaires d’invalidité
et des victimes de la guerre (CPMIVG) est actuellement mené par les services de
l’Etat. Cet exercice de recodification permettra sans nul doute l’émergence d’un
« droit à réparation
contemporain », adapté à la professionnalisation des armées, à
l’engagement des forces sur les théâtres d’opérations extérieures et aux
nouvelles physionomies de la guerre asymétrique, notamment.
Nathalie Barraillé
Images :
Jean
Galtier-Boissière : Défilé des mutilés, 14 juillet 1919. Musée
d'Histoire contemporaine, Paris © BDIC
Museum d'histoire contemporaine.
Le président Georges Clémenceau mangeant avec des soldats français dans les tranchées près de Maurepas (Somme) en 1917-© Rue des Archives/Tallandier (site internet de l'Assemblée nationale/Histoire/1914-1918).
Le président Georges Clémenceau mangeant avec des soldats français dans les tranchées près de Maurepas (Somme) en 1917-© Rue des Archives/Tallandier (site internet de l'Assemblée nationale/Histoire/1914-1918).
[1] Ce comité a été créé en
2001 auprès du Conseil d’Etat avec une triple mission : tout d’abord,
celle d’entreprendre et de favoriser des travaux de recherche sur l’histoire du
Conseil d’Etat, de la juridiction administrative et du droit public, puis,
celle de promouvoir l’organisation de colloques et de journées d’études
relatifs aux mêmes thèmes et enfin, la mission de diffuser ces travaux auprès
des instances spécialisées et d’assurer leur promotion auprès du plus large
public (cf. http://www.conseil-etat.fr/Conseil-d-Etat/Histoire-Patrimoine/Le-Comite-d-histoire-du-Conseil-d-Etat-et-de-la-juridiction-administrative).
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