Sur votre blog nous rappelons souvent
que l’histoire militaire peut parfois nous apporter des enseignements ou des
clés de compréhension au sujet des campagnes contemporaines. Certes, il est
probable, qu’avec le temps, certains modes d’action ou constructions
opérationnelles soient devenues anachroniques du fait des progrès techniques,
de l’évolution de la menace ou des limites éthiques. Néanmoins, certains
penseurs et praticiens peuvent garder toute leur pertinence dans la manière de
conduire une guerre aujourd’hui. Aussi, en s’appuyant sur le remarquable livre
de Bruno Colson : « Napoléon,
de la guerre », ouvrage
apocryphe sensé formaliser la pensée militaire de l’Empereur au travers de
divers documents, nous nous proposons de réfléchir à ce qu’aurait pu être les
choix de Napoléon pour faire face, en Irak et en Syrie, à Daech. Ce groupe est
aujourd’hui défini comme étant un ennemi hybride, associant des équipements et
des actions conventionnelles à des attaques de type asymétriques (guérilla,
terrorisme) mais disposant d’une structure organisée et d’un matériel moderne
et performant. L’Empereur a eu des expériences proches de la situation actelle à savoir, en Egypte, pour le terrain désertique
et les rapports au monde musulman ou, en Espagne, face à des combattants
irréguliers.
Devant un adversaire d’une rare violence
comme on peut le constater dans les médias, Napoléon aurait d’abord tenté de
définir sa vision stratégique de la guerre à mener. Son premier souci aurait
été d’endurcir ses concitoyens et de faire acte de communication pour lutter
contre la tentation de mener « des
guerres à l’eau de rose ». C’est probablement sa manière de décrire ce
que nous appelons aujourd’hui la résilience. Il est probable qu’il aurait souhaité
une campagne rapide mais engageant des moyens importants d’emblée, considérant
que « si vous faites la guerre,
faites-la avec rapidité et sévérité ; c’est le seul moyen de la rendre
moins longue, par conséquent moins déplorable pour l’humanité ».
Ensuite il aurait été nécessaire de bâtir une planification rigoureuse avec une faculté
d’anticipation et de réversibilité élargie : « à la guerre, rien ne s’obtient que par calcul. Tout ce qui n’est pas
profondément médité dans ses détails ne produit aucun résultat (…) Si je parais
toujours prêt à répondre à tout, à faire face à tout, c’est qu’avant de rien
entreprendre, j’ai longtemps médité, j’ai prévu ce qui pourrait arriver ».
Fidèle à sa vision très pyramidale du
commandement, il aurait compté sur ses propres qualités pour obtenir la
victoire, « (…) c’est la volonté, le
caractère, l’application et l’audace qui m’ont fait ce que je suis »
et sur son génie. Au-delà de son rôle personnel, il est possible que le
renseignement serait devenu une de ses priorités face à un ennemi d’une rare
faculté d’adaptation car, comme il le répète souvent : « voilà la manie de messieurs les
tacticiens ; ils supposent que l’ennemi fera toujours ce qu’il devrait
faire ! ». Il ferait le choix, comme à son accoutumée, de se fier
aux reconnaissances mais aussi à d’autres formes d’informations pour mieux
comprendre le dispositif ennemi ou les évolutions de l’environnement :
« j’établissais mon quartier général
à l’embranchement d’un chemin, sur une route, et interrogeais tous ceux qui
passaient. Voilà le véritable espionnage : 1° interroger les prisonniers
et les déserteurs, c’est le meilleur moyen. Ils savent la force de leur
compagnie, bataillon, régiment en général, le nom du général commandant, même
du général de division, les lieux où ils ont couché, la route qu’ils ont faite.
On apprend ainsi à connaître l’armée ennemie ; 2° les paysans et les
voyageurs. On a bénéfice. Les voyageurs passent toujours. Il y en a qui
arrivent ; 3° les lettres qu’on intercepte, surtout si elles sont d’un
officier d’état-major, alors elles sont importantes … ». Enfin, il
établirait les grandes lignes de sa campagne avec originalité afin de ne pas être lisible par son ennemi, puis pour garder l’initiative sur lui et ce, en sortant des cadres normés et
en demeurant lucide sur les enjeux et les difficultés du théâtre d’opérations :
« à la guerre, le premier principe
du général en chef, c’est de cacher ce qu’il fait, de voir s’il a les moyens de
surmonter les obstacles, et de tout faire pour les surmonter quand il est
résolu ».
Dans la mise en œuvre de l’action, au
regard du contexte contemporain, encore plus qu’à son époque, il prendrait en
compte son ennemi et sa mission. Face à Daech qui utilise largement les
nouvelles technologies et les médias numériques, qui sont considérés, dans sa doctrine
Naji[1], comme
un vecteur essentiel de son influence, Napoléon chercherait probablement à
préserver une bonne communication tant vers les civils que vers son
armée : « Tout est opinion
à la guerre, opinion sur l’ennemi, opinion sur ses soldats (…) vous voudrez
bien, citoyen général, prendre des mesures pour qu’aucune gazette tendant à
porter le découragement dans l’armée, à exciter les soldats à la désertion et à
diminuer l’énergie pour la cause de la liberté, ne s’introduise dans l’armée ».
Il prendrait soin ensuite de manœuvrer afin de vaincre par assauts successifs
un adversaire d’un volume de 25 à 30 000 hommes. Cette masse est en effet réparti le long des
fleuves Tigre et Euphrate ou dans certaines grandes agglomérations obligeant l'Empereur
à disposer, à chaque fois de la supériorité numérique qui est « en tactique comme en stratégie le principe
de victoire le plus général (…) lorsque avec des moindres forces j’étais en
présence d’une grande armée, groupant avec rapidité la mienne, je tombais comme
la foudre sur l’une de ses ailes et je la culbutais. Je profitais ensuite du
désordre que cette manœuvre ne manquait jamais de mettre dans l’armée ennemie,
pour l’attaquer dans une autre partie, toujours avec toutes mes forces. Je la
battais ainsi en détail ; et la victoire qui en était le résultat, était
toujours, comme vous le voyez, le triomphe du grand nombre sur le petit ».
Aussi, comprenant que Daech refuse, comme à son habitude, le combat frontal pour privilégier
l’imbrication, il pourrait également saupoudrer sa tactique
de surprise, de ruse et de saisie d’opportunités. Il s’agirait notamment de combiner,
l’espace et le temps sur un rythme difficile à tenir pour les
combattants islamistes : « j’ai
toujours eu un système contraire aux autres capitaines : je n’ai jamais
cherché à envelopper l’armée ennemie. Au contraire, j’ai été souvent débordé et
toujours occupé moins d’espace que l’ennemi, ayant mes réserves dans ma main
prêtes à porter le coup décisif ». Son action tendrait alors à frapper le
centre de gravité des djihadistes qu’il aurait déterminé, à couper leurs lignes
de communication et d’opérations (axes logistiques entre la Syrie et l’Irak par
exemple), à défendre les coupures humides « en les faisant battre par les feux des canons » et à attaquer
selon les deux maximes de Turenne auxquelles il resta fidèle toute sa vie: « n’attaquez pas de front les
positions que vous pouvez obtenir en les tournant, ne faites pas ce que veut
l’ennemi, par la seule raison qu’il le désire ; éviter le champ de
bataille qu’il a reconnu, étudié, et encore avec plus de soin celui qu’il a
fortifié et où il s’est retranché ».
Il serait cprobablement onvaincu de devoir
s’emparer de cités et d’y consommer un fort potentiel en hommes et en matériels
puis de se concilier les populations locales à l'image de la campagne d'Egypte où, à la veille de
débarquer, il s’adressa à ses hommes : « les peuples avec lesquels nous allons vivre sont
mahométans ; leur premier article de foi est celui-ci ; il n’y a pas
d’autre Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète. Ne les contredisez
pas ; agissez avec eux comme nous avons agi avec les juifs, avec les
Italiens ; ayez des égards pour leurs muftis et leurs imams, comme vous en
avez eu pour les rabbins et les évêques. Ayez pour les cérémonies que prescrit
l’Alcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eu pour les
couvents ou les synagogues ».
En synthèse, l’Empereur aurait d’abord
défini les modes d’action de son ennemi à la fois irrégulier et très structuré.
Il aurait intégré le champ des perceptions pour préserver ses forces et la résilience de l’opinion
publique, mis l’accent sur le renseignement avant de frapper avec des forces
conséquentes. Ces dernières, auraient mis en œuvre une tactique associant
fulgurance, audace et mobilité pour fractionner les forces adverses, les
détruire successivement en s’appuyant sur les points clés du terrain. Dans une
campagne qui se serait voulue rapide et faiblement lisible pour Daech, il
aurait d’emblée envisager la phase de stabilisation et le facteur culturel
propre à la région. Pour conclure, cette uchronie n’a finalement que la vertu de revenir sur
les grands principes de la pensée militaire de Napoléon et de provoquer la réflexion
ou le débat sur les opérations du moment dont nous ne verrons l’issue que dans l’avenir en faisant confiance aux planificateurs contemporains pour trouver les ressorts de la victoire.
[1]
Un
certain Abu Bakr Naji, égyptien tué dans les zones tribales pakistanaises en
2008 et membre du réseau Al Qaeda, a en effet publié sur Internet en 2004, en
langue arabe, un livre intitulé le Management de la
Sauvagerie : l’étape la plus critique que franchira l’Oumma. Les
principes stratégiques de Daech semblent reposer sur cette doctrine en frappant
les pays occidentaux sur des valeurs importantes pour nos sociétés et une certaine perception de
la violence.
Je suis très dubitatif sur la capacité de Napoléon à lutter et surtout à avoir une doctrine pour lutter contre Daech...L' histoire de l'expédition de Napoléon au-delà des Pyrénées montre que la guérilla n'était pas son verre de fine...
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