Nous renouons avec notre étude de la première guerre mondiale au travers de ses opérations et du témoignage du lieutenant-colonel Rousset, contemporain de l'époque et ancien professeur de tactique à l'Ecole supérieure de guerre. Les semaines et mois présentés mettent en évidence une pensée tactique voire stratégique étriquée ainsi qu'une analyse largement influencée par la propagande.
Dès le 20 janvier, les communiqués ne semblent plus parler que d'offensives mineures à l'échelon locale engageant une à deux divisions comme dans la région de Crouy par exemple, ou à Notre-Dame de Lorette où l'auteur s'inquiète de la prise d'une seule tranchée par les Allemands. On perçoit ainsi le drame de la guerre de position qui débute avec des attaques meurtières sur des compartiments de terrain très limités.
La propagande et la déshumanisation de l'adversaire se met en place avec des jugements de valeurs sur la prétendue barbraie des forces allemandes : "il y a deux manières de faire la guerre, celle qui évite autant que possible les ruines inutiles, et celle qui, au contraire, s'évertue à les amonceler. Nous pratiquons la première ; les Allemands s'adonnent à la seconde en véritables frénétiques. On dirait qu'ils ont besoin de l'ivresse sauvage que donnent le fracas des murs qui s'écroulent et l'âcre fumée des maisons qui flambent. C'est chez eux une question d'atavisme et de tempérament." Au Hartmannwillerkopf, les chasseurs français, encerclés, n'ont pu être rejoints par les attaques de secours lancées du 20 au 22 janvier et les pertes sont très lourdes. Ce lieu deviendra un symbole pour l'armée française dans les mois et années à venir. On voit ainsi de plus en plus cités des bombardements par avions, zeppelins ou artillerie ordonnés sur des cibles civiles. Ce sont des villes anglaises ou françaises attaquées comme à Blangy et Dunkerque. Notre témoin est assez surprenant dans ses analyses car il critique la volonté de certains officiers d'état-major de créer une coordination des efforts entre les trois alliés de l'Entente. Pour lui, cela n'a pas lieu d'être, considérant qu'une action sur le front russe n'a pas d'implication à l'ouest. Il nie par là toute vision stratégique ou opérative et s'en tient à une vision locale, voire envisage éventuellement une action commune sur un point de l'adversaire comme en Crimée en 1854. Ce constat montre la difficulté intellectuelle des militaires de l'époque à prendre en compte cette situation figée. D'ailleurs, les duels d'artillerie se développent ou arrêtent les quelques offensives d'envergure, comme à Ypres où 300 combattants allemands sont tués lors de l'assaut le 25 janvier. Les escadres maritimes s'opposent également sans résultats probants si ce n'est de nombreux naufrages comme le 24 janvier alors ques les 4 croiseurs allemands de l'amiral Hitte rencontrent celle du britannique de Sir David Beatty. Sur le front russe, la Hongrie appelle au secours et reçoit deux corps d'armée allemands et cinq divisions autrichiennes pour maintenir le front. Le maréchal Hindenburg entreprend de réarticuler son dispositif à l'est. En France, les mico-opérations se pousuvent notamment en Argonne, en Flandres et près de la Bassée (région de Bethune). Le 30 janvier, en Perse, aux environs de Tabriz, les Turcs sont mis en déroute et le 1er février la bataille la plus sanglante du front oriental débute. Il s'agit de des combats de Borgimoff au cours desquels 100 000 allemands, appuyés par 600 canons, lancent une attaque sur 10 km de front afin de briser les lignes russes qui défendent Varsovie. C'est un charnier indescriptible (30 000 tués, blessés et prisonniers côté germanique) qui peut être observé le 6 février à la fin des combats mais sans résultat.
Début février, les Ottomans tentent de franchir le canal de Suez avec 12 000 hommes mais sont repoussés par les navires anglais croisant dans cette région et, les Occidentaux, persuadés que l'Allemagne disperse ses efforts, mettent en commun leurs ressources financières pour l'effort de guerre. Le 4 février, sur proposition du ministre de la guerre, la chambre des députés adopte le projet de loi créant la Croix de guerre et les citations qui lui sont liées. Le 4 février, les Allemands annoncent le début de la guerre sous-marine appelée "guerre des pirates" par l'auteur. En général, les communiqués ne font état que de faits d'armes très localisés à l'image d'une vision étriquée de la tactique et de l'art de la guerre, comme figée en ce début d'année 1915 : succès d'artillerie entre la Scarpe et l'Oise, l'affaire de la Creute, les combats de Perthes et de Massiges. Le 14 février, les Français s'emparent d'une partie du Cameroun contigue au Tchad et le 15 février, les Allemands, qui ont recomposé leurs forces, bousculent les Russes qui se replient vers le Niemen et sur la rive droite de la Vistule. Cette efficacité allemande, notamment en termes de regroupement et de concentration opérationnelles des troupes (grâce au train) sont tournés en dérision par le lieutenant-colonel Rousset. Ce dernier suit le mouvement propagandiste accusant les troupes ennemies d'actes lâches (simulation de rédition) et de violences à l'image des Huns. A leurs tours, du 16 février à début mars, les Français lancent des attaques furieuses sur les Allemands aux Eparges mais surtout en Champagne. De longues et puissantes préparations d'artillerie précèdent les offensives qui permettent uniquement de prendre que 400 à 800 mètres de tranchées à chaque effort et de ne faire quelques centaines de prisonniers. Le général Joffre, afin de rendre hommage à ses hommes souvent réservistes pour la plupart et engagés dans la guerre sans grande expérience, promulgue un ordre le 20 février qui montre que le conflit va s'inscrire dans la durée et consumer le potentiel humain français : "Après six mois de campagne, les unités de réserve ont acquis toute la cohésion qui pouvait leur faire défaut au moment de la mobilisation...elles ont donné sur maints champs de bataille la preuve de leur valeur. Le général en chef décide que les dénominations de divisions, brigades, régiments et bataillons de réserve sont supprimées ; à l'avenir, les unités seront désignées uniquement par leurs numéros."
En revanche, sur le front oriental, rien ne va plus, la 10ème armée russe bat en retraite et son 20ème corps est encerclé. Le Tsar semble préparer une contre-attaque sur la Narew qui permet de reprendre Praznich mais les Autricchiens attaquent plus au sud et, la Russie, faiblement équipée en voies ferrées peinent à basculer son effort et à amener les renforts rapidement. Parrallèlement, les Allemands connaissent des restrictions du fait du blocus, notamment sur le pain et les proportions accordées à chaque personne. Cette contrainte va accentuer leur guerre sous-marine. Le 26 février, les forces allemandes inaugurent une nouvelle arme, le liquide enflammé, dans les tranchées du bois de Malaucourt et une escadre britannique fait taire les forts turcs qui protègent le détroit des Dardanelles. Le mois de mars 1915 pourrait marquer un tournant... A suivre...
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