Nous renouons avec le récit du lieutenant-colonel Rousset, contemporain du premier conflit mondial et ancien professeur de tactique à l'Ecole supérieure de guerre. Son récit, mis en perspective de notre analyse contemporaine des évènements offre, à la fois un formidable regard averti sur la Grande Guerre, mais aussi de véritables axes de réflexion sur la tactique et les enseignements opérationnels. Il aborde cette fois les importants combats, sur tous les fronts de janvier et février 1916 qui auront des conséquences décisives.
Les 1er et 2 janvier 1916, au Cameroun, les Anglais venus du nord-ouest et les Français arrivant du Tchad et du Congo poussent les Allemands à se replier au-delà de Gaundé. Des pièces à longue portée allemande frappent des villes importantes comme à Nancy avec un objectif stratégique et des effets proches de la guerre psychologique. Sur mer, le bilan 1915 montre que, notamment, les sous-marins de la marine allemande demeurent une menace sérieuse après avoir coulé 231 navires britanniques et 212 autres étrangers.
L'offensive russe du général Ivanof se poursuit dans la région de Czernowitz dans des batailles meurtrières alors que le front de Champagne connaît à son tour des soubresauts violents près de Tahure et de Somme-Py. Il est assez intéressant de constater que le front de l'est demeure mobile (on y voit même des détachements de cosaques à cheval en reconnaissance) et que l'armée russe parvient encore à manœuvrer en Bukovine et sur la Courlande, montrant ainsi que la guerre de position n'est pas une fatalité. "Et ainsi l'activité des Russes, dont je le répète, il ne faut voir que la portée locale et le but déterminé, aura quoi qu'il arrive, contribué dans une large mesure à dégager notre front, à un moment si exposé, et qui, à mesure que le temps passe, se garantit mieux contre des aventures dont l'imminence semble s'écarter". Parlant de nos forces à Salonique, le lieutenant-colonel Rousset considère que "Couvert en avant par des tranchées redoutables, débarrassé en arrière de la malfaisance des agents boches et de leurs coups de Jarnac, le corps expéditionnaire attend sans émoi les évènements. Sa garde est ferme et sûre; elle lui permet de tourner la pointe de fer du côté qu'il voudra". Il pressent par là la nécessité de relancer les opérations de revers mais il faudra encore attendre près de 2 ans pour que cette opportunité soit saisie.
En revanche, la résistance monténégrine face aux Autrichiens montre ses limites dès le 6 janvier alors qu'en France ce ne sont que des duels d'artillerie sur toute la longueur du front. Le 7 janvier, à Londres, cherchant des effectifs, les Chambre des Communes adopte le projet de loi sur le service obligatoire.
Notre témoin fait une aparté sur l'aviation française qui semble en crise et ce, malgré le besoin de plus en plus important en avions sur les champs de bataille. En effet, Paris avait fait le choix d'aéronefs multi-rôle capable de combattre la chasse adverse, de faire des vols de reconnaissance mais aussi des missions de bombardement. Malheureusement, la polyvalence a montré ses limites et impose maintenant de rattraper le retard pris pour cette fonction opérationnelle (ce n'est pas encore une armée à l'époque) : "Donc, adaptation des appareils au rôle exclusif qui leur est assigné, et, conséquemment, renoncement absolu à l'interchangeabilité qu'on a voulu leur donner." Le 11 janvier, une vive attaque allemande appuyée par des gaz asphyxiant sur 8 km de front est lancée entre Tahure et Massiges mais sont arrêtés.
Si dans le Caucase, les Russes bousculent, dans un froid terrible, les forces turques, y compris les Kurdes, et percent également en Perse, la France est contrainte de débarquer à Corfou pour tendre la main aux Serbes et aux Monténégrins alors que la flotte autrichienne est toujours privée de liberté de navigation au niveau des bouches de Cattaro (où un sous-marin français coule un de ses quatre croiseurs). En Mésopotamie, la colonne britannique du général Aymer subit de lourdes pertes face aux Turcs à Es Sinn le 21 janvier. La falaise de Vimy revient sur le devant de la scène avec de terribles sapes préparées par les Allemands dont c'est la spécialité. Des milliers de kilogrammes d'explosifs sont utilisés dès le 23 janvier et les entonnoirs atteignent parfois 40 mètres de diamètre. L'assaut est lancé par l'ennemi, profitant probablement des renforts arrivés sur le front de l'ouest, le nombre de bataillons étant passé de 1136 en août 1915 à 1286 au début 1916. De nouvelles mines explosent le 26 janvier notamment vers la côte 119 et la ferme de La Folie. Une offensive allemande se développe simultanément dans la Somme et en Artois et les Alliés peinent à ajuster des tirs de barrage du fait de la proximité des troupes amis au contact de l'adversaire. Les Allemands relancent alors l'attaque au sud-est de la côte 140
Le 29 janvier, un zeppelin arrive au-dessus de la capitale et largue 17 bombes sur la quartier de Mesnilmontant tuant 26 personnes. L'interception des avions français est trop lente et n'a aucun effet. Le 30 c'est une autre alerte et le 31 six zeppelins franchissent la Manche et bombardent l'Angleterre dans les Midlands. On voit bien que Berlin cherche à frapper stratégiquement les Alliés dans la profondeur afin d'influer sur le moral de l'arrière alors que les bombardements français, par exemple, se contentent de cibles à portée opérative (dépôts de munitions, nœuds ferroviaires,...).
A suivre...
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