Le lieutenant-colonel Rousset décrit le déroulement du conflit mondial sur la période de janvier-février 1916, moment crucial de la guerre et ce, notamment au regard du nombre de fronts ouverts et des opérations lancées, ou en préparation.
Le 1er février, le camp retranché de Salonique est vu, au même titre que les Dardanelles en 1915, comme l'opportunité de renverser la situation même si, début 1916, cela demeure une illusion stratégique (malgré les efforts du général Sarrail pour créer les conditions de la victoire sur ce théâtre d'opérations). A tel point que notre témoin parle de "l'impuissance ennemie", y compris en Artois et en Picardie, ce qui paraît quelque peu en décalage avec les réalités du terrain.
Il stigmatise les bombardements allemands, la faiblesse des effectifs qu'il croit encore disponibles en Allemagne (qu'il estime à 300 ou 400 000 hommes au maximum). Il diabolise l'ennemi et ses actions dans la profondeur (bombardements stratégiques défendus par les Alliés 30 ans plus tard) en considérant notamment que "la perversité allemande profite de toutes les circonstances pour s'enfoncer plus avant dans le crime et l'infamie. Le sang inutilement répondu est un régal pour ces brutes sadiques, dont le plus grand bonheur est de se repaître de destruction et de massacres." Au plan tactique, en Orient, le 2 février, 14 avions français bombardent un camp allemand en Bulgarie avec 180 bombes, causant 470 tués et plus de 500 blessés. Une anecdote apparaît alors dans les propos de notre ancien professeur à l'Ecole supérieure de guerre. Il examine les commentaires et écrits de son alter ego côté allemand, le colonel Goedtke dont il critique, à cette occasion, les conclusions opérationnelles, hormis le constat germanique qu'il manque un commandement unique aux Alliés.
Du 5 au 8 février, le sergent pilote Guynemer remporte sa 5ème victoire alors qu'en Champagne l'artillerie française tente de désorganiser les lignes allemandes près du Navarin, qu'en Artois les troupes allemandes lancent un assaut après l'explosion de terribles fourneaux et, qu'à Corfou, l'armée serbe, sous la protection française, se réorganise avec de nombreux effectifs. L'auteur revient ensuite pendant plusieurs jours sur les succès russes à l'est, sur le Dniestr contre les austro-allemand, et au Caucase face aux Turcs dans la région d'Erzeroum. Il croit ainsi que les troupes françaises peuvent "attendre l'ennemi de pied ferme" car les premières lignes résistent aux attaques sur le canal de l'Yser, en Champagne (butte du Mesnil) et dans l'Aisne. Dans ce dernier lieu, on observe que "les assaillants sont précédés d'hommes porteurs d'outils et armés de révolvers, de poignards et de grenades. Nos tranchées de première ligne sont atteintes et dépassées,..." Cela paraît ressembler aux prémices des futures unités d'assaut de 1918, les "Stosstruppen". Il y a ainsi une volonté d'infiltrer les défenses adverses avec des groupes légers et mobiles, afin de faciliter la percée. Le 17 février, les Russes prennent Erzeroum aux Turcs faisant des centaines de prisonniers, récupérant 323 pièces d'artillerie alors que les Britanniques annoncent la conquête définitive du Cameroun, les 14 900 derniers combattants du commandant Zimmermann s'étant réfugiés au Rio Del Muni. Rousset espère que les Russes profiteront de ces succès pour tendre la main aux Anglais malmenés en Irak. Il rédige ensuite un texte d'humeur suite à la décision ministérielle d'imposer un tour pour les officiers d'état-major dans des unités de combat sur le front. En effet, il trouve injuste les commentaires civils qui considèrent que les officiers brevetés se sont coupés de la troupe et ne sont pas aptes à planifier les opérations du moment, leur appétence pour l'offensive à outrance ne correspondant pas aux besoins tactiques. C'est lui faire affront, lui qui a enseigné la tactique à de nombreux officiers : "les officiers brevetés ont tous passé, avant d'être placés dans les quartiers généraux, par des épreuves multipliés et ardues. Ils sont le produit d'une sélection minutieuse qui doit servir de garantie, à moins que les mots aient complètement perdu leur sens. C'est donc commettre une première erreur, doublée d'une injustice, que de leur reprocher la méconnaissance de leur métier. Mais ce métier, dit-on, ils ne l'ont pas appris (...) ceux qui colportent, avec une assurance dogmatique dont on chercherait vainement la justification, n'ont qu'à ouvrir les cours de l'école de guerre et même certains de nos règlements". Ce débat est commun à toutes les époques et démontre, en toute objectivité, qu'il faut garder un équilibre précaire entre formation, expérience opérationnelle et pratique des états-majors dont les tâches quotidiennes, ou l'environnement politico-militaire, peut troubler le sens des réalités des officiers qui y servent.
Le 21 février 1916, la bataille de Verdun débute par un assaut violent de 7 corps d'armée allemands avec un effort dans les bois d'Haumont et des Caures. Il faut attendre le 25 février pour que notre témoin prenne la vraie mesure de ces combats qui débutent en Meuse et que la" tactique de l'offensive-défensive" française vantée par le lieutenant-colonel Rousset ne suffit plus à endiguer. Il reconnaît les pertes importantes des deux côtés, la force de l'artillerie lourde adverse et traduit l'angoisse de la population et ce, du fait de communiqués succincts annonçant le repli des unités sur la côte du Poivre, sur le bois de Douaumont ou en Woëvre. Le 26 février, la situation à Verdun est jugée sérieuse et l'arrivée du général Pétain pour commander la place est confirmée. Le fort de Douaumont tombe, la propagande française tente de faire croire qu'il est encerclé et que ces assauts allemands vont cesser et n'étaient qu'un soubresaut de plus. Mais nous savons aujourd'hui que la bataille ne fait que commencer...
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