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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 24 février 2013

Petites guerres et contre-insurrection : perspectives historiques (fin).

La décolonisation, la subversion et la guerre révolutionnaire.
 
Après 1945, du fait des ambitions indépendantistes des colonies européennes mais aussi des influences des idéologies de la Guerre Froide, plusieurs penseurs comme Mao (Chine), Fidel Castro (Cuba), Ché Guevara (Amérique du sud), Hô Chi Minh (Vietnam) et Marcelino Dos Santos (Mozambique), Chin Peng (Malaisie) ou Ahmed Ben Bella (Algérie) théorisent ou développent, avec leurs spécificités propres, une doctrine de guerre révolutionnaire, de subversion et de libération nationale. Si les applications concrètes diffèrent parfois d’un pays à l’autre, les fondements sont souvent les mêmes dans la mise en œuvre de l’insurrection. Ainsi, cette stratégie indirecte, très bien décrite par le général Beaufre dans son ouvrage « Introduction à la stratégie » se met en place face aux grandes puissances de l’époque. On y retrouve, à chaque fois, l'instauration d’une organisation clandestine, celle d’une administration parallèle, une rébellion armée qui agit, de surcroît, au sein de la population, pratique la terreur, la subversion (propagande, noyautage, recrutement) et frappe à partir de ses sanctuaires (souvent derrière une frontière ou dans un relief difficile d’accès), bases protégées qui s’élargissent avec le temps.



Que ce soient par une volonté d’indépendance ou la traduction de revendications sociales comme politiques, ces insurgés sont souvent soutenus par l’Union Soviétique et ce, tant matériellement que financièrement ou idéologiquement. Les pays occidentaux ou encore les gouvernements soutenus par les Etats-Unis (pouvoirs forts) font dès lors face à des situations complexes, alliant décolonisation, pauvreté sociale, délégitimation d’Etats totalitaires, propagande communiste, réseaux mafieux, tribalisme ou panarabisme.
 
Les réponses des pays occidentaux sont diverses et obtiennent des résultats mitigés, plutôt tactiquement efficaces mais rarement politiquement ainsi que stratégiquement durables.
Par conséquent, les Français doivent quitter l’Indochine après une défaite symbolique à Dien Bien Phû en 1954. Ils faisaient face au Vietminh qui aura néanmoins souffert des actions menées par les groupes mobiles comme le GM 100, unité de contre-insurrection qui tient les « Hauts plateaux » avec l’appui de combattants locaux. Les Britanniques du général Templer finissent par vaincre les insurgés malais dans la jungle mais au prix de combats violents, de lourdes pertes, d’un exode massif de la population paysanne et de réformes politico-sociales importantes. Dans la plupart des cas, les puissances coloniales ou les dictatures doivent céder devant l’ampleur de l’action des insurgés et le soutien à l’insurrection de plus en plus important de la population voire de la communauté internationale.
Tactiquement pourtant, les opérations militaires sont souvent couronnées de succès, à l’image de la situation en Algérie entre 1959 et 1961. En effet, l’appareil de combat du FLN (front de libération national algérien) est très affaibli par l’action combinée développée grâce au plan du général Challe. Dans ce cadre, la ligne « Morice » rend les frontières presque imperméables à toute infiltration venue de l’étranger ; les « commandos de chasse » (unités légères mobiles et aguerries françaises) traquent les katibas (groupes de combattants irréguliers) dans les djebels ; la bataille d’Alger détruit les réseaux clandestins de la rébellion et les SAS (sections administratives spécialisées) contrôlent et soutiennent les populations (école, armement de milices d’auto-défense, action de l’Etat,…).
Plus tard, la guerre du Vietnam, entre 1965 et 1975, mettra pourtant en exergue ce décalage  entre supériorité tactique et défaite politico-stratégique. Face au Viêt-Cong soutenu par le Nord Vietnam, la Chine et l’URSS, Washington n’arrivera jamais à fragiliser l’insurrection, malgré l’emploi de forces spéciales (et de troupes supplétives), l’organisation de grandes opérations militaires, la répétition de bombardements massifs, la « Vietnamisation » du conflit (formation et équipement de l’armée du sud-Vietnam) ou l’élaboration de concepts nouveaux comme les « villages stratégiques » (isolement des populations civiles dans des sanctuaires protégés des combattants communistes).
 
Face à cette nouvelle forme de guerre, des écoles de pensée de contre-insurrection vont naître ainsi que des écoles de formation, en particulier françaises, avec le travail d’officiers comme Lacheroy, Hogard ou encore Poirier. Mais ce sont deux colonels qui feront la synthèse des grands principes et caractéristiques de ce combat asymétrique, études qui tomberont en désuétude jusqu’aux années 2000 du fait de leur lien avec la colonisation.
Tout d’abord, il convient de citer le colonel Trinquier qui dispose d’une grande expérience indochinoise et algérienne et qui, dans son ouvrage « La guerre moderne » détaille les mesures à prendre face à un adversaire irrégulier. Pour lui, ces actions sont principalement coercitives, les actions civilo-militaires n’étant qu’un moyen de soutenir des populations éprouvées par les affrontements. De son point de vue, le gouvernement retrouvera sa légitimité dès lors que la sécurité sera assurée et il considère donc que les insurgés ne tirent leur force que d’un soutien extérieur ou étranger. Il propose alors d’agir selon 3 phases successives : conquérir les zones urbaines (pouvoirs des militaires élargis) puis contrôler les campagnes et enfin, détruire les sanctuaires des rebelles avec une composante opérationelle statique (bouclage et quadrillage) mais aussi des unités mobiles (embuscades, actions dans la profondeur, surprise).
Un autre de ses contemporains, le lieutenant-colonel Galula écrit « Counterinsurgency, theory and practice » depuis les Etats-Unis pour expliciter sa vision polémologique. Il y analyse davantage les atouts et les faiblesses de l’insurrection ainsi que sa nature :
- une cause à défendre (politique, idéologique, religieuse) ;
- un pouvoir politique faible ;
- une situation de crise ;
- un soutien extérieur ;
- des caractéristiques économiques ou géographiques favorables.
- deux méthodes : chinoise (organisation clandestine, endoctrinement et noyautage, guérilla, adhésion de la population, campagne conventionnelle de libération), algérienne (phase de terrorisme en lieu et place de l’endoctrinement).
 
Pour vaincre, les forces conventionnelles doivent par conséquent suivre un plan en 8 étapes :
- anéantissement ou dispersion des forces insurrectionnelles (en s’assurant de la neutralité des populations et en évitant les dommages collatéraux) ;
- déploiement d’unités statiques pour tenir le terrain et participer à la protection des civils comme à la reconstruction des infrastructures vitales ;
- contrôle et contacts avec la population (recensements, patrouilles, renseignements) ;
- éradication de l’organisation clandestine politique des insurgés ;
- organisation d’élections libres et mise en place d’autorités locales provisoires (émancipation des femmes, promotion des jeunes leaders) ;
- contrôle du travail des responsables locaux et leur protection contre des représailles de la guérilla ;
- mise en place des autorités nationales ;
- ralliement ou destruction des derniers éléments de la guérilla (afin d’éviter que cette dernière ne se reconstruise).
 
On voit apparaître là les fondements doctrinaux des réflexions sur la contre-insurrection en lien avec les conflits les plus contemporains.
 
Les évolutions récentes.
 
Avec la chute du Mur de Berlin, les équilibres géopolitiques ont été une fois de plus secoués par des conflits et des rébellions diverses et variées. Les stratégies du « faible au fort », les actions asymétriques se sont développées, en particulier avec le terrorisme islamiste, les guerres civiles ou ethniques et finalement les opérations occidentales sur certains théâtres d’opérations en crise. Aussi, devant les difficultés à trouver des solutions tactiques comme stratégiques et même politiques, aux interventions en Irak ou en Afghanistan, face à l’émergence d’adversaires irréguliers comme le Hezbollah au Liban, le Hamas en Palestine, le groupe somalien Al-Shabaab, AQMI au Sahel ou les FARC de Colombie, des officiers, des organisations et des armées ont cherché à développer de nouvelles formes de contre-insurrection pour contrer une menace en pleine évolution. De ce point de vue, on observe que ces combattants irréguliers, en Asie, au Moyen Orient, en Afrique comme en Amérique du Sud peuvent aujourd’hui combattre avec des modes d’action en mutation. Ils pratiquent l’emploi d’IED (explosifs improvisés), l’enlèvement ; ils utilisent des systèmes d’information modernes (internet, communications satellites) et des armes puissantes de haute technologie (missiles sol-air, drones, …).
En termes de recherche et de réflexion, on peut citer le travail de spécialistes comme Gérard Chaliand (« Guerres irrégulières : XXème et XXIème siècle. Guérillas et terrorismes »), Christian Malis et Barthélémy Courmont ou de militaires comme le général australien Kilkullen. Ce dernier, d’ailleurs, en étudiant l’échec des insurgés du Dar ul Islam à Java (Indonésie) comme les succès des rebelles du Timor, a rédigé, en 2006, un recueil de 28 articles de COIN au niveau de la compagnie. Il évoque ainsi :
-la nécessité de connaître son territoire ;
-le besoin de diagnostiquer le problème (comprendre le système) ;
-l’organisation spécifique à penser pour recueillir le renseignement ;
-l’organisation d’opérations avec des acteurs globaux (développement, sécurité, humanitaires, …) ;
-le renforcement de la chaîne logistique mais l’allégement des unités combattantes (gagner en rapidité de manœuvre) ;
-l’appui d’un conseiller politico-culturel ;
-le développement de la subsidiarité ;
-la mise en avant de la compétence sur le grade ;
-la planification même au niveau tactique ;
-la présence, de jour comme de nuit, des soldats auprès des populations ;
-la maîtrise de la force ;
-la nécessité de préparer la relève (retour d’expérience, mémoire collective, continuité de l’action) ;
-la construction d’un réseau de confiance (gagner les cœurs) ;
-la recherche de la facilité et des succès précoces (pour montrer des résultats concrets) ;
-la conduite d’opérations dissuasives ;
-la préparation à subir des revers (se préparer à l’échec, aux pertes) ;
-la prise en compte de l’opinion publique mondiale ;
-l’engagement de femmes localement pour travailler et l’éloignement des enfants des bases militaires ;
-le travail d’inventaire régulier à mener (statistiques, indicateurs, bilans, étude systémique, …) ;
-l’exploitation de récits individuels pour valoriser l’action de la Force.
-la formation des forces de sécurité locales sous la forme de celles de l’ennemi ;
-la conduite d’actions civilo-militaires ;
-la multiplication de petits projets (ponts, marchés, écoles, dispensaires, puits, …) plutôt que de grands chantiers emblématiques ;
-le combat contre la stratégie ennemie pas contre ses forces ;
-la nécessité de trouver une solution locale ;
-l’impératif secret sur le plan de retrait ;
-la mise en œuvre d’une tactique permettant de garder l’initiative en permanence.
 
 
Sur le terrain, les applications et la réflexion continuent, à l’instar de commandants en chef comme les généraux Petraeus ou Mac Chrystal en Irak et en Afghanistan ou encore de Tsahal en territoires occupés ou au sud-Liban. A chaque fois, la notion de temps long et de durée apparaît comme un obstacle pour des sociétés pressées d’obtenir des résultats et soucieuses d’économiser les deniers publics.
Ces efforts de conceptualisation et d’évolution de l’engagement ont ainsi permis de stabiliser les situations et d’affaiblir les groupes insurgés avec l’emploi, par exemple, du « Surge » américain, un apport de renforts conséquent sur le terrain sur une courte période. Néanmoins, les succès militaires et la constitution de forces de sécurité locales ne sont pas toujours suivis de progrès politiques, économiques ou sociaux, d’autant que le contexte de ces opérations internationales ou régionales n’est pas toujours favorable à un retour à une normalisation rapide (Arc de crise, conflits latents).
En effet, qu’il s’agisse des conditions géographiques (zones de crise, Etats faillis,..), d’influences religieuses ou culturelles, de légitimité internationale et d’influence des opinions publiques, les troupes sur le terrain souffrent de difficultés pour appliquer les grands principes de contre-insurrection. La « petite guerre » demeure donc une forme de conflictualité qui a encore un avenir dans les guerres à venir car elle évolue et s’adapte sans cesse aux milieux, aux belligérants, aux armements et aux parades développées par les armées conventionnelles.

 

Frédéric JORDAN

1 commentaire:

  1. " Pour vaincre, les forces conventionnelles doivent par conséquent suivre un plan en 8 étapes " ... établi sur 8 décennies …

    Mais votre conclusion le souligne justement. La notion de temps est essentielle dans l’issue réservée à ces pays déstabilisés.

    L’occupation l’est aussi. Mais en 2013, il ne faudrait pas qu’elle soit assimilée à une quelconque forme de colonialisme. Que faire alors ? Comment lutter contre l’insurrection quand on n’a ni le temps ni l’adhésion formelle de la population ? Car il ne faut pas se leurrer, la construction d’une école ou la rénovation d’une route ne fait pas pour autant gagner les cœurs. A la stratégie militaire doit s’ajouter la stratégie politique.

    Tant que le pouvoir exécutif, la justice, l’administration, les différents acteurs politiques (locaux/de zones ; régionaux/provinciaux/fédéraux ; nationaux) ne seront pas co-occupés, jumelés, guidés, orientés, mentorés (trouver la dénomination politiquement correcte pour ne froisser personne) ; alors l’insurrection aura encore de beaux jours devant elle malheureusement … et ce, malgré toutes les grandes réflexions contemporaines qui auront été entreprises en matière de contre-insurrection.

    Occuper donc militairement … politiquement … selon mon raisonnement … Mais peut-on occuper idéologiquement ? Comment changer une idéologie basée sur des concepts religieux ? Peut-on orienter ou mentorer en matière de théologie ? Oui !!! en convertissant ou en occupant sur la durée et surtout par le nombre. Croisade ou colonialisme dans ce cas là ?

    Petites guerres effectivement mais grands problèmes …

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