La
décolonisation, la subversion et la guerre révolutionnaire.
Après
1945, du fait des ambitions indépendantistes des colonies européennes mais
aussi des influences des idéologies de la Guerre Froide, plusieurs penseurs
comme Mao (Chine), Fidel Castro (Cuba), Ché Guevara (Amérique du sud), Hô Chi
Minh (Vietnam) et Marcelino Dos Santos (Mozambique), Chin Peng (Malaisie) ou
Ahmed Ben Bella (Algérie) théorisent ou développent, avec leurs spécificités
propres, une doctrine de guerre révolutionnaire, de subversion et de libération
nationale. Si les applications concrètes diffèrent parfois d’un pays à l’autre,
les fondements sont souvent les mêmes dans la mise en œuvre de l’insurrection.
Ainsi, cette stratégie indirecte, très bien décrite par le général Beaufre dans
son ouvrage « Introduction à la
stratégie » se met en place face aux grandes puissances de l’époque.
On y retrouve, à chaque fois, l'instauration d’une organisation clandestine, celle
d’une administration parallèle, une rébellion armée qui agit, de surcroît, au
sein de la population, pratique la terreur, la subversion (propagande,
noyautage, recrutement) et frappe à partir de ses sanctuaires (souvent derrière
une frontière ou dans un relief difficile d’accès), bases protégées qui
s’élargissent avec le temps.
Que
ce soient par une volonté d’indépendance ou la traduction de revendications
sociales comme politiques, ces insurgés sont souvent soutenus par l’Union
Soviétique et ce, tant matériellement que financièrement ou idéologiquement.
Les pays occidentaux ou encore les gouvernements soutenus par les Etats-Unis
(pouvoirs forts) font dès lors face à des situations complexes, alliant décolonisation, pauvreté sociale,
délégitimation d’Etats totalitaires, propagande communiste, réseaux mafieux,
tribalisme ou panarabisme.
Les
réponses des pays occidentaux sont diverses et obtiennent des résultats
mitigés, plutôt tactiquement efficaces mais rarement politiquement ainsi que
stratégiquement durables.
Par
conséquent, les Français doivent quitter l’Indochine après une défaite
symbolique à Dien Bien Phû en 1954. Ils faisaient face au Vietminh qui aura
néanmoins souffert des actions menées par les groupes mobiles comme le GM 100,
unité de contre-insurrection qui tient les « Hauts plateaux » avec l’appui de combattants locaux. Les
Britanniques du général Templer finissent par vaincre les insurgés malais dans
la jungle mais au prix de combats violents, de lourdes pertes, d’un exode
massif de la population paysanne et de réformes politico-sociales importantes.
Dans la plupart des cas, les puissances coloniales ou les dictatures doivent
céder devant l’ampleur de l’action des insurgés et le soutien à l’insurrection
de plus en plus important de la population voire de la communauté
internationale.
Tactiquement
pourtant, les opérations militaires sont souvent couronnées de succès, à
l’image de la situation en Algérie entre 1959 et 1961. En effet, l’appareil de
combat du FLN (front de libération national algérien) est très affaibli par
l’action combinée développée grâce au plan du général Challe. Dans ce cadre, la
ligne « Morice » rend les
frontières presque imperméables à toute infiltration venue de l’étranger ; les
« commandos de chasse »
(unités légères mobiles et aguerries françaises) traquent les katibas (groupes
de combattants irréguliers) dans les djebels ; la bataille d’Alger détruit les
réseaux clandestins de la rébellion et les SAS (sections administratives
spécialisées) contrôlent et soutiennent les populations (école, armement de
milices d’auto-défense, action de l’Etat,…).
Plus
tard, la guerre du Vietnam, entre 1965 et 1975, mettra pourtant en exergue ce
décalage entre supériorité tactique et
défaite politico-stratégique. Face au Viêt-Cong soutenu par le Nord Vietnam, la
Chine et l’URSS, Washington n’arrivera jamais à fragiliser l’insurrection, malgré l’emploi de forces spéciales (et de troupes supplétives), l’organisation
de grandes opérations militaires, la répétition de bombardements massifs, la
« Vietnamisation » du
conflit (formation et équipement de l’armée du sud-Vietnam) ou l’élaboration de
concepts nouveaux comme les « villages
stratégiques » (isolement des populations civiles dans des sanctuaires
protégés des combattants communistes).
Face
à cette nouvelle forme de guerre, des écoles de pensée de contre-insurrection
vont naître ainsi que des écoles de formation, en particulier françaises, avec
le travail d’officiers comme Lacheroy, Hogard ou encore Poirier. Mais ce sont
deux colonels qui feront la synthèse des grands principes et caractéristiques
de ce combat asymétrique, études qui tomberont en désuétude jusqu’aux années
2000 du fait de leur lien avec la colonisation.
Tout
d’abord, il convient de citer le colonel Trinquier qui dispose d’une grande
expérience indochinoise et algérienne et qui, dans son ouvrage « La guerre moderne » détaille les
mesures à prendre face à un adversaire irrégulier. Pour lui, ces actions sont
principalement coercitives, les actions civilo-militaires n’étant qu’un moyen
de soutenir des populations éprouvées par les affrontements. De son point de
vue, le gouvernement retrouvera sa légitimité dès lors que la sécurité sera
assurée et il considère donc que les insurgés ne tirent leur force que d’un
soutien extérieur ou étranger. Il propose alors d’agir selon 3 phases
successives : conquérir les zones urbaines (pouvoirs des militaires
élargis) puis contrôler les campagnes et enfin, détruire les sanctuaires des
rebelles avec une composante opérationelle statique (bouclage et quadrillage)
mais aussi des unités mobiles (embuscades, actions dans la profondeur,
surprise).
Un
autre de ses contemporains, le lieutenant-colonel Galula écrit « Counterinsurgency, theory and practice »
depuis les Etats-Unis pour expliciter sa vision polémologique. Il y analyse
davantage les atouts et les faiblesses de l’insurrection ainsi que sa nature :
-
une cause à défendre (politique, idéologique, religieuse) ;
-
un pouvoir politique faible ;
-
une situation de crise ;
-
un soutien extérieur ;
-
des caractéristiques économiques ou géographiques favorables.
-
deux méthodes : chinoise (organisation clandestine, endoctrinement et
noyautage, guérilla, adhésion de la population, campagne conventionnelle de
libération), algérienne (phase de terrorisme en lieu et place de
l’endoctrinement).
Pour
vaincre, les forces conventionnelles doivent par conséquent suivre un plan en 8
étapes :
-
anéantissement ou dispersion des forces insurrectionnelles (en s’assurant de la
neutralité des populations et en évitant les dommages collatéraux) ;
-
déploiement d’unités statiques pour tenir le terrain et participer à la
protection des civils comme à la reconstruction des infrastructures vitales ;
-
contrôle et contacts avec la population (recensements, patrouilles,
renseignements) ;
-
éradication de l’organisation clandestine politique des insurgés ;
-
organisation d’élections libres et mise en place d’autorités locales
provisoires (émancipation des femmes, promotion des jeunes leaders) ;
-
contrôle du travail des responsables locaux et leur protection contre des
représailles de la guérilla ;
-
mise en place des autorités nationales ;
-
ralliement ou destruction des derniers éléments de la guérilla (afin d’éviter
que cette dernière ne se reconstruise).
On
voit apparaître là les fondements doctrinaux des réflexions sur la
contre-insurrection en lien avec les conflits les plus contemporains.
Les
évolutions récentes.
Avec
la chute du Mur de Berlin, les équilibres géopolitiques ont été une fois de
plus secoués par des conflits et des rébellions diverses et variées. Les
stratégies du « faible au fort »,
les actions asymétriques se sont développées, en particulier avec le terrorisme
islamiste, les guerres civiles ou ethniques et finalement les opérations
occidentales sur certains théâtres d’opérations en crise. Aussi, devant les
difficultés à trouver des solutions tactiques comme stratégiques et même politiques,
aux interventions en Irak ou en Afghanistan, face à l’émergence d’adversaires
irréguliers comme le Hezbollah au Liban, le Hamas en Palestine, le groupe
somalien Al-Shabaab, AQMI au Sahel ou les FARC de Colombie, des officiers, des
organisations et des armées ont cherché à développer de nouvelles formes de
contre-insurrection pour contrer une menace en pleine évolution. De ce point de
vue, on observe que ces combattants irréguliers, en Asie, au Moyen Orient, en
Afrique comme en Amérique du Sud peuvent aujourd’hui combattre avec des modes
d’action en mutation. Ils pratiquent l’emploi d’IED (explosifs improvisés),
l’enlèvement ; ils utilisent des systèmes d’information modernes (internet, communications
satellites) et des armes puissantes de haute technologie (missiles sol-air,
drones, …).
En
termes de recherche et de réflexion, on peut citer le travail de spécialistes
comme Gérard Chaliand (« Guerres
irrégulières : XXème et XXIème siècle. Guérillas et terrorismes »),
Christian Malis et Barthélémy Courmont ou de militaires comme le général
australien Kilkullen. Ce dernier, d’ailleurs, en étudiant l’échec des insurgés
du Dar ul Islam à Java (Indonésie) comme les succès des rebelles du Timor, a
rédigé, en 2006, un recueil de 28 articles de COIN au niveau de la compagnie.
Il évoque ainsi :
-la
nécessité de connaître son territoire ;
-le
besoin de diagnostiquer le problème (comprendre le système) ;
-l’organisation
spécifique à penser pour recueillir le renseignement ;
-l’organisation
d’opérations avec des acteurs globaux (développement, sécurité,
humanitaires, …) ;
-le renforcement de la chaîne logistique mais l’allégement des unités
combattantes (gagner en rapidité de manœuvre) ;
-l’appui
d’un conseiller politico-culturel ;
-le
développement de la subsidiarité ;
-la
mise en avant de la compétence sur le grade ;
-la
planification même au niveau tactique ;
-la
présence, de jour comme de nuit, des soldats auprès des populations ;
-la
maîtrise de la force ;
-la
nécessité de préparer la relève (retour d’expérience, mémoire collective,
continuité de l’action) ;
-la
construction d’un réseau de confiance (gagner les cœurs) ;
-la
recherche de la facilité et des succès précoces (pour montrer des résultats
concrets) ;
-la
conduite d’opérations dissuasives ;
-la
préparation à subir des revers (se préparer à l’échec, aux pertes) ;
-la
prise en compte de l’opinion publique mondiale ;
-l’engagement
de femmes localement pour travailler et l’éloignement des enfants des bases
militaires ;
-le
travail d’inventaire régulier à mener (statistiques, indicateurs, bilans, étude
systémique, …) ;
-l’exploitation
de récits individuels pour valoriser l’action de la Force.
-la
formation des forces de sécurité locales sous la forme de celles de l’ennemi ;
-la
conduite d’actions civilo-militaires ;
-la
multiplication de petits projets (ponts, marchés, écoles, dispensaires, puits,
…) plutôt que de grands chantiers emblématiques ;
-le
combat contre la stratégie ennemie pas contre ses forces ;
-la
nécessité de trouver une solution locale ;
-l’impératif
secret sur le plan de retrait ;
-la
mise en œuvre d’une tactique permettant de garder l’initiative en permanence.
Sur
le terrain, les applications et la réflexion continuent, à l’instar de
commandants en chef comme les généraux Petraeus ou Mac Chrystal en Irak et en
Afghanistan ou encore de Tsahal en territoires occupés ou au sud-Liban. A
chaque fois, la notion de temps long et de durée apparaît comme un obstacle
pour des sociétés pressées d’obtenir des résultats et soucieuses d’économiser
les deniers publics.
Ces
efforts de conceptualisation et d’évolution de l’engagement ont ainsi permis de
stabiliser les situations et d’affaiblir les groupes insurgés avec l’emploi,
par exemple, du « Surge »
américain, un apport de renforts conséquent sur le terrain sur une courte
période. Néanmoins, les succès militaires et la constitution de forces de
sécurité locales ne sont pas toujours suivis de progrès politiques, économiques
ou sociaux, d’autant que le contexte de ces opérations internationales ou
régionales n’est pas toujours favorable à un retour à une normalisation rapide
(Arc de crise, conflits latents).
En
effet, qu’il s’agisse des conditions géographiques (zones de crise, Etats
faillis,..), d’influences religieuses ou culturelles, de légitimité
internationale et d’influence des opinions publiques, les troupes sur le
terrain souffrent de difficultés pour appliquer les grands principes de
contre-insurrection. La « petite guerre » demeure donc une forme de
conflictualité qui a encore un avenir dans les guerres à venir car elle évolue
et s’adapte sans cesse aux milieux, aux belligérants, aux armements et aux parades
développées par les armées conventionnelles.
Frédéric
JORDAN
" Pour vaincre, les forces conventionnelles doivent par conséquent suivre un plan en 8 étapes " ... établi sur 8 décennies …
RépondreSupprimerMais votre conclusion le souligne justement. La notion de temps est essentielle dans l’issue réservée à ces pays déstabilisés.
L’occupation l’est aussi. Mais en 2013, il ne faudrait pas qu’elle soit assimilée à une quelconque forme de colonialisme. Que faire alors ? Comment lutter contre l’insurrection quand on n’a ni le temps ni l’adhésion formelle de la population ? Car il ne faut pas se leurrer, la construction d’une école ou la rénovation d’une route ne fait pas pour autant gagner les cœurs. A la stratégie militaire doit s’ajouter la stratégie politique.
Tant que le pouvoir exécutif, la justice, l’administration, les différents acteurs politiques (locaux/de zones ; régionaux/provinciaux/fédéraux ; nationaux) ne seront pas co-occupés, jumelés, guidés, orientés, mentorés (trouver la dénomination politiquement correcte pour ne froisser personne) ; alors l’insurrection aura encore de beaux jours devant elle malheureusement … et ce, malgré toutes les grandes réflexions contemporaines qui auront été entreprises en matière de contre-insurrection.
Occuper donc militairement … politiquement … selon mon raisonnement … Mais peut-on occuper idéologiquement ? Comment changer une idéologie basée sur des concepts religieux ? Peut-on orienter ou mentorer en matière de théologie ? Oui !!! en convertissant ou en occupant sur la durée et surtout par le nombre. Croisade ou colonialisme dans ce cas là ?
Petites guerres effectivement mais grands problèmes …