Il s'agit d'un ouvrage surprenant rédigé par un officier de l'armée de Terre en 1957 aux éditions Charles Lavauzelle, le commandant La Vardière. Il y défend une organisation nouvelle pour les forces armées afin qu'elles soient en mesure de répondre aux défis stratégiques et aux problèmes socio-économiques de l'époque (menace soviétique, désordres et maintien de l'ordre intérieur, relance de l'économie, formation des plus jeunes). Cette analyse assez originale, voire déroutante (nous le verrons, notamment avec une approche de la société très militarisée) fait pourtant écho aux débats contemporains quant aux nouvelles organisations mais aussi à l'intérêt d'un retour à la conscription.
En introduction, après avoir ouvert son ouvrage par une citation du Coran, l'auteur cherche à définir la sécurité : "les problèmes de sécurité sont les premiers qui se posent à une collectivité organisée. Ils sont à l'origine même de cet esprit de solidarité qui est la première condition d'une vie sociale, la première étape d'une marche vers le progrès". Il regrette le désintérêt de la population française pour leur propre défense : "car si les Français conçoivent aisément la nécessité d'un effort en faveur de collectivités dont ils dépendent directement et étroitement (famille, syndicats, associations, parti,...), ils ne se haussent que rarement à l'échelle des besoins réels d'une collectivité nationale dont ils savent mal apprécier les limites, et trouvent une trop facile excuse à leur indolence de peuple repu dans le refus de voir les dangers qu'ils craindraient d'avoir à combattre". En guise de généralités, il rappelle que la structure économique et sociale nationale a subi de larges modifications, que les problèmes sociaux sont de plus en plus importants et que, pour l'institution militaire, il n'est plus possible "de considérer la sécurité intérieure comme une mission secondaire et occasionnelle de l'Armée".
Dès lors, son projet d'organisation s'articule principalement autour d'un service civique qui, plus qu'un service militaire, "tiendra compte de la valeur sociale de l'individu au moment de son incorporation et tendra à l'améliorer". Il comportera une branche non combattante appelée unités de travailleurs et d'auxiliaires (UTA). Celles-ci permettront à l'Etat de disposer d'une main-d'œuvre immédiatement disponible mais surtout, de mettre en place un système d'orientation et de formation professionnelle efficient.
Les UTA sont des organismes civils de la Défense nationale et sont soumises à une discipline rigoureuse. Elles ont pour mission "d'orienter vers une qualification professionnelle simple les personnels qu'elles seront chargées d'instruire, et d'y poursuivre leur instruction et leur perfectionnement au cours de travaux exécutés au bénéfice du pays. Elles disposeront à cet effet de personnels permanents de direction et de maîtrise". Il y aurait une vingtaine de centres régionaux pour environ 20 000 hommes à instruire dans la réparation de bâtiments, la menuiserie, le terrassement, les travaux de voierie, ...
Les forces combattantes seront, quant à elles, réparties entre des forces de défense et des forces de protection capables, sous une autorité commune, de se compléter, de s'entraider et de coordonner leurs efforts.
Les forces de protection, en charge de la sécurité intérieure, disposeraient :
- de FMP (forces mobiles de protection), unités d'infanterie légères mobiles (100 bataillons de 500 hommes), souples tactiquement et disposant d'états-majors adaptés ;
- de FIP (forces intérieures de protection) aux structures diverses en charge de la défense de sites sensibles (usines, centres de communication, organes de décision,...) et de missions de service public (lutte contre les incendies, secours aux personnes,...).
Les forces de défense (active et réserve) constitueraient le bras armé militaire de la France. La formation de base comme l'entraînement interarmes seraient assurés dans un centre d'entraînement et un centre d'instruction technique par région territoriale (finalement assez proche des centres de formation initiale, ou CFIM, actuels). L'effectif pour chaque site correspond à un bataillon d'infanterie, un groupe d'artillerie, une pièce anti-aérienne, un escadron blindé, une compagnie du génie et un détachement de transmissions (environ 2 000 hommes). Les grandes unités terrestres demeurent des divisions et sont complétées par des composantes aériennes et maritimes mais surtout par un service interarmées des transports afin de permettre une meilleure mobilité stratégique des forces. Il s'agit là d'une idée aujourd'hui mise en œuvre au travers des organismes comme le CSOA (centre de soutien des opérations et des acheminements).
Ce livre est intéressant à plus d'un titre. Tout d'abord, il met en lumière une assez large liberté de ton et d'expression d'un officier à la fin des années 1950 qui n'hésite pas à remettre en cause le système existant pour proposer son propre modèle. Ensuite, il montre qu'à chaque époque, les armées s'interrogent sur leur structure et leur adéquation au besoin avec parfois des similitudes troublantes (sécurité intérieure, difficultés sociétales, approche interarmées). Enfin, son travail, étoffé de nombreux calculs et détails chiffrés que nous n'avons pas évoqués, manque, a contrario, parfois d'une analyse des missions et des types de déploiements concrets d'une articulation à tiroir très complexe (modes d'action, effectifs, systèmes de commandement,...) dont l'ennemi (nature, volume, doctrine) n'est jamais cité. Néanmoins, on peut regretter une vision très manichéenne de la société et parfois un mépris contestable de certaines catégories sociales (illettrisme, indignité, ...). Pour terminer, certaines idées, notamment sur la rationalisation de l'entraînement ou le service civique à vocation professionnelle, méritent d'être lues avec intérêt en ces heures de réflexion globale sur l'outil de défense.
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