Aujourd’hui, que l’on parle de conflits,
de guerres, d’opérations ou encore d’interventions militaires, nombre
d’observateurs sont souvent prompts à parler d’enlisement, d’échec, de violence
contenue, d’instabilité chronique et d’efforts inutiles. Le terme de victoire
semble avoir disparu du vocabulaire, cette notion ne correspondant plus aux engagements
contemporains rythmés par des missions
dites de stabilisation, d’interposition comme de gestion de crise.
Pourtant, la recherche de la victoire,
ce nouvel équilibre politique et militaire, a toujours accompagné la
conflictualité tout au long de l’histoire et permet de donner un sens à
l’action, notamment à celle des forces armées (mais pas seulement) déployées
face à un adversaire ou, plus globalement, à une menace. Il apparaît donc
intéressant de s’interroger sur les raisons de ce désintérêt pour la victoire
ou pour sa remise en question permanente tout en mettant en perspective cette
évolution par l’examen de ce mot au travers des exemples du passé.
Nous montrerons que si les
manifestations de la victoire ont évolué avec la guerre et l’accélération du
temps, les fondements de ce vocable sont restés les mêmes et doivent être
exploitées, dans tous les domaines, pour vaincre et légitimer le combat et ce,
du niveau stratégique au niveau tactique.
Les manifestations de la victoire dans
l’histoire...
Depuis l’Antiquité, la victoire joue un
rôle important que ce soit pour les militaires mais aussi pour les responsables
politiques ou la population.
En Grèce, les différentes Cités vouent
un culte à Niké (victoire en grec),
cette divinité - sœur de la puissance (Cratos),
de la force (Bia) et de l’ardeur (Zélos) mais aussi fille d’un Titan - caractérise
ces métaphores qui mettent en avant les vertus de cette notion fondamentale en
polémologie. D’ailleurs, les peuples la représentent et la célèbrent par des
récits mythologiques ou des statues, à l’image, par exemple, de la célèbre Victoire de Samothrace. Au cours des guerres
qui ponctuent cette époque, la victoire est acquise selon diverses
appréciations. Un adversaire peut ainsi reconnaître sa défaite quand son
champion est vaincu pendant un combat singulier, une Cité faisant ainsi
allégeance au vainqueur, ou après une bataille, certains prisonniers étant
transformés en esclaves. La guerre demeure l’affaire des citoyens et du
stratège désigné (voire du roi) pour conduire les armées. Dès lors, la victoire
est célébrée par la population (et son assemblée) et la défaite examinée avec
autant d’ardeur afin d’en tirer des enseignements (changement de chefs,
évolution de la stratégie, …).
Plus tard, Rome s’inscrit dans la
continuité hellénistique avec des temples à la gloire de la victoire devenue
divinité tutélaire, sous Auguste, après la bataille d’Actium. Des jeux de 7
jours sont organisés chaque année en son honneur et les symboles de la victoire
décorent temples, villae et autres
forums. Le triomphe des généraux, rentrant à Rome avec ses légions, devient une
tradition qui permet à la population de saluer son armée victorieuse et de voir
défiler les armes, trésors, bagages pris à l’ennemi ainsi que les prisonniers
(en particulier les chefs) dont certains sont mis à mort. Gagner un conflit est
alors synonyme de batailles remportées, de villes détruites ou ralliées, de
renforts en troupes auxiliaires, de terres agricoles exploitées, de peuples
soumis puis « romanisés »
sur le long terme. Ce processus se caractérise également par une fusion
culturelle de part et d’autres, le droit romain, la monnaie, le panthéon divin,
la langue latine s’imposant ou s’adaptant aux particularités régionales (entrée
de dieux orientaux dans certaines célébrations religieuses). La « Pax Romana », c’est-à-dire la
sécurité, l’autorité, la souveraineté, le commerce assurés par Rome sur l’Empire
symbolise la victoire au sens le plus large.
Au cours du Moyen-Âge, on assiste à d’autres
manifestations de la victoire en lien avec le nombre de vassaux d’un suzerain,
de l’importance de ses places fortes, comme des seigneurs faits prisonniers sur
le champ de bataille et échangés après rançons. Si les confrontations armées
demeurent importante, notamment lors de la Guerre de Cent ans, la victoire n’est
que partiellement liée à la puissance d’un royaume ou d’un pays, mais plutôt
attachée au succès d’une alliance entre nobles et de leur importance ou
influence relative. Face à des menaces plus diffuses comme celle des Vikings
par exemple, être victorieux se conçoit quand les pillages sont limités (protection
des monastères et de leur patrimoine religieux) ou quand les accords conclus
avec les envahisseurs (souvent financiers) permettent de préserver une région de
raids meurtriers. Avec les Croisades, la
victoire prend la forme de la reconquête de lieux symboliques comme Jérusalem,
de sécurisation des routes menant en Terre sainte et de la prise de contrôle de
nouvelles régions (répartis en fiefs puis en petits royaumes). La population n’est
que rarement associée aux instants victorieux, notamment du fait de la dilution,
dans le temps et l’espace, des conflits mais aussi des faibles moyens de
communication pour diffuser une information fiable et intelligible pour tous.
Avec la naissance des Etats, la guerre est
partagée par le plus grand nombre et la victoire apporte des résultats concrets,
qui vont des drapeaux pris à l’ennemi (et signifiant l’anéantissement d’un
régiment) aux canons en passant par des places fortes, des territoires puis des
traités de paix dument signés par les monarques ou représentants politiques des
belligérants. La mise en place de la conscription et la levée d’armées de masse
amplifiera au XVIIIème siècle ce phénomène. En effet, chaque citoyen
ou sujet participe aux combats victorieux et apporte avec lui, dans ses foyers,
les souvenirs des campagnes, voire d’épopées qui glorifient et donnent sens à
la victoire. Avec Napoléon, les arcs de Triomphe refont leur apparition et les
communiqués de l’empereur mettent des mots sur les succès, actes de bravoure ou
progrès stratégiques sur l’adversaire.
Parallèlement au développement des
journaux puis à l’avènement de la guerre totale, la victoire, ou les tentatives
pour l’atteindre, envahit tous les domaines, de l’industrie à l’information
(propagande) en passant par la ligne de front, l’éducation (mythe de la
revanche), la doctrine militaire (offensive à outrance), les colonies et même
la littérature. Etre victorieux, c’est brisé l’armée ennemie, préserver les
frontières de la menace, s’assurer le contrôle des mers et imposer ses valeurs
ou son système politique. Les civils ou non combattants sont alors autant victimes
qu’acteurs ou contributeurs de la victoire. Des cérémonies (8 mai, 11 novembre)et défilés symbolisent des victoires mais aussi le baptême de monuments (ponts, rues, jardins) saluent les batailles victorieuses comme Iéna, Bir Hakeim, la gare d'Austerlitz ou la place des victoires.
Au cours du XXème
siècle, au-delà de deux conflits mondiaux, la victoire n’est plus forcément
liée aux résultats militaires mais aux arbitrages d’organisations
internationales, aux décisions politiques (guerres de décolonisation) et aux
enjeux économiques ou énergétiques. Les belligérants changent de nouveau de
nature avec la réapparition des guerres irrégulières, l’action de mercenaires, celle
de groupes armés, de terroristes, et le développement de ce qu’on appelle le
combat asymétrique.
La menace ou les crises s’éloignent dans
le même temps des pays occidentaux dont les sociétés de consommation cherchent
à tout prix des résultats positifs à court terme, épris qu’elles sont de l’accélération
du temps médiatique et de la paix gagnée depuis des décennies. Les expéditions
lointaines, avec souvent des armées professionnelles, intéressent peu et ne
suscitent pas l’engouement pour les évènements victorieux, y compris pour les commémorations mémorielles. La victoire, dont les fondements n’ont pourtant
pas tant changé à notre époque contemporaine n'est plus une référence et a perdu son sens.
A suivre…
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