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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

jeudi 14 mai 2015

La première guerre mondiale au jour le jour : avril -mai 1915.


 
Suivons une fois de plus le récit quotidien du lieutenant-colonel ROUSSET, ce contemporain du premier conflit mondial, spectateur averti (ancien professeur de tactique à l'Ecole supérieure de guerre) des combats que se livrent les Nations en guerre en ce début de XXème siècle.
A compter du 17 avril, dans les Carpathes ce sont quatre millions d'hommes qui sont aux prises sur un front de 300 km, les Allemands tentant de soutenir un allié autrichien en grande difficulté. Les combats s'annoncent rudes dans un terrain transformé par le printemps en un mas de boue où il est très difficile de circuler (et de ravitailler les unités). Les Russes, sur le plan stratégique, peuvent néanmoins compter exceptionnellement sur le port d'Argangelsk libéré très tôt des glaces  cette année, les ports de la Baltique et de la Mer Noire n'ayant plus de débouché. Le 18 avril, le célèbre pilote Roland Garros est fait prisonnier après avoir dû poser son appareil derrière les lignes allemandes suite à une panne moteur. En Belgique, les forces allemandes reprennent l'offensive et utilisent une fois de plus, dans la région de Ypres, des gaz de combat. Ces derniers créent encore le désordre chez les Français (ce qui montre une incapacité à prendre en compte cette menace et à trouver des parades efficaces) qui abandonnent leurs positions. Notre témoin décrit ensuite longuement la lutte dans les "sapes de la Fontenelle" décrivant cette guerre souterraine où les travaux des sapeurs tentent de faire obstacle à l'ennemi et où l'horreur des explosions créent la terreur chez les combattants.


Le 22 avril, le ministre des Colonies français communique un message victorieux sur les opérations engagées au Cameroun : "Après les rudes combats des derniers mois, les troupes allemandes ont dû se replier sur les hauts plateaux du centre de la colonie. Le siège du gouvernement impérial a été transféré à Jaundé. Le mouvement en avant des forces alliées continue dans cette direction : tandis qu'à l'est nos troupes indigènes de l'AEF ont atteint la ligne Lomié-Duma, à l'ouest la colonne du colonel Mayer, partie d'Edea et suivant la voie ferrée, a forcé le passage de la rivière Kele, et une colonne anglaise marchant un peu plus au nord, le long de la route Edéa-Gaundé, s'est emparé du pont de la Ngwa. Ces deux brillants engagements qui n'ont coûté aux alliés que des pertes insignifiantes, auront des résultats importants." On observe ainsi la qualité des unités coloniales et leurs facultés de manœuvre qui tranchent avec la guerre de position en Europe. Du 22 au 25 avril, les alliés tentent de colmater la brèche créée en Belgique par l'attaque au gaz, les Allemands entrant de près de 2 km dans la profondeur du dispositif franco-britannique et s'emparant du village de Lizerne. Seules les contre-attaques de l'armée belge sauve la situation. Le 24 avril, le journal officiel publie le décret présidentiel qui fixe le modèle et attributs de la Croix de guerre. La croix est en bronze florentin, à quatre branches, avec deux glaives croisés entre les branches. Le ruban auquel elle est suspende est celui de la médaille de Sainte-Hélène, vert moiré, bordé de chaque côté d'un mince liseré rouge et traversé longitudinalement de cinq bandes rouges d'un millimètre et demi. Le lieutenant-colonel Rousset s'interroge comme les journaux du moment sur la possible entrée en guerre de l'Italie et tente d'estimer le potentiel de combat de ce possible allié. Il détaille les forces italiennes fortes en temps de paix de près de 300 000 hommes et, après mobilisation d'1 061 000 soldats. L'artillerie compte 36 régiments, l'infanterie 104 unités et la cavalerie 29 formations. Il y a néanmoins beaucoup d'incertitude quant aux atouts de cette armée et à son engagement. L'avenir prouvera d'ailleurs qu'elle a de nombreuses failles et n'est pas adaptée aux combats du moment. En outre, on voit apparaître sur le théâtre des  opérations des pièces d'artillerie à la puissance vertigineuse afin de "terroriser" l'ennemi et appliquer des tirs dans la profondeur opérative. A partir du 28 avril en effet, la ville de Dunkerque est bombardée par un canon "monstre"qui tire à près de 39 km (c'est al portée des canons actuels de 155mm de l'armée française) avec des obus de 800 kilos (aujourd'hui 40 kg) avec près de 100 kg d'explosifs.
Début mai, les évènements prennent une tournure inattendue puisque ses sont les Allemands qui prennent l'initiative en engageant une offensive avec 1 million d'hommes face aux Russes. La victoire, tant attendue et venant du front oriental grâce au rouleau compresseur de Moscou, s'éloigne de plus en plus et ce, d'autant que dans les Dardanelles, les Turcs contre-attaquent. La guerre chimique se développe (Reims, Tracy-le-Mont) et la sauvagerie  pour les corps à corps prend une nouvelle tournure avec la guerre au couteau (assaillants munis de pistolets, de cisailles et de poignards pour infiltrer les tranchées). Il s'agit des prémices des modes d'action mis en œuvre par les Stoss Truppen allemands pour les offensives de 1918 (voir notre article sur votre blog http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2011/11/imagination-dans-la-guerre-la-tactique.html).
A partir du 6 mai, sur le front oriental, la poussée russe devient formidable et oblige les Russes à battre en retraite abandonnant la région de Bartfeld, le col de Dukla et même la ligne de la Dunajec. Le 7 mai, le paquebot Lusitania est torpillé avec de nombreux citoyens américains. Washington exprime sa colère et son désarroi face aux modes d'action allemand sur les civils. Les succès français sont mis en valeur dans les journaux mais ce ne sont que des victoires tactiques sur des compartiments de terrain minuscules comme à Crency-Neuville par exemple. La propagande tente d'exploiter ces actes héroïques pour maintenir l'illusion d'une guerre qui évolue alors que la situation militaire stagne. Il faut également justifier les pertes énormes au travers des combats romancés et mis en scène. Du 9 au 14 mai, les Français lancent des assauts dans la région de Notre Dame de Lorette et obtiennent quelques gains territoriaux qui sont salués par le ministre de la Guerre M. Millerand. Notre auteur y voit une préparation minutieuse et une habileté manœuvrière des unités alors que parallèlement les récits expliquent que des régiments comme le 360ème RI perdent 3 chefs de bataillon sur quatre et que la brigade perd un colonel et un général. Des rapports d'enquête font état de crimes de l'armée allemande en Belgique (incendies, femmes violées, massacres) ouvrant une fois de plus le débat sur la "guerre juste" qui marquera les auteurs français jusqu'après le conflit.
Les Russes, du 18 au 20 mai 1915, malgré la pénurie de munitions qui les touche (et s'aggravera dans les mois à venir, les stocks étant épuisés) tentent de soutenir l'assaut allemand mais doivent se replier derrière le San, abandonner Przemysl devant le déluge que jette sur eux l'artillerie du Kaiser (600 000 projectiles par jour). Le gouvernement britannique, devant les pertes, demande à la Chambre 300 000 recrues supplémentaires inscrivant la guerre dans la durée et reconnaissant implicitement que la victoire sera difficile. Le 22 mai, le roi d'Italie signe le décret de mobilisation générale (la guerre à l'Autriche sera déclarée le 23 mai, ouvrant un nouveau front) alors qu'un avion allemand parvient à s'infiltrer jusqu'à Paris pour lancer 4 bombes sur le Champ de Mars et la Tour Eiffel. Les 25 et 26 mai, c'est la guerre aérienne qui prend une nouvelle dimensions avec les escadrilles françaises qui s'attaquent aux parcs d'aviation allemands près de Saint-Quentin et dans la vallée du Rhin. L'effet des torpillages allemands se fait de plus en plus sentir sur les flottes alliés, dans les Dardanelles notamment, avec des cuirassés comme le Triumph ou le Majestic qui sont coulés. D'ailleurs, face aux Turcs, sur terre, les troupes de l'Entente peinent à progresser. Pour s'emparer des  des fortins ennemis, des sections franches d'une cinquantaine d'hommes (telle des unités de commandos) sont constituées pour mener des coups de main et avancer. C 'est d'ailleurs le cas pour les combats du ravin de Kérévès-Déré démontrant s'il en était besoin la nécessité de faire évoluer les modes d'action tactique hérités d'une doctrine qui montre ses limites face à la guerre de position et l'armement disponible.
A suivre...
 

2 commentaires:

  1. ...je ne connaissais pas l’épisode de l’avion allemand qui parvient à s'infiltrer jusqu'à Paris pour lancer 4 bombes sur le Champ de Mars et la Tour Eiffel...
    Merci pour cette information historique !
    2*aj

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