C’est une période peu évoquée
que les invasions barbares à la fin de l’Antiquité. Pourtant ce sont elles qui,
notamment, vont sonner le glas de la puissance romaine tant militaire que
politique. Pourtant, en matière de tactique, il apparaît intéressant de revenir
sur les modes d’action de ces belligérants, souvent définis comme cruels et
violents mais dont la mobilité, l’organisation et les armes apportent de larges
enseignements opérationnels. Pour étudier cela, nous nous appuierons donc sur
les travaux et écrits du capitaine Edouard de la Barre Duparq qui, en 1860,
faisait paraître son « histoire de l’art
de la guerre » évoquant, dans son ouvrage les premiers peuples (chinois,
assyriens, égyptiens, juifs, perses) jusqu’aux conflits du XIXème siècle en
passant par les Romains, Philippe Auguste, Frédéric Le Grand et Napoléon.
La période étudiée traitant
des « barbares » est une
passerelle militaire entre l’Antiquité et le Moyen-Age. L’auteur débute son
étude par les Germains dont il vante les vertus guerrières toutes entières tournées
vers la guerre. Leur arme principale demeure la framée, « sorte de demi-pique légère garnie d’une pointe de fer courte et
aigue qui peut s’utiliser de près ou se dardait de loin ».
S’ils
disposent d’une cavalerie, les Germains privilégient le combat à pied et on
parle davantage d’une infanterie montée, celle-ci permettant les escarmouches
et la rapidité dans la manœuvre. Les fantassins utilisent, quant à eux, la
formation en phalanges très compacte mais, à l’imitation, peuvent aussi mettre
en œuvre la « tortue romaine »
ou le « coin » pour briser
le bloc adverse. Les positions fortifiées sont assez rudimentaires car les
Germains usent avec intelligence du terrain et s’installent sur des lieux
protégés par nature, entourés d’eau, de bois et de montagnes (marais d’Arioviste
par exemple).
Pour ce qui est des Goths
(Ostrogoths et Wisigoths), ils mènent des raids audacieux (Théodoric en Italie)
principalement avec une infanterie légèrement protégée (bonnet de fer,
bouclier) mais indisciplinée. Certains de leurs esclaves se battent à leurs
côtés pour augmenter les effectifs et il semble que la guerre de siège ne soit
que mal maîtrisée par ces peuples.
En revanche, les Vandales,
qui se jettent sur l’Afrique, montrent une réelle faculté d’adaptation
militaire. Rapidement, ils abandonnent leur organisation par tribus et bandes
pour se diviser en 80 cohortes d’égal effectif, de 1000 hommes chacune, se
fractionnant elles-mêmes en groupes de 100 combattants puis en détachements de
10 guerriers. C’est une structure finalement asez moderne et toujours pratiquée
aujourd’hui (régiment, compagnie, groupe de combat). Ils combattent tous à
cheval, employant en complément des archers mercenaires maures, et ils basent
leur mobilité tactique sur des flottes de navires qui leur permettent des
incursions surprise, brèves mais violentes. En revanche, craignant les
fortifications ils abattent les murailles des villes conquises ou soumises, ce
qui les privera de places fortes face à leurs ennemis et les conduira à leur
perte.
Quant aux Francs, ils
combattent presque exclusivement à pied (bataille de Casilin en 553) et sont
équipés d’un bouclier étroit (bois ou osier couvert de cuir), d’une hache
(francisque), d’une épée et d’une courte pique (hang). « Dans la lutte, il lançait contre le bouclier de son adversaire
son hang qui s’y maintenait par le crochet de son fer et le faisait baisser par
son poids, puis cherchait à frapper à toute volée du tranchant de sa francisque
son ennemi découvert. L’infanterie franque combattait, comme celle des
Germains, tantôt en phalange, tantôt en coin (colonne) et couvrait la tête et
les flancs de sa formation d’une haie de boucliers contigus, pour atténuer l’effet
des traits auxquels malheureusement elle n’avait à opposer de loin ni
projectiles ni armure ; elle attaquait avec une grande vitesse et en
jetant des cris terribles ».
Viennent ensuite les Huns, ce
peuple nomade fait de cavaliers endurcis capables de se déplacer sur d’immenses
distances en se contentant de leurs montures et de leurs chariots comme seuls
logis. Leurs assauts sont comme des vagues successives et ils attaquent en masse,
l’épée à la main, mais également avec un filet de lancer redoutable qui devient
un piège mobile.
Le capitaine de la Barre
Duparq aborde ensuite, assez succinctement, les Vikings (ou Normands) dont il
souligne les qualités de marins et les incursions profondes, les Hongrois dont
les archers montés rappellent les Parthes orientaux qui défirent les légions
romaines à Carrhes (53 avant JC), et les Sarrasins dotés d’armures élaborées et
de protections pour leurs chevaux. Ces derniers pratiquent déjà la manœuvre dite
de « Caracole » qui sera
reprise à la Renaissance avec l’avènement des mousquets dans la cavalerie. Ils disposent
de l’épée, de la lance courte mais aussi de l’arc, combattent sur deux lignes
en « voltigeurs » et
maîtrisent la poliorcétique (machines de siège, fortifications,…), e qui est
assez rare à cette époque.
De ces exemples divers que
nous livre l’auteur, nous pouvons déduire un certain nombre d’enseignements.
Tout d’abord, ces peuples mettent en avant leur mobilité opérative pour prendre
l’ascendant sur leurs adversaires qui
sont surpris par ces masses qui se déplacent vite, frappent violemment avant d’esquiver
toute réaction. De la même façon, leurs assauts brutaux comme leur indiscipline
alimentent l’impression de horde sauvage tout comme les cris, les tenues, la
cavalerie et les masses engagées. Ce facteur leur donne ainsi l’ascendant moral
au moment du combat, fragilisant la motivation de ceux qui tentent de les
combattre. Néanmoins, derrière cette apparente anarchie se dissimule, de
manière plus ou moins formelle, un art de la guerre basé sur le choc, la
fulgurance, la surprise et ce qu’on appellerait aujourd’hui un combat
tournoyant coordonné. L’ennemi est ainsi déstabilisé puisque sa cohésion est
brisée par une combinaison associant harcèlement, combat au corps à corps puis poursuite
lors de la retraite. En outre, ces barbares empruntent au besoin les techniques
des armées qu’ils rencontrent et, contrairement aux idées reçues, ne dédaignent
pas leur sûreté (couverture des flancs, protections individuelles,…). Pourtant,
à l’aube du Moyen-Âge, culturellement, la plupart de ces combattants demeure
assez peu acculturée au combat des places fortes, à leur conception comme à
leur siège. Les « barbares »
utilisent en effet le milieu, la peur et le mouvement pour fonder leur supériorité
stratégique qui ne peut, dès lors, qu’être éphémère car ils ne tiennent pas le
terrain. Cette conclusion vaut d’ailleurs encore aujourd’hui dans les guerres
contemporaines où l’on ne peut espérer la victoire que par un déploiement au
sol conséquent, dans la durée et adapté à la menace.
Source image : Gallica
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