Cet
article en deux parties nous ouvrira aux considérations des tacticiens qui
profitent de la révolution française pour remodeler la manière d’ordonnancer
des unités aux effectifs bien plus importants (c’est le début des armées de
masse et de la Nation en armes décrites par Clauzewitz).
En
effet, la réflexion sur l’art de la guerre n’a jamais quitté l’armée française,
y compris pendant la troublante période révolutionnaire, où toutes les
institutions ont été fragilisées, transformées et parfois laissées dans le
dénuement le plus totale, mais qui a vu tout de même émerger des idées
novatrices.
M.
Dupuy-Lauron, maréchal des camps et des armées, rédige alors, en 1792, un
ouvrage afin de proposer ses propres réflexions tactiques. Elles sont sensées
compléter les décisions politiques de réorganisation et d’administration des
forces militaires de l’assemblée constituante. Elles apparaissent très
originales, en rupture complète avec l’époque et avec les habitudes européennes
en la matière. Elles s’appuient pourtant sur un héritage riche avec des
références à Turenne, Monteccucolli, aux phalanges grecques, aux légions
romaines ou encore à Folard. Ce travail semble montrer que l’on peut faire
preuve d’imagination en tactique sans rompre avec les grands principes mais en
élaborant des modes d’action propres à surprendre l’adversaire. Regardons de
plus près ses propositions …
Il
veut ainsi redonner aux soldats français une doctrine spécifique, signe que la France
est une grande Nation et qu’elle doit retrouver sa propre spécificité dans le
domaine de la stratégie militaire : « Non seulement il est humiliant pour une grande nation de n’être que la
servile imitatrice de tous les peuples ses voisins ; mais la honte et la
gloire des armes, mais la ruine et la prospérité de l’état, tiennent encore, j’ose
l’affirmer, j’ose l’affirmer, et tiennent absolument parmi nous à cette
régénération et surtout à cette régénération militaire ». Déjà à l’époque,
l’auteur s’interroge sur la prospérité de l’Etat pour subvenir à ses
troupes (« économie des revenus publics »),
sur le contexte d’engagement international
d’un pays pour choisir une organisation ad
hoc. Il veut doter la France d’un nouveau « génie national ». En tactique, il regrette la recherche systématique
de l’assaut par les Français qui ont laissé de côté, par exemple, les canons à
longue portée. Il refuse l’uniformisation des armements à l’échelle européenne qui annule les avantages
des uns et des autres dans la mêlée. Il critique le manque de manœuvre et d’esprit
interarmes (cavalerie sur les ailes et prima de l’infanterie, pas d’appui mutuel entre les fonctions opérationnelles).
Son crédo est donc de recréer, en plus de l’infanterie armée de fusils, une
infanterie qui serait chargée d’aller au corps à corps avec des piques mais
surtout armée de tridents (arme antique bien connue) afin de disloquer l’ennemi.
Dupuy-Lauron propose en conséquence un nouveau déploiement, une nouvelle articulation,
constitué d’une ligne de fusiliers (sur deux rangs), d’une ligne de tridentiers
(en bataillons compactes et profonds), d’une ligne de cavalerie (en escadrons
sur 3 échelons) et, sur les ailes, de pièces d’artillerie en appui. Enfin, des
compagnies d’élite sont dispersées en essaim et sont capables de se porter sur
tout le champ de bataille pour faire basculer une situation particulière.
Concernant
les effectifs, il essaie de montrer que des armées trop nombreuses sont
difficiles à manœuvrer (50 000 hommes pour une campagne serait la limite
acceptable) mais qu’il faut néanmoins un « pied militaire » minimal en hommes pour qu’une armée nationale
soit crédible. Ce seuil est issu d’études sérieuses conduites par plusieurs
auteurs et se situe à 10 000 soldats pour chaque million d’habitants
(aujourd’hui il faudrait donc, selon ce calcul, 640 000 combattants).
A
suivre…
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