Nous
poursuivons notre étude des thèses tactiques de monsieur Dupuy-Lauron, maréchal
des camps et des armées. Il cherche, au travers de ses réflexions, redonner de
la vigueur à l’art de la guerre français et ce en rénovant sa singularité tout
en le basant sur les principes généraux éprouvés par l’histoire militaire.
Son
originalité vient de sa pensée « interarmes » qui l’anime, de sa
rupture avec les dogmes de son époque et de la recherche d’une bonne adéquation
entre les formations adoptées et l’ennemi, le terrain ou les circonstances.
Aussi,
prône-t-il la création de « régimenteries »,
c’est-à-dire un corps composé de plusieurs régiments et fort de 5000 hommes
(comme les légions romaines si chères à l’auteur).
Ce corps, divisible en 2
brigades (sorte de prémice de la structure divisionnaire), doit « réunir en lui toutes les armes, tant à pied
qu’à cheval, tant pesantes que légères, tant de jet que de main, tant courtes
que longues, qu’il est possible d’employer à la guerre ». Il craint d’être
raillé pour son audace sémantique et intellectuelle et prépare, à la fin de l’ouvrage
une série de 11 objections pour lesquelles il rédige des réponses argumentées.
Il constitue ce que l’on appellerait aujourd’hui des éléments de langage. Son
articulation novatrice doit permettre, selon lui, de combattre en combinant les
principes de Grecs, des Romains et des grands généraux modernes, l’ensemble
soutenu par l’audace, la valeur et l’impétuosité nationale : « ces corps redonneroient au génie, à l’honneur
françois, toute son ancienne énergie, rendroient encore une fois à la France ce
qu’elle fut si longtemps, l’admiration et la terreur de tous ses ennemis ».
Chaque
« régimenterie » serait
donc composée de deux brigades, chaque brigade de deux régiments. Chaque
régiment compterait deux bataillons de tridentiers, d’un bataillon de
fusiliers, d’un escadron de cavalerie ainsi que de trois compagnies détachées
(grenadiers, chasseurs et chevau-légers). Une batterie d’artillerie, avec des
pièces longues et courtes, demeure à la main du chef. On est très proche du
modèle des GTIA (groupements tactiques interarmes actuels) et des brigades
interarmes. La structure de chaque bataillon en compagnies (4 pour l’infanterie),
en escadrons (3 pour la cavalerie) puis en « lieutenances » (sections de notre époque) et « sergences » (groupes de
combat) montre une vraie réflexion et une approche visionnaire vis-à-vis de ses
contemporains. De la même façon, il réfléchit à l’équipement du combattant,
armure ou corsetet (protection du soldat), au casque ou encore aux chaussures,
sans compter son attention sur les couleurs afin de mieux distinguer les
diverses unités sur le champ de bataille. Il construit les effectifs de ces « régimenteries » avec 4727
soldats ou sous-officiers et 219 officiers dans les unités. Les Etats-majors à
tous les niveaux sont adaptés avec 24 hommes pour le poste de commandement
général et 30 cadres par régiment déployé. Chaque fonction est présente, des
chirurgiens aux fourriers, trésoriers, vivandiers et armuriers-fourbisseurs
(logistique et soutien), en passant par les aides de camp, trompettes, tambours
(transmissions).
Pour
le combat, Dupuy-Lauron a mis au point son ordre fondamental (explicité dans la
première partie) puis l’adapte en fonction du terrain, privilégiant, par
exemple, la cavalerie en première ligne sur terrain ouvert. Il met en avant, notamment
pour les marches à l’ennemi, la colonne et la profondeur des dispositifs et ce,
comme Napoléon le fera moins d’une décennie plus tard. Il fait preuve d’une
réelle innovation doctrinale dans une période compliquée pour les forces armées
françaises largement déstructurées par les crises révolutionnaires et la fuite
des cadres. C’est une première synthèse, fort peu entendue il est vrai, des
penseurs militaires des XVII et XVIIIème siècles ainsi que des
enseignements du passé. Elle trouvera son aboutissement en partie dans la
Grande Armée avec le génie tactique de l’Empereur.
Cet
ouvrage ancien montre qu’il faut savoir remettre en cause les choix
opérationnels du moment pour s’adapter aux nouveaux équipements ou aux théâtres
d’opérations potentiels et ne pas hésiter à réformer ses modes d’action pour
gagner la guerre de demain mais sans jamais oublier son passé.
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