En 1932, le colonel
Alexandre, qui a servi de 1911 à 1916 comme officier d’état-major aux côtés du
maréchal Joffre, livre son récit sur les décisions de son chef pour préparer,
puis conduire le premier conflit mondial. Il revient sur l’impréparation de
l’armée française, ses qualités et ses défauts ainsi que les tensions dans les
choix tactiques et opératifs du côté des alliés.
Après avoir brossé un
portrait bien peu objectif de son chef, en particulier par une succession de
qualités tant intellectuelles que militaires, l’auteur considère que le général
en chef avait anticipé les difficultés à venir et qu’il fît le maximum pour
combler les lacunes des forces armées sous son commandement avant le choc avec
les Allemands.
La première décision fut de
mettre en œuvre une réorganisation du commandement, attribuant aux commandants
d’armée davantage de responsabilités en termes de préparation opérationnelle
avec des séquences d’entraînement plus longues et plus réalistes. Un effort est
ensuite mené à l’Ecole de guerre pour revenir sur les fondamentaux de la
tactique générale même si les progrès furent limités : « sous l’influence d’hommes de haute valeur,
les Bonnal, les Maistre, les Lanrezac, les Brun, les Langlois et bien d’autres,
les questions relatives à la tactique du corps d’armée furent étudiées et
retournées dans tous les sens. Mais on n’alla guère plus loin. Seules quelques
personnalités, au premier rang desquelles il faut placer le colonel Foch,
eurent conscience de la nécessité d’envisager des questions d’ordre plus élevé
et entreprirent l’étude des problèmes que soulève le maniement des armées et de
l’ensemble des forces mobilisées d’un pays ». Il souligne également
l’âge des généraux (62 à 65 ans) conséquence d’un système d’avancement très
formalisé et cherchant le vieillissement de chaque grade au détriment de la
qualité (comme à d’autres époques ou dans de nombreux pays, d’hier à
aujourd’hui). Ainsi, nombre de commandants de division ou de CA « n’ont pu résister physiquement et
moralement à des épreuves excessives auxquelles une longue période de paix ne
les avait nullement préparés ».
La préparation matérielle de
la guerre a également été un souci majeur de Joffre qui cherche à combattre
« la mentalité générale du pays »
dont la majeure partie des citoyens se désintéressent des questions
stratégiques et militaires alors que les gouvernements renâclent à accepter de
nouvelles dépenses. Aussi, le service militaire à 3 ans, lancé pour augmenter
les effectifs immédiatement disponibles, fut source de polémique.
L’auteur critique également
les choix budgétaires de son époque avec, notamment, la Direction du contrôle
sensée conseiller le gouvernement dont il dit : « qu’elle était composée de fonctionnaires d’une
valeur technique indiscutable mais pour qui les considérations administratives
et financières primaient toutes les autres. Sortis du cadre des officiers des
armes combattantes ou du Service de l’Intendance, à moitié civils, à moitié
militaires, ils mettaient, si l’on peut dire, leur point d’honneur, à oublier
leur origine et à n’envisager les questions qu’au point de vue de leurs
conséquences pécuniaires. Ils refusaient de se placer sur le terrain militaire
pour apprécier leur importance relative et leur degré d’urgence ». De
la même façon, il critique l’absence de prise en compte, par les militaires,
des retours d’expérience de Mandchourie ou du Transvaal considérant que ces
théâtres « exotiques » n’ont rien de commun avec la guerre qui se
prépare. De même, « on sous-estima
systématiquement la défensive, accusée de laisser à l’adversaire sa liberté d’action
et l’initiative des mouvements. On fut ainsi conduit à négliger les éléments
essentiels de cette défensive, la puissance du feu et l’organisation du terrain ».
L’artillerie de campagne française pâtit de ce raisonnement malgré sa qualité
(canon de 75mm) avec une portée réduite (2000 à 3000m) et le tir à vue ne permettant
pas le feu dans la profondeur. L’artillerie lourde était donc insuffisante
(obusiers en particulier) malgré les appels du général Sylvestre et les 200
premiers canons furent enfin commander sous l’impulsion de Joffre et du
ministre de la Guerre Millerand à quelques mois du début du conflit. Il en fut
de même pour les fortifications négligées alors que « quand la guerre de tranchées se prolongea, les organisations de
circonstances ne prirent-elles pas, peu à peu, le développement de la
fortification permanente ? » et ce, sans compter un équipement
pauvre (téléphones, ravitaillement, cuisines roulantes,…).
Le colonel Alexandre, comme
son général, estime que l’instruction de l’armée laissait fort à désirer. De
même, « notre corps d’officiers
était bon dans son ensemble. Pris isolément, l’officier français était
certainement supérieur à l’officier allemand en intelligence et en culture,
mais le commandement ne faisait presque rien pour développer ses qualités
militaires ». Dès lors, pendant les trois années qui précédèrent la
guerre, le général Joffre s’efforça, par tous les moyens en son pouvoir, de
développer cette instruction de l’armée, dont les lacunes ne lui échappaient
pas. Néanmoins, notre témoin reconnaît les faiblesses du plan XVII (le plan XVI
prévoyait de s’abriter derrière une ligne défensive pour contre-attaquer le
moment venu) qui était difficilement exécutable par des unités de réserve ou d’active
pas assez équipées ou entraînées au début de la guerre.
La guerre allait ensuite
apporter de nouveaux enseignements…
A suivre…
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