Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 23 janvier 2016

Pour une imagination opérationnelle fondée sur l’histoire, les principes et non sur l’illusion technologique (1/2).


 
Aujourd’hui, les forces conventionnelles occidentales rencontrent des difficultés face aux adversaires asymétriques ou hybrides, ceux-là même qui sont combattus sur les divers théâtres d’opérations du monde entier, des groupes armés terroristes du Sahel aux milices séparatistes russes en Ukraine, en passant par Daech, le Hezbollah libanais ou les Shebabs somaliens. Pourtant, les armements, les moyens d’acquisition, les systèmes dits de commandement et de contrôle (C2) n’ont jamais été aussi performants et ce, à l’aune des progrès scientifiques extraordinaires de ces dernières années, que l’on pense aux drones MALE[1], aux missiles de haute précision, aux hélicoptères d’attaque et même à l’équipement individuel du combattant.

Malgré cette supériorité technologique, mais également les succès non négligeables comme le déploiement Serval en 2013 au Mali, une analyse plus objective montre que nous demeurons lisibles et prévisibles pour nos ennemis potentiels, ces derniers s’étant adaptés à notre pensée tactique, à notre cadre d’engagement légal comme éthique, à nos modes d’action et à notre confiance aveugle dans l’efficacité, sur le long terme, de certaines fonctions opérationnelles comme les frappes aériennes, l’emploi des forces spéciales ou les dogmes de la contre-insurrection.

Force est donc de constater que nous ne surprenons plus, que nous ne sidérons plus le camp adverse qui garde souvent un temps d’avance, anticipant nos réactions et guettant nos vulnérabilités. Certes nous cherchons, à juste titre, à revenir aux fondamentaux, à employer avec efficacité le combat interarmes et interarmées mais il manque ce « zest » de non conformisme qui doit permettre de transcender l’orthodoxie tactique, opérative, voire stratégique, et de garder l’ascendant. Bref nous avons rompu un équilibre ancien pour privilégier la guerre comme une science au détriment de l’art.

Aussi, nous ne trouverons pas, dans la technologie, les ressorts nécessaires à cet incontournable sursaut d’imagination opérationnelle, ni même par le biais d’engins de combat high-tech, fussent-ils numérisés, précis et puissants. Ces derniers seront bien évidemment impératifs pour protéger nos forces, appuyer ou soutenir le soldat au contact, détecter l’adversaire puis le détruire mais ils ne devront être que les leviers de la manœuvre et non pas le cœur, l’équation initiale de celle-ci.

Le passé polémologique, les « grands capitaines » mais aussi les théoriciens de l’Antiquité à nos jours, sont le patrimoine ou l’ADN tactico-opératif de nos armées même s’il ne faut pas y chercher des recettes pour vaincre à coup sûr mais plutôt une inépuisable source d’inspiration et de renouvellement.

Dès lors, il convient de considérer que les modes d’action de demain doivent être réfléchis, façonnés, élaborés, d’abord par une connaissance approfondie des enseignements de l’histoire militaire puis par une lecture réellement assimilée des penseurs, des principes et réflexions de l’art de la guerre.

En effet, si les déploiements militaires contemporains illustrent les nouvelles vulnérabilités de nos forces déployées au travers, notamment de l’éviction progressive du prima de l’humain au profit de la technologie, l’héritage du passé a été aujourd’hui capitalisé dans les manœuvres et dans l’emploi du soldat face aux crises récentes. Mais seule une meilleure imprégnation de l’histoire militaire au sein des unités et des chefs devrait ouvrir de nouvelles perspectives du « génie »[2] militaire qui, conjugué avec le progrès, garantira notre liberté d’action, la surprise et l’initiative.  

 

La technologie, une nouvelle vulnérabilité

 

Sur les théâtres d’opérations de ce début du XXIème siècle, toutes les armées occidentales ont mis, ou mettent en œuvre des équipements de haute technologie, sorte de prothèses ou de continuation d’un combattant augmenté, pour utiliser le vocabulaire scientifique du moment. On trouve, en particulier, des moyens d’acquisition du renseignement de plus en plus impressionnants tant dans le domaine de l’imagerie que de celui de la guerre électronique ou du monde cyber. Les outils d’agression, guidés par GPS ou par laser, capables de discriminer un véhicule d’une foule, voire d’atteindre des portées de plusieurs centaines de kilomètres (missiles de croisière), sont largement utilisés dans des missions qui relèvent principalement de la lutte contre-insurrectionnelle en particulier au sein de populations imbriquées avec les combattants sur le champ de bataille.

En parallèle, les états-majors et les postes de commandement voient leur taille augmenter de manière exponentielle afin de conduire tout le spectre des opérations liées à une « approche globale » traitant des affaires civilo-militaires à la communication en passant par la gouvernance, les actions de combat, le ciblage et la formation ou le mentoring de forces partenaires. Pour maîtriser cette masse d’informations, il est alors impératif de déployer des outils de C2 conséquents et lourds qui imposent une certaine stabilité de stationnement ainsi qu’une main d’œuvre spécialisée numériquement importante. Cette structure et ces instruments offrent, à court terme, aux responsables militaires un large panel de multiplicateurs d’effets sur le terrain au niveau tactique pour frapper dans la profondeur ou cibler des objectifs à haute valeur ajoutée. Mais il y a des conséquences indésirables à cette débauche technique comme garantie de réussite tactique. La chaîne de décision, confrontée à ce magma de données peut se ralentir et priver le chef, comme ses subordonnés, du recul nécessaire pour discerner les éléments fondamentaux du bruit général sur le terrain, chacun étant égaré dans les réseaux et autres écrans numériques.

De la même façon, la subsidiarité entre chaque échelon se réduit, les instruments de communication permettant de suivre en direct un engagement à plusieurs milliers de kilomètres et d’intervenir directement sur l’unité au sol. En outre, les frappes en « stand off », c’est-à-dire à distance de sécurité, posent des questions éthiques voire juridiques à l’instar des drones armés frappant des terroristes en Asie alors que le pilote tient les commandes depuis une base aux Etats-Unis. D’ailleurs, ce type de mode d’action remet de la même façon en question la spécificité, comme le sens propre de l’action du soldat qui donne alors la mort sans que lui-même ne risque la sienne. Quant aux effets sur les protagonistes civils locaux, ils sont souvent déplorables, l’acceptation de la force étrangère déployée devenant plus faible encore à cause d’un combat jugé déséquilibré et lâche.

Si l’on se place maintenant du côté des moyens terrestres, les combattants bénéficient d’un armement et d’une puissance de feu accrus grâce à de l’optronique moderne, des véhicules blindés armés ou d’appuis (artillerie, moyens air-sol, génie) adaptés à la menace. Néanmoins, on assiste à un alourdissement du fantassin (gilet pare balles, munitions, …) qui réduit sa mobilité –  rappelons-nous que la manœuvre demeure la combinaison du feu et du mouvement – à des contraintes logistiques fortes dans des milieux difficiles (montagnes, zones urbaines,…) au profit d’engins conçus pour des conflits conventionnels et à un manque d’effectifs utiles pour contrôler des zones aux dimensions étonnantes (bande sahelo-saharienne par exemple).

Dans un autre registre, la supériorité matérielle semble appauvrir la réflexion doctrinale ou la réflexion tactique car elle apparaît pour certains comme l’unique moyen de prendre l’ascendant sur un adversaire puis de le contraindre. C’est le cas de la supériorité aérienne, considérée souvent comme acquise, alors que des chercheurs comme Corentin Brustlein ou Etienne De Durand[3] démontre qu’elle sera mise à mal par de nouvelles stratégies (anti-accès par exemple) et par une compensation du gap technologique par le nombre.

La recherche des pertes minimales conduit également à surprotéger les femmes et les hommes au contact, réduisant ainsi leurs interactions humaines et attirant sur eux des attaques asymétriques (attentats, IED,…).  L’emploi de matériels très modernes, qui peuvent parfois tirer au-delà de l’horizon, prive, dans certaines circonstances les servants d’une aptitude à juger de l’opportunité, ou pas, de faire feu avec le risque d’entraîner des dommages collatéraux.

Enfin, le tempo médiatique de l’immédiateté, les réseaux de type internet permettent de frapper indirectement un corps expéditionnaire, son moral ou son potentiel humain en travestissant la réalité (propagande), en décrédibilisant les actions menées par une force d’intervention ou en pénétrant la sphère privée des soldats.

Ainsi, on le voit, la technologie a beaucoup apporté aux armées confrontées aux conflits contemporains mais elle a ouvert de nouveaux débats et surtout de nouvelles faiblesses.  

 

 

Un héritage du passé qui irrigue déjà les opérations 

 

La plupart des forces armées occidentales ont pris conscience du risque que pouvait revêtir ce que le général Cuche appelait la « technôlatrie », confrontée, en partie, sur les théâtres d’opérations, à des égalisateurs de puissance. Ces derniers ont d’ailleurs été largement exploités par les belligérants (zones urbaines, guerre au sein des populations, forces hybrides, guérillas…) dans une stratégie du faible au fort régulièrement payante, à l’image de la guerre entre le Hezbollah et Israël en 2006 pour ne citer qu’elle.

A suivre...

Source image : Wikipedia


[1] Medium Altitude, Long Endurance.
[2] Non pas un homme providentiel mais une faculté à penser la guerre autrement, à être imaginatif, à anticiper les évolutions.
[3] Auteurs de « La suprématie aérienne en péril, menaces et contre-stratégie à l’horizon 2030- La documentation française – 2014.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire