Aujourd’hui,
les forces conventionnelles occidentales rencontrent des difficultés face aux
adversaires asymétriques ou hybrides, ceux-là même qui sont combattus sur les divers
théâtres d’opérations du monde entier, des groupes armés terroristes du Sahel
aux milices séparatistes russes en Ukraine, en passant par Daech, le Hezbollah libanais
ou les Shebabs somaliens. Pourtant,
les armements, les moyens d’acquisition, les systèmes dits de commandement et
de contrôle (C2) n’ont jamais été aussi performants et ce, à l’aune des progrès
scientifiques extraordinaires de ces dernières années, que l’on pense aux
drones MALE[1], aux
missiles de haute précision, aux hélicoptères d’attaque et même à l’équipement
individuel du combattant.
Malgré
cette supériorité technologique, mais également les succès non négligeables
comme le déploiement Serval en 2013
au Mali, une analyse plus objective montre que nous demeurons lisibles et
prévisibles pour nos ennemis potentiels, ces derniers s’étant adaptés à notre
pensée tactique, à notre cadre d’engagement légal comme éthique, à nos modes
d’action et à notre confiance aveugle dans l’efficacité, sur le long terme, de
certaines fonctions opérationnelles comme les frappes aériennes, l’emploi des
forces spéciales ou les dogmes de la contre-insurrection.
Force
est donc de constater que nous ne surprenons plus, que nous ne sidérons plus le
camp adverse qui garde souvent un temps d’avance, anticipant nos réactions et
guettant nos vulnérabilités. Certes nous cherchons, à juste titre, à revenir
aux fondamentaux, à employer avec efficacité le combat interarmes et
interarmées mais il manque ce « zest »
de non conformisme qui doit permettre de transcender l’orthodoxie tactique,
opérative, voire stratégique, et de garder l’ascendant. Bref nous avons rompu
un équilibre ancien pour privilégier la guerre comme une science au détriment
de l’art.
Aussi,
nous ne trouverons pas, dans la technologie, les ressorts nécessaires à cet
incontournable sursaut d’imagination opérationnelle, ni même par le biais d’engins
de combat high-tech, fussent-ils
numérisés, précis et puissants. Ces derniers seront bien évidemment impératifs
pour protéger nos forces, appuyer ou soutenir le soldat au contact, détecter
l’adversaire puis le détruire mais ils ne devront être que les leviers de la
manœuvre et non pas le cœur, l’équation initiale de celle-ci.
Le
passé polémologique, les « grands
capitaines » mais aussi les théoriciens de l’Antiquité à nos jours,
sont le patrimoine ou l’ADN
tactico-opératif de nos armées même s’il ne faut pas y chercher des recettes
pour vaincre à coup sûr mais plutôt une inépuisable source d’inspiration et de
renouvellement.
Dès
lors, il convient de considérer que les modes d’action de demain doivent être
réfléchis, façonnés, élaborés, d’abord par une connaissance approfondie des
enseignements de l’histoire militaire puis par une lecture réellement assimilée
des penseurs, des principes et réflexions de l’art de la guerre.
En
effet, si les déploiements militaires contemporains illustrent les nouvelles
vulnérabilités de nos forces déployées au travers, notamment de l’éviction
progressive du prima de l’humain au
profit de la technologie, l’héritage du passé a été aujourd’hui capitalisé dans
les manœuvres et dans l’emploi du soldat face aux crises récentes. Mais seule une
meilleure imprégnation de l’histoire militaire au sein des unités et des chefs
devrait ouvrir de nouvelles perspectives du « génie »[2]
militaire qui, conjugué avec le progrès, garantira notre liberté d’action, la
surprise et l’initiative.
La technologie, une nouvelle vulnérabilité
Sur
les théâtres d’opérations de ce début du XXIème siècle, toutes les
armées occidentales ont mis, ou mettent en œuvre des équipements de haute
technologie, sorte de prothèses ou de continuation d’un combattant augmenté,
pour utiliser le vocabulaire scientifique du moment. On trouve, en particulier,
des moyens d’acquisition du renseignement de plus en plus impressionnants tant dans
le domaine de l’imagerie que de celui de la guerre électronique ou du monde cyber. Les outils d’agression, guidés
par GPS ou par laser, capables de
discriminer un véhicule d’une foule, voire d’atteindre des portées de plusieurs
centaines de kilomètres (missiles de croisière), sont largement utilisés dans
des missions qui relèvent principalement de la lutte contre-insurrectionnelle en
particulier au sein de populations imbriquées avec les combattants sur le champ
de bataille.
En
parallèle, les états-majors et les postes de commandement voient leur taille
augmenter de manière exponentielle afin de conduire tout le spectre des opérations
liées à une « approche globale » traitant des affaires
civilo-militaires à la communication en passant par la gouvernance, les actions
de combat, le ciblage et la formation ou le mentoring
de forces partenaires. Pour maîtriser cette masse d’informations, il est alors
impératif de déployer des outils de C2 conséquents et lourds qui imposent une
certaine stabilité de stationnement ainsi qu’une main d’œuvre spécialisée
numériquement importante. Cette structure et ces instruments offrent, à court
terme, aux responsables militaires un large panel de multiplicateurs d’effets
sur le terrain au niveau tactique pour frapper dans la profondeur ou cibler des
objectifs à haute valeur ajoutée. Mais il y a des conséquences indésirables à
cette débauche technique comme garantie de réussite tactique. La chaîne de
décision, confrontée à ce magma de données peut se ralentir et priver le chef,
comme ses subordonnés, du recul nécessaire pour discerner les éléments
fondamentaux du bruit général sur le terrain, chacun étant égaré dans les
réseaux et autres écrans numériques.
De
la même façon, la subsidiarité entre chaque échelon se réduit, les instruments
de communication permettant de suivre en direct un engagement à plusieurs
milliers de kilomètres et d’intervenir directement sur l’unité au sol. En
outre, les frappes en « stand off »,
c’est-à-dire à distance de sécurité, posent des questions éthiques voire
juridiques à l’instar des drones armés frappant des terroristes en Asie alors
que le pilote tient les commandes depuis une base aux Etats-Unis. D’ailleurs,
ce type de mode d’action remet de la même façon en question la spécificité,
comme le sens propre de l’action du soldat qui donne alors la mort sans que
lui-même ne risque la sienne. Quant aux effets sur les protagonistes civils locaux,
ils sont souvent déplorables, l’acceptation de la force étrangère déployée
devenant plus faible encore à cause d’un combat jugé déséquilibré et lâche.
Si
l’on se place maintenant du côté des moyens terrestres, les combattants bénéficient
d’un armement et d’une puissance de feu accrus grâce à de l’optronique moderne,
des véhicules blindés armés ou d’appuis (artillerie, moyens air-sol, génie)
adaptés à la menace. Néanmoins, on assiste à un alourdissement du fantassin
(gilet pare balles, munitions, …) qui réduit sa mobilité – rappelons-nous que la manœuvre demeure la
combinaison du feu et du mouvement – à des contraintes logistiques fortes dans
des milieux difficiles (montagnes, zones urbaines,…) au profit d’engins conçus
pour des conflits conventionnels et à un manque d’effectifs utiles pour
contrôler des zones aux dimensions étonnantes (bande sahelo-saharienne par
exemple).
Dans
un autre registre, la supériorité matérielle semble appauvrir la réflexion
doctrinale ou la réflexion tactique car elle apparaît pour certains comme
l’unique moyen de prendre l’ascendant sur un adversaire puis de le contraindre.
C’est le cas de la supériorité aérienne, considérée souvent comme acquise,
alors que des chercheurs comme Corentin Brustlein ou Etienne De Durand[3]
démontre qu’elle sera mise à mal par de nouvelles stratégies (anti-accès par
exemple) et par une compensation du gap
technologique par le nombre.
La
recherche des pertes minimales conduit également à surprotéger les femmes et
les hommes au contact, réduisant ainsi leurs interactions humaines et attirant
sur eux des attaques asymétriques (attentats, IED,…). L’emploi de matériels très modernes, qui
peuvent parfois tirer au-delà de l’horizon, prive, dans certaines circonstances
les servants d’une aptitude à juger de l’opportunité, ou pas, de faire feu avec
le risque d’entraîner des dommages collatéraux.
Enfin,
le tempo médiatique de l’immédiateté, les réseaux de type internet permettent
de frapper indirectement un corps expéditionnaire, son moral ou son potentiel
humain en travestissant la réalité (propagande), en décrédibilisant les actions
menées par une force d’intervention ou en pénétrant la sphère privée des
soldats.
Ainsi,
on le voit, la technologie a beaucoup apporté aux armées confrontées aux
conflits contemporains mais elle a ouvert de nouveaux débats et surtout de
nouvelles faiblesses.
Un héritage du passé qui irrigue déjà les opérations
La
plupart des forces armées occidentales ont pris conscience du risque que
pouvait revêtir ce que le général Cuche appelait la « technôlatrie », confrontée, en partie, sur les théâtres
d’opérations, à des égalisateurs de puissance. Ces derniers ont d’ailleurs été largement
exploités par les belligérants (zones urbaines, guerre au sein des populations,
forces hybrides, guérillas…) dans une stratégie du faible au fort régulièrement
payante, à l’image de la guerre entre le Hezbollah et Israël en 2006 pour ne
citer qu’elle.
A suivre...
Source image : Wikipedia
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