Comme nous l'avions fait en évoquant le témoignage d'un officier du Vietminh pendant la guerre d'Indochine afin de recueillir sa perception tactique de ce conflit asymétrique en Asie du sud-est : http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2012/01/de-lautre-cote-du-miroir-la-vision-dun.html, nous repassons de l'autre côté du miroir. Cette fois, nous bénéficions du récit d'un jeune soldat allemand, Franz Gockel, affecté en 1944 à l'ouvrage fortifié WN62 du "Mur de l'Atlantique". Son poste se situe sur ce qui allait devenir, le matin du 6 juin 1944, la plage d'"Omaha Beach". Ce vétéran, qui a depuis tissé des liens très forts avec les soldats américains qui ont débarqué face à lui, détaille sa formation de combattant, sa vie quotidienne, l'état d'esprit de son unité, le renforcement des défenses côtières et enfin les circonstances du violent combat qui débuta le "D.Day". Loins de certaines images d'Epinal sur cette bataille, ses propos relatent les forces et les faiblesses des unités allemandes tout comme la puissance de l'assaut allié mais aussi la résistance organisée des défenseurs.
L'enrôlement et la formation
Franz Gockel est mobilisé pour le RAD (service du travail du Reich) le 6 avril 1943 avec 250 autres jeunes garçons de 17 à 18 ans pour suivre, pendant 3 mois, une formation paramilitaire et réaliser des travaux de déblaiement. Ces recrues sont toutes très affectées par les effets des bombardements stratégiques alliés qui s'abattent sur bon nombre de villes allemandes mais ils savent également qu'elles rejoindront bientôt le front de l'Est (où nombre de soldats perdent la vie) ou les troupes d'occupation en Europe. S'ensuit alors, pour notre témoin, l'enrôlement dans la Wehrmacht. Il fait ses classes près de Bonn puis rejoint les Pays-Bas pour une formation très poussée de 7 semaines au combat d'infanterie (parcours d'obstacles, tranchées d'instruction,...) aux ordres de vétérans rentrés de Russie. En octobre 1943, Franz Gockel rejoint la Normandie où il découvre un paysage cloisonné par le bocage ainsi que les ouvrages et blockhaus construits par l'organisation Todt.
En attendant l'orage
Gockel décrit une force d'occupation qui s'est installée dans une certaine routine, en particulier avec les habitants locaux qui leur fournissent vivres et main d'œuvre sur la côte. Il déplore le quotidien des soldats fréquentant les maisons closes et qui, pour 100 000 d'entre eux, devront bénéficier de soins pour traiter les maladies vénériennes. L'encadrement semble aguerri, à l'image du chef de section de l'auteur, et impose des journées d'instruction, notamment sur les armes lourdes (mortiers et mitrailleuses). Le nouvel arrivé, à l'automne 1943, est surpris par l'état des défenses dans son secteur avec des tranchées inachevées, des canons de 75mm ou de 50mm laissés sans protection et seulement quelques abris "Tobrouk" finalisés. Il raconte, qu'après l'inspection, le 29 janvier 1944, du maréchal Rommel à Colleville sur mer, des ordres énergiques furent donnés pour intensifier les travaux de défense. Aussi, sous les reconnaissances adverses, les Allemands, pressentant une attaque imminente, bâtissent des bunkers pour les pièces d'artillerie, des abris personnels avant de renforcer l'armement des points d'appui ainsi que le camouflage (mise en place de leurres). Sur la plage, des portiques métalliques anti-blindés, des troncs d'arbres ainsi que de nombreuses mines sont installées. Gockel raconte qu'il assiste à l'écrasement d'un bombardier américain et à l'interception, par une patrouille, de commandos anglais de reconnaissance aux pieds de sa position. Néanmoins, comme ses camarades, il demeure dubitatif en voyant arriver les munitions mais pas les "lance fusées" adaptés et en constatant l'absence de DCA ou celle de la Luftwaffe pour défendre le ciel normand.
L'assaut allié
Le 5 juin, les combattants allemands, quand ils ne sont pas de garde, continuent l'aménagement du terrain ou sont mis en alerte de manière intempestive par un commandement de plus en plus nerveux. Dans la nuit, ils apprennent que des parachutistes alliés ont été largués près de Sainte Mère l'Eglise mais gardent leur calme. S'ensuivent des vagues de bombardiers lourds puis l'apparition, dans le brouillard, d'une flotte gigantesque. L'auteur du témoignage décrit la violence du bombardement naval qu'il subit en restant à son poste, en gardant le contact avec ses camarades ou en priant depuis son abri sommaire. Il décrit la grêle d'obus qui détruit la bande minée de la plage, endommage les ouvrages fortifiés. Quand les chalands de débarquement s'avancent, il engage, comme le reste de son unité, le combat et tire sur la première vague américaine, infligeant de lourdes pertes. Il met sa capacité de résistance sur son instinct de survie mais aussi sur l'esprit de groupe et d'entraide qui règne dans sa compagnie. Celle-ci va résister plusieurs heures alors que des chars amphibie US tentent d'intervenir avant d'être neutralisés par des canons placés en enfilade (et camouflés par le relief) et alors que les tirs d'artillerie venus de la mer se font de plus en plus précis (entraînant de nombreuses victimes dans le camp allemand). Les hommes sont soignés, renvoyés au combat ou évacués mais prennent aussi le temps de manger pour continuer la lutte pendant que la plage voit déferler de plus en plus de soldats américains. L'auteur explicite la course effrénée des GI vers un monticule abrité, les pertes en matériels (navires en feu) ou les morts charriés par la marée montante. Gockel, qui est blessé à la main, reçoit l'ordre de se replier au moment ou les assaillants parviennent à ouvrir une brèche de part et d'autre du WN62. En route vers Bayeux, il note qu'une batterie d'artillerie est toujours intacte mais manque de munitions et que les axes principaux sont pris pour cibles par l'aviation ennemie. Il participe pourtant à l'interrogatoire d'un prisonnier américain et continue son repli en bon ordre vers Vire après avoir récupéré une charrette et un cheval.
En conclusion, il est frappant de voir que le renforcement des défenses côtières n'a été effectué que quelques mois avant le débarquement, sans toutefois combler toutes les faiblesses décelées par Rommel. En revanche, si les combattants sont jeunes, leur formation ainsi que leur encadrement les rendent capables de résister à un déluge de feu ainsi qu'à un débarquement massif et ce, pendant de longues heures. Ils combattent avec une résilience morale solide puis se replient en bon ordre, dès que les défenses initiales sont franchies par les Américains, afin de continuer le combat à l'intérieur des terres. D'un côté comme de l'autre, à Omaha Beach, ce combat reste un épisode meurtrier où chacun tente de survivre et de remplir la mission qui lui a été confiée.
Frédéric Jordan
Franz Gockel est mobilisé pour le RAD (service du travail du Reich) le 6 avril 1943 avec 250 autres jeunes garçons de 17 à 18 ans pour suivre, pendant 3 mois, une formation paramilitaire et réaliser des travaux de déblaiement. Ces recrues sont toutes très affectées par les effets des bombardements stratégiques alliés qui s'abattent sur bon nombre de villes allemandes mais ils savent également qu'elles rejoindront bientôt le front de l'Est (où nombre de soldats perdent la vie) ou les troupes d'occupation en Europe. S'ensuit alors, pour notre témoin, l'enrôlement dans la Wehrmacht. Il fait ses classes près de Bonn puis rejoint les Pays-Bas pour une formation très poussée de 7 semaines au combat d'infanterie (parcours d'obstacles, tranchées d'instruction,...) aux ordres de vétérans rentrés de Russie. En octobre 1943, Franz Gockel rejoint la Normandie où il découvre un paysage cloisonné par le bocage ainsi que les ouvrages et blockhaus construits par l'organisation Todt.
En attendant l'orage
Gockel décrit une force d'occupation qui s'est installée dans une certaine routine, en particulier avec les habitants locaux qui leur fournissent vivres et main d'œuvre sur la côte. Il déplore le quotidien des soldats fréquentant les maisons closes et qui, pour 100 000 d'entre eux, devront bénéficier de soins pour traiter les maladies vénériennes. L'encadrement semble aguerri, à l'image du chef de section de l'auteur, et impose des journées d'instruction, notamment sur les armes lourdes (mortiers et mitrailleuses). Le nouvel arrivé, à l'automne 1943, est surpris par l'état des défenses dans son secteur avec des tranchées inachevées, des canons de 75mm ou de 50mm laissés sans protection et seulement quelques abris "Tobrouk" finalisés. Il raconte, qu'après l'inspection, le 29 janvier 1944, du maréchal Rommel à Colleville sur mer, des ordres énergiques furent donnés pour intensifier les travaux de défense. Aussi, sous les reconnaissances adverses, les Allemands, pressentant une attaque imminente, bâtissent des bunkers pour les pièces d'artillerie, des abris personnels avant de renforcer l'armement des points d'appui ainsi que le camouflage (mise en place de leurres). Sur la plage, des portiques métalliques anti-blindés, des troncs d'arbres ainsi que de nombreuses mines sont installées. Gockel raconte qu'il assiste à l'écrasement d'un bombardier américain et à l'interception, par une patrouille, de commandos anglais de reconnaissance aux pieds de sa position. Néanmoins, comme ses camarades, il demeure dubitatif en voyant arriver les munitions mais pas les "lance fusées" adaptés et en constatant l'absence de DCA ou celle de la Luftwaffe pour défendre le ciel normand.
L'assaut allié
Le 5 juin, les combattants allemands, quand ils ne sont pas de garde, continuent l'aménagement du terrain ou sont mis en alerte de manière intempestive par un commandement de plus en plus nerveux. Dans la nuit, ils apprennent que des parachutistes alliés ont été largués près de Sainte Mère l'Eglise mais gardent leur calme. S'ensuivent des vagues de bombardiers lourds puis l'apparition, dans le brouillard, d'une flotte gigantesque. L'auteur du témoignage décrit la violence du bombardement naval qu'il subit en restant à son poste, en gardant le contact avec ses camarades ou en priant depuis son abri sommaire. Il décrit la grêle d'obus qui détruit la bande minée de la plage, endommage les ouvrages fortifiés. Quand les chalands de débarquement s'avancent, il engage, comme le reste de son unité, le combat et tire sur la première vague américaine, infligeant de lourdes pertes. Il met sa capacité de résistance sur son instinct de survie mais aussi sur l'esprit de groupe et d'entraide qui règne dans sa compagnie. Celle-ci va résister plusieurs heures alors que des chars amphibie US tentent d'intervenir avant d'être neutralisés par des canons placés en enfilade (et camouflés par le relief) et alors que les tirs d'artillerie venus de la mer se font de plus en plus précis (entraînant de nombreuses victimes dans le camp allemand). Les hommes sont soignés, renvoyés au combat ou évacués mais prennent aussi le temps de manger pour continuer la lutte pendant que la plage voit déferler de plus en plus de soldats américains. L'auteur explicite la course effrénée des GI vers un monticule abrité, les pertes en matériels (navires en feu) ou les morts charriés par la marée montante. Gockel, qui est blessé à la main, reçoit l'ordre de se replier au moment ou les assaillants parviennent à ouvrir une brèche de part et d'autre du WN62. En route vers Bayeux, il note qu'une batterie d'artillerie est toujours intacte mais manque de munitions et que les axes principaux sont pris pour cibles par l'aviation ennemie. Il participe pourtant à l'interrogatoire d'un prisonnier américain et continue son repli en bon ordre vers Vire après avoir récupéré une charrette et un cheval.
En conclusion, il est frappant de voir que le renforcement des défenses côtières n'a été effectué que quelques mois avant le débarquement, sans toutefois combler toutes les faiblesses décelées par Rommel. En revanche, si les combattants sont jeunes, leur formation ainsi que leur encadrement les rendent capables de résister à un déluge de feu ainsi qu'à un débarquement massif et ce, pendant de longues heures. Ils combattent avec une résilience morale solide puis se replient en bon ordre, dès que les défenses initiales sont franchies par les Américains, afin de continuer le combat à l'intérieur des terres. D'un côté comme de l'autre, à Omaha Beach, ce combat reste un épisode meurtrier où chacun tente de survivre et de remplir la mission qui lui a été confiée.
Frédéric Jordan
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