Aujourd’hui
encore, la défense (ou la conquête) des zones urbaines et, en particulier,
celle des grandes agglomérations, demeure une préoccupation des militaires engagés
dans des villes de plus en plus nombreuses et aux échelles démesurées. Ces
dernières années d’ailleurs, que l’on évoque Sarajevo, Mogadiscio, Grozny,
Kaboul, Bagdad ou Falloudjah, la guerre en ZURB a ouvert de nombreux débats
doctrinaux ainsi que des évolutions techniques importantes. Plus loin dans le
passé, certaines cités ont été le centre de gravité de batailles ou de conflits
conventionnels, voire asymétriques, et ce, au travers d’exemples célèbres comme
Troie, Carthage, Orléans, La Rochelle, Madrid, Stalingrad et Berlin.
Aussi,
était-il intéressant d’analyser les choix tactiques opérés au cours des âges
pour défendre une ville majeure face à des adversaires aux modes d’action
différenciés. Paris et son histoire tourmentée apparaît alors comme une
illustration concrète de cette recherche d’un système défensif efficient. Par
conséquent, nous verrons que cette défense s’est fondée sur la topographie des
lieux mais aussi sur la volonté de freiner ou d’arrêter l’ennemi potentiel au
plus loin des premières habitations, avec des effectifs parfois réduits et des
armements limités. Nous observerons également que nombre de projets militaires
ne seront jamais achevés au bénéfice de déploiements de circonstance.
Très
tôt, dès le Moyen-Age, Paris a attiré les convoitises et a, par conséquent,
exigé la construction de remparts et de palais fortifiés. Les premiers
assiégeants majeurs seront les Vikings qui brûleront et pilleront la ville par
trois fois avant de voir enfin édifié une résistance efficace. En effet, le
comte de Paris Eudes, en 885, a compris que l’atout de sa ville résidait dans
sa douve naturelle constituée par la Seine. Quand plusieurs milliers de
Drakkars apportent leurs guerriers nordiques, ces derniers se heurtent aux deux
ponts fortifiés qui relient l’Ile de la Cité aux rives du fleuve alors que les
Francs ne comptent que quelques centaines d’hommes d’armes. Les Vikings se
heurtent aux tours du Grand Châtelet, aux échauguettes et doivent se contenter
de mener un siège de longue durée en ravageant les régions alentours pour
assurer leur propre approvisionnement. En 886, après l’échec d’assauts
successifs depuis la terre ou depuis la Seine, avec l’appui de béliers et de
catapultes, les Vikings se retirent sous les coups des mangonneaux et
trébuchets francs ainsi que des brûlots qui ravagent leurs navires. Avec la
guerre de 100 ans, Paris, conquise par les Anglais, résiste aux assauts de la
couronne française, y compris aux troupes de Jeanne d’Arc blessée lors d’une
attaque. En 1436, Charles VII finit par prendre la ville aux occupants mais
uniquement grâce à un stratagème mis en place avec les bourgeois présents à
l’intérieur des murs. Ceux-ci provoquent des émeutes dans les ruelles étroites aux
alentours de la porte Saint-Denis, attirant les réserves anglaises et permettant
aux armées du roi de France de s’emparer de la porte Saint-Jacques. Tel un
cheval de Troie, la ruse est le seul moyen de contourner les défenses solides
des forteresses et des remparts.
La
muraille de la capitale de la France vieillit lentement, les champs de bataille
s’éloignant de la ville vers les frontières, en rase campagne, malgré les
soubresauts de guerres civiles à l’instar par exemple des violences de la
Fronde. En 1670, Louis XIV décide de détruire les remparts pour ouvrir Paris
vers l’extérieur mais Vauban, en 1689, encourage la rénovation des murs, la
création d’une seconde enceinte et la construction de 14 forts. On pressent
déjà la volonté de protéger la cité au plus loin en s’appuyant sur les points
hauts comme Vincennes, Montmartre ou Le Bourget. Dans ce cadre, en mars 1814,
une armée impériale aux ordres de Joseph Bonaparte, forte de 12 000 hommes,
met Paris en état de défense après l’échec de la campagne de France conduite
par Napoléon. Face aux 145 000 soldats coalisés, les Français alignent
entre autre 3000 cavaliers et 84 canons. Ils résistent farouchement jusqu’à la
reddition sur les points de résistance d’Aubervilliers, Chelles et Neuilly sur
Marne et imposent une manœuvre enveloppante aux forces russes, autrichiennes et
prussiennes.
Fort
de cette expérience dramatique, une commission de défense dirigée par Gouvion
Saint-Cyr réfléchit, dès 1818, à un nouveau dispositif de défense mais sans
trouver de solutions concrètes. C’est seulement en 1830 que le général Valazé
relance le débat, bientôt soutenu par Thiers qui impose de lancer de grands
travaux pour créer une nouvelle enceinte et ceinturer la capitale d’un rideau
de forts étoilés et de redoutes. Cet effort porte ses fruits lors du siège mené
par les Allemands en 1870 après la défaite de Napoléon III à Sedan. Paris se transforme en camp
retranché, ferme certaines portes de l'enceinte dite « de Thiers »,
bloque les passages de deux canaux, celui de la Bièvre et les entrées de chemins
de fer. Les Français démolissent les maisons qui pourraient servir de bouclier
aux forces prussiennes et s’appuient sur les forts dont la plupart tiendront
pendant les 4 mois d’encerclement, permettant même des sorties offensives
réussies à Clamart ou à Meudon.
En 1871, les
Parisiens vont de nouveau se battre dans les rues et faubourgs de leurs
quartiers avec la Commune et la reconquête de la ville par les troupes
versaillaises. L’erreur des Communards aura été de négliger les défenses
extérieurs, les points hauts (positions d’artillerie) et le rempart, préférant
concentrer leurs actions sur des barricades. Malheureusement, l’analyse du
terrain est erronée car Haussmann avait transformé les vielles ruelles en
boulevards permettant des tirs d’enfilade et des charges de cavalerie. La ville
est prise lors d’une semaine sanglante sans pertes lourdes pour les assaillants.
A la fin du
XIXème siècle, la question de
la défense des grandes villes françaises se repose à nouveau et trouve sa
réponse officielle dans les forteresses de Séré des Rivières encore plus au
large de Paris. Néanmoins, de tels ouvrages, à l’image du fort de Chatillon ou
de la batterie du Champ de Mar,s ne sont plus de simples points d’appui mais de
véritables rideaux défensifs (nombreuses pièces d’artillerie) encageant des
trouées et reliés à un réseau logistique élaboré. C’est sur ce système que
s’appuiera le général Galliéni pour préparer la
défense de Pris en août et septembre 1914 sans avoir à la tester. Nous
reviendrons sur cet épisode à l’occasion d’un article spécifique.
Enfin, en
1944, les Allemands doivent tenir Paris face aux Alliés avec des moyens comptés
(divisions de sécurité et troupes de la 7ème armée se repliant de
Normandie). Le général Von Choltiz fait un choix tactique qui s’apparente à un
compromis entre défense au plus loin et camp retranché parisien. En effet, il
met en place une ceinture au sud de Paris à la hauteur de Meudon ou de la Croix
de Berny, dans les forêts du sud de la ville et sur les axes, tout en
transformant les jardins de la capitale (Luxembourg, Tuileries) en points
d’appui hérissés de quelques blindés, de pièces anti-aériennes ou de moyens
antichars. Ce déploiement sera un échec, le centre de gravité allemand
(quartier général) n’étant pas suffisamment protégé et les appuis aériens
sensés appuyer la défense n’étant pas engagés.
Pour
conclure, on observe qu’au fil du temps, la défense d’une ville telle que Paris
s’est déplacée du cœur urbain à la périphérie et ceci afin de freiner, voire
interdire, tout mouvement vers la cité, sa population, ses moyens logistiques
ou ses moyens de commandement. De tous temps, les militaires ont cherché à
bâtir une ceinture protectrice avec des troupes, des forts ou simplement la
saisie de points caractéristiques du terrain (points hauts, coupures humides)
mais sans jamais trouver la meilleure solution. La guerre asymétrique semble
quant à elle renouer aujourd’hui avec l’action au cœur des centres urbanisés,
zones géographiques qu’il devient difficile de contrôler sinon en déployant des
outils de renseignement de plus en plus puissants et des effectifs importants.
La défense urbaine demeure ainsi un chantier tactique en pleine évolution.
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