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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 6 juillet 2013

Défense militaire de Paris : perspective historique.


 

Aujourd’hui encore, la défense (ou la conquête) des zones urbaines et, en particulier, celle des grandes agglomérations, demeure une préoccupation des militaires engagés dans des villes de plus en plus nombreuses et aux échelles démesurées. Ces dernières années d’ailleurs, que l’on évoque Sarajevo, Mogadiscio, Grozny, Kaboul, Bagdad ou Falloudjah, la guerre en ZURB a ouvert de nombreux débats doctrinaux ainsi que des évolutions techniques importantes. Plus loin dans le passé, certaines cités ont été le centre de gravité de batailles ou de conflits conventionnels, voire asymétriques, et ce, au travers d’exemples célèbres comme Troie, Carthage, Orléans, La Rochelle, Madrid, Stalingrad et Berlin.
Aussi, était-il intéressant d’analyser les choix tactiques opérés au cours des âges pour défendre une ville majeure face à des adversaires aux modes d’action différenciés. Paris et son histoire tourmentée apparaît alors comme une illustration concrète de cette recherche d’un système défensif efficient. Par conséquent, nous verrons que cette défense s’est fondée sur la topographie des lieux mais aussi sur la volonté de freiner ou d’arrêter l’ennemi potentiel au plus loin des premières habitations, avec des effectifs parfois réduits et des armements limités. Nous observerons également que nombre de projets militaires ne seront jamais achevés au bénéfice de déploiements de circonstance.


Très tôt, dès le Moyen-Age, Paris a attiré les convoitises et a, par conséquent, exigé la construction de remparts et de palais fortifiés. Les premiers assiégeants majeurs seront les Vikings qui brûleront et pilleront la ville par trois fois avant de voir enfin édifié une résistance efficace. En effet, le comte de Paris Eudes, en 885, a compris que l’atout de sa ville résidait dans sa douve naturelle constituée par la Seine. Quand plusieurs milliers de Drakkars apportent leurs guerriers nordiques, ces derniers se heurtent aux deux ponts fortifiés qui relient l’Ile de la Cité aux rives du fleuve alors que les Francs ne comptent que quelques centaines d’hommes d’armes. Les Vikings se heurtent aux tours du Grand Châtelet, aux échauguettes et doivent se contenter de mener un siège de longue durée en ravageant les régions alentours pour assurer leur propre approvisionnement. En 886, après l’échec d’assauts successifs depuis la terre ou depuis la Seine, avec l’appui de béliers et de catapultes, les Vikings se retirent sous les coups des mangonneaux et trébuchets francs ainsi que des brûlots qui ravagent leurs navires. Avec la guerre de 100 ans, Paris, conquise par les Anglais, résiste aux assauts de la couronne française, y compris aux troupes de Jeanne d’Arc blessée lors d’une attaque. En 1436, Charles VII finit par prendre la ville aux occupants mais uniquement grâce à un stratagème mis en place avec les bourgeois présents à l’intérieur des murs. Ceux-ci provoquent des émeutes dans les ruelles étroites aux alentours de la porte Saint-Denis, attirant les réserves anglaises et permettant aux armées du roi de France de s’emparer de la porte Saint-Jacques. Tel un cheval de Troie, la ruse est le seul moyen de contourner les défenses solides des forteresses et des remparts.
 

La muraille de la capitale de la France vieillit lentement, les champs de bataille s’éloignant de la ville vers les frontières, en rase campagne, malgré les soubresauts de guerres civiles à l’instar par exemple des violences de la Fronde. En 1670, Louis XIV décide de détruire les remparts pour ouvrir Paris vers l’extérieur mais Vauban, en 1689, encourage la rénovation des murs, la création d’une seconde enceinte et la construction de 14 forts. On pressent déjà la volonté de protéger la cité au plus loin en s’appuyant sur les points hauts comme Vincennes, Montmartre ou Le Bourget. Dans ce cadre, en mars 1814, une armée impériale aux ordres de Joseph Bonaparte, forte de 12 000 hommes, met Paris en état de défense après l’échec de la campagne de France conduite par Napoléon. Face aux 145 000 soldats coalisés, les Français alignent entre autre 3000 cavaliers et 84 canons. Ils résistent farouchement jusqu’à la reddition sur les points de résistance d’Aubervilliers, Chelles et Neuilly sur Marne et imposent une manœuvre enveloppante aux forces russes, autrichiennes et prussiennes.
Fort de cette expérience dramatique, une commission de défense dirigée par Gouvion Saint-Cyr réfléchit, dès 1818, à un nouveau dispositif de défense mais sans trouver de solutions concrètes. C’est seulement en 1830 que le général Valazé relance le débat, bientôt soutenu par Thiers qui impose de lancer de grands travaux pour créer une nouvelle enceinte et ceinturer la capitale d’un rideau de forts étoilés et de redoutes. Cet effort porte ses fruits lors du siège mené par les Allemands en 1870 après la défaite de Napoléon III à Sedan. Paris se transforme en camp retranché, ferme certaines portes de l'enceinte dite « de Thiers », bloque les passages de deux canaux, celui de la Bièvre et les entrées de chemins de fer. Les Français démolissent les maisons qui pourraient servir de bouclier aux forces prussiennes et s’appuient sur les forts dont la plupart tiendront pendant les 4 mois d’encerclement, permettant même des sorties offensives réussies à Clamart ou à Meudon.
 

En 1871, les Parisiens vont de nouveau se battre dans les rues et faubourgs de leurs quartiers avec la Commune et la reconquête de la ville par les troupes versaillaises. L’erreur des Communards aura été de négliger les défenses extérieurs, les points hauts (positions d’artillerie) et le rempart, préférant concentrer leurs actions sur des barricades. Malheureusement, l’analyse du terrain est erronée car Haussmann avait transformé les vielles ruelles en boulevards permettant des tirs d’enfilade et des charges de cavalerie. La ville est prise lors d’une semaine sanglante sans pertes lourdes pour les assaillants.
 

A la fin du XIXème  siècle, la question de la défense des grandes villes françaises se repose à nouveau et trouve sa réponse officielle dans les forteresses de Séré des Rivières encore plus au large de Paris. Néanmoins, de tels ouvrages, à l’image du fort de Chatillon ou de la batterie du Champ de Mar,s ne sont plus de simples points d’appui mais de véritables rideaux défensifs (nombreuses pièces d’artillerie) encageant des trouées et reliés à un réseau logistique élaboré. C’est sur ce système que s’appuiera le général Galliéni pour préparer la  défense de Pris en août et septembre 1914 sans avoir à la tester. Nous reviendrons sur cet épisode à l’occasion d’un article spécifique.
 
Enfin, en 1944, les Allemands doivent tenir Paris face aux Alliés avec des moyens comptés (divisions de sécurité et troupes de la 7ème armée se repliant de Normandie). Le général Von Choltiz fait un choix tactique qui s’apparente à un compromis entre défense au plus loin et camp retranché parisien. En effet, il met en place une ceinture au sud de Paris à la hauteur de Meudon ou de la Croix de Berny, dans les forêts du sud de la ville et sur les axes, tout en transformant les jardins de la capitale (Luxembourg, Tuileries) en points d’appui hérissés de quelques blindés, de pièces anti-aériennes ou de moyens antichars. Ce déploiement sera un échec, le centre de gravité allemand (quartier général) n’étant pas suffisamment protégé et les appuis aériens sensés appuyer la défense n’étant pas engagés.
Pour conclure, on observe qu’au fil du temps, la défense d’une ville telle que Paris s’est déplacée du cœur urbain à la périphérie et ceci afin de freiner, voire interdire, tout mouvement vers la cité, sa population, ses moyens logistiques ou ses moyens de commandement. De tous temps, les militaires ont cherché à bâtir une ceinture protectrice avec des troupes, des forts ou simplement la saisie de points caractéristiques du terrain (points hauts, coupures humides) mais sans jamais trouver la meilleure solution. La guerre asymétrique semble quant à elle renouer aujourd’hui avec l’action au cœur des centres urbanisés, zones géographiques qu’il devient difficile de contrôler sinon en déployant des outils de renseignement de plus en plus puissants et des effectifs importants. La défense urbaine demeure ainsi un chantier tactique en pleine évolution.
 
 

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