Dans le cadre de la série d'articles que j'ai initiée en lien avec les problématiques du dernier colloque de l'Ecole de guerre, et comme je vous en avais fait part, voici un article sur la judiciarisation de la guerre écrit par Nathalie Barraillé. Juriste spécialiste des questions de Défense (droit public/contentieux administratif et protection juridique), elle a accepté de nous livrer ses réflexions sur ce thème à l'actualité brûlante, je la remercie de cette initiative. Plus long que les articles habituels, j'ai pris le parti de le publier en une seule fois par souci de cohérence. Bonne lecture...
Le 30 janvier dernier, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance rendue par le juge d'instruction Frédéric Digne, saisi de plaintes avec constitution de partie civile pour mise en danger de la vie d'autrui et non-empêchement de crime, permettant ainsi l'ouverture d'une enquête judiciaire sur les circonstances de la mort de dix militaires dans l'embuscade d'Uzbeen en Afghanistan et notamment, sur l'existence ou non, de fautes d'imprudence, de maladresse,et de prudence dans la conduite des opérations. d'inattention ou d'un manquement à une obligation de sécurité
Cette décision n'est pas sans relancer le débat sur ce que d'aucuns appellent la "judiciarisation du monde militaire ou la judiciarisation du champ de bataille".
En effet, ces dernières années, force est de constater que le droit et la justice investissent fortement la sphère des affaires militaires. Pour autant, le droit ne doit pas être regardé comme paralysant l'action des armées mais, au contraire, comme un atout essentiel puisqu'il constitue le fondement même des opérations menées par les forces armées en assurant une protection juridique adaptée à tout militaire. L'Etat a l'obligation légale de protéger tout militaire contre les attaques dont il fait l'objet à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou contre les mises en cause de sa responsabilité civile et pénale devant le juge pénal, à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle.
Le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud, lors de la cérémonie des vœux aux armées avait même rappelé que "l'esprit de décision des chefs militaires ne doit pas être inhibé par la prise de risque inhérente au métier des armes". "Un soldat qui meurt au combat n'est pas une victime. C'est d'abord un homme et une femme qui va au bout de son engagement".
A l'annonce de l'ouverture de cette enquête judiciaire, le ministre de la défense s'est également inquiété de cette judiciarisation des affaires militaires en précisant que "L'armée est soumise au droit et il est donc normal qu'elle rende compte. Pourtant, on reconnaît depuis toujours que la conduite des opérations est un exercice singulier qui n'est pas dans le droit commun".
Le constat est donc ainsi posé : les militaires, par les missions qui leur sont confiées, sont souvent exposés au risque de voir leur responsabilité civile et pénale engagée du fait des actions menées ou des nombreux dangers auxquels ils sont confrontés. Aussi, cet événement judicaire nous donne-t-il l'occasion d'aborder les inquiétudes des militaires à voir engager leur responsabilité civile et pénale dans l'accomplissement de leur mission. Ce ressenti est d'autant plus marqué par la perception d'une judiciarisation croissante, portée par les médias, l'opinion publique, l'institution judiciaire et les professionnels du droit.
Pourquoi un tel engouement pour le judiciaire ? Doit-on parler de perception, de risque ou de judiciarisation accomplie ? Quelles en sont les causes ? Le droit deviendrait-il le seul moyen de se faire entendre ? Et face à ce risque, les militaires ont-ils à craindre sur le métier de soldat ou au contraire, sont-ils suffisamment protégés ?
Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre …