La « Force Protection », terme
anglo-saxon qualifiant la préservation du potentiel humain et matériel en
opération, est devenu un leitmotiv au sein des armées occidentales, soucieuses
d’éviter des pertes importantes, voire une judiciarisation de leurs opérations
et ce, alors que les opinions publiques ne soutiennent pas forcément les
expéditions lointaines contemporaines.
En outre, la professionnalisation des
outils de combat (investissement global consenti pour recruter et former un
soldat professionnel), l’héritage des théories post-Guerre Froide de type « zéro
mort » comme la remise en question permanente de la légitimité des
engagements, poussent les états-majors à protéger leurs unités.
Aussi, la perception de la « Force Protection » est souvent
cantonnée à la protection du combattant et à celle de son environnement
fonctionnel voire des infrastructures qu’il utilise.
Pourtant, l’histoire militaire, mais aussi la réflexion tactico-opérative,
montre que la protection de la Force, fille du principe de sûreté (parfois
ignoré), dépasse largement l’espace d’engagement du soldat pour s’inscrire dans
l’espace doctrinal des armées mais aussi dans la conception des opérations et
des outils de combat.
1-L’héritage de l’histoire :
Dès l’Antiquité, les chefs militaires
cherchent à préserver des moyens comptés, que l’on pense aux phalanges d’Alexandre
comme aux légions romaines coûteuses à entretenir, à recruter, à soutenir et à
entraîner. Pour cela, ils mettent en place de larges et efficaces réseaux de
renseignement (espions, tribus alliées), des lignes de communication rapide ou
encore conduisent ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui des opérations d’influence.
Ces dernières passent par de fausses rumeurs, des opérations provoquant la
terreur (prisonniers tués, villes décimées) ainsi qu’une solide réputation (Guerre des Gaules écrite par César).
Tout au long des siècles, la protection
de la Force passe également par l’emploi de stratagèmes comme les leurres, la
Maskirovka soviétique, l’emploi de brouillards artificiels ou de documents
falsifiés. Les communications sont souvent codées, cryptées à l’instar d’Enigma
pendant la seconde guerre mondiale ou des interprètes indiens utilisés par le
corps de Marines dans les combats du Pacifique.
La protection du combattant avec des
armures, des boucliers, des cuirasses, y compris jusque dans les tranchées du
premier conflit mondial a été, comme aujourd’hui la préoccupation des généraux.
Une autre manière de préserver la ressource est apparue très tôt avec l’emploi
de forces supplétives, des corps auxiliaires romains aux sociétés militaires
privées modernes, en passant par les mercenaires de la Renaissance ou les
troupes coloniales.
Dans un autre registre, la création de
places fortes, de remparts, de murailles (mur d’Hadrien, ligne Maginot), de
forteresses (citadelles Vauban), de forts (ceinture Séré des Rivière autour de
Paris au début du XXème siècle) et, aujourd’hui de camps retranchés appelés FOB
(Forward operations base) ou Compounds tiennent de la même volonté d’apporter
au soldat un abri pour le combat voire une zone sanctuarisé pour lui permettre
de se remettre en condition ou de s’entraîner.
Sur le champ de bataille, de tous temps,
la mobilité a constitué un formidable multiplicateur de protection permettant
de garder l’initiative et d’esquiver la concentration des efforts adverses.
Certaines armées en ont fait d’ailleurs un mode d’action que l’on pense aux
Huns, aux Mongols (archers montés) mais aussi, bien plus tard, les compagnies
de voltigeurs puis les unités blindées. Cette capacité est à mettre en parallèle
à tous les efforts de valorisation du terrain pour mener des sièges, protéger
des positions permanentes comme temporaires. Cela s’est traduit par l’emploi d’outils
spécifiques (tours d’assaut, casemates) et d’innovations défensives avec les
tranchées, les barbelés, les mines et autres moyens de contre-mobilité.
Il y a donc bien une préoccupation
pérenne de mettre en place un dispositif de « Force Protection » à associer à la pensée sur l’art de la
guerre.
2-La pensée tactico-opérative :
Quand on examine la pensée militaire et
les principaux auteurs et théoriciens, voire certains chefs, on observe que la
protection de la Force dépasse largement la simple réflexion en lien avec la dialectique
« cuirasse »/« feu » pour prendre en compte les notions de
sûreté, de liberté d’action et d’économie des moyens.
Aussi, protéger c’est :
-Concevoir un équipement et une doctrine
adaptée à la menace : pensée de Moltke.
-Définir et préserver son propre centre
de gravité (capacités critiques, …).
-Bâtir des forces complémentaires (GTIA
moderne) : pensée de Folard et de Guibert.
-Planifier en préparant des cas non
conformes.
-Assurer un cycle du renseignement
efficace et rapide pour garder l’initiative.
-Mettre en place une bonne économie des
moyens (réserve, équipements adéquat).
-Assurer sa sûreté (couverture,
flanc-garde) : pensée de Napoléon.
-Protéger ses lignes d’opération et ses
axes logistiques : pensée de Jomini et de Napoléon.
-Mobilité (marches et
contremarches) : pensée de Malborough, de Condé.
-Choisir son terrain (études, saisie des
points clefs).
-Prendre en compte l’environnement
(contre-insurrection, population,…).
-Saisir les opportunités par une
subsidiarité accrue (notion d’effet majeur).
-Protéger le combattant en favorisant sa
résilience (confiance dans son matériel, zones sécurisées, adaptation à la
menace).
3-La « Force protection », une notion à réfléchir selon 3
piliers :
Fort de ce constat, il paraît opportun
de proposer une analyse globale de la « Force Protection » sur tout le cycle d’engagement d’une unité
au sens large, de la doctrine au combat en passant par l’entraînement et la
conception des ordres. On voit de fait émerger 3 piliers qui se complètent et
se suivent chronologiquement.
Pilier
1 Conception et préparation
Equipements adaptés (exemple protection contre
les engins explosifs improvisés…).
Doctrine adaptée aux conflits du moment
ou du futur.
Prise en compte de la FP dans toutes les
étapes de la planification comme facteur clé (temps, lieu, mission,
environnement,…).
Détermination des points faibles de la
force (à protéger en priorité).
Branch plans (cas non conformes)
Articulations adaptées et réactives
adaptées au terrain, à la mission, à l’ennemi.
Pilier
2 conduite de la manœuvre
-Recueil et traitement du renseignement
-Contre-ingérence.
-Sûreté tactique (flanc-garde,
couverture).
-Protection des moyens de C2 (Command
and control) par la furtivité des postes de commandement, la sécurité des
moyens de communication,…
-Liberté d’action par des modes d’action
audacieux ou réversibles.
-Capacité à réagir à l’imprévu (réserves.
-Saisi de l’initiative (audace,
diversion, déception, surprise, saisie des opportunités).
-Imposition du tempo à l’adversaire
(numérisation, cycle de décision).
-Appuis importants (feux, génie,…).
Pilier
3 Protection de la ressource / réversibilité
-Sécurisation des axes et des enceintes
(bastion walls, lutte contre les attaques indirectes, check points, abris
anti-explosions,…).
-Protection du combattant (moyens balistiques,
blindage, brouilleurs, camps retranchées).
-Détection des agressions (moyens d’observation
passifs, drones,…).
-Résilience et capacité à durée (soutien
du combattant, soutien santé).
-Prise en compte des menaces nouvelles
(impacts sur les familles, agressions cyber, utilisation des réseaux sociaux,
désinformation,…).
-Disposer d’un tissu industriel capable
de répondre dans l’urgence aux besoins évolutifs des armées (exemple des
équipements développés pour le théâtre afghan.
-Développer l’exploitation rapide du
retour d’expérience.
En conclusion, on le perçoit, la « Force Protection » n’est pas
seulement l’assertion réductrice liée aux engagements des forces armées sur des
théâtres d’opérations lointains face à des ennemis dits asymétriques cherchant
à produire de lourdes pertes sur des combattants surprotégés. En fait, la « Force Protection » doit se réfléchir
sur l’ensemble du spectre qui définit la guerre et ce, afin de revenir aux
principes fondamentaux souvent délaissés.
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