Si, nombreux sont ceux qui connaissent le nom du
maréchal JOUKOV, ses victoires et sa « longévité »
militaire au plus près de Staline, il y a eu en fait assez peu d’études menées
sur cette grande figure militaire de la seconde guerre mondiale. Des auteurs
russes ou anglo-saxons ont déjà mis en avant certains traits de son caractère
ou sa maîtrise de l’art de la guerre
mais de nombreuses polémiques sont nées des divergences observées entre ses
mémoires, qui manquent bien souvent d’objectivité ou d’exactitude historique,
et les récits de ses contemporains, en particulier ses adversaires au sein du
commandement soviétique (Stavka). Aussi, pour la première fois en français,
Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri nous proposent une étonnante et riche biographie
de chef militaire qui fait partie des plus brillants de sa génération, un homme
qui a sauvé l’URSS en 1941 et a fini par vaincre Hitler, ses généraux et sa
formidable machine de combat jusqu’à la prise de Berlin. Nous verrons ainsi que
si Joukov n’était pas destiné à une carrière des armes, il a su d’abord faire
preuve d’opportunité puis d’une grande capacité de travail pour apprendre,
assimiler, concevoir et, in fine,
conduire l’armée Rouge à la victoire grâce, en particulier, à sa maîtrise de
l’art opératif.
Sur les plus de 200 opérations menées par l’Armée
Rouge en 4 années de guerre à l’échelle d’un ou plusieurs front (niveau
opératif au regard de l’échelle espace/temps du front de l’est), Joukov a
participé à près de 60 d’entre elles avec une énergie extraordinaire et ce,
malgré une surveillance accrue du régime, une défiance voire un acharnement sur
sa personne (menaces, humiliations,…). Il a de plus réussi à monter en
puissance un outil militaire fragilisé par des années de purges et surtout une
dictature du parti communiste empêchant la professionnalisation, l’initiative
ou l’esprit de corps aux cadres qui cherchent à rompre avec les principes
hérités de la guerre civile.
Joukov est issu d’un milieu très modeste et rural,
son enfance est marquée par une mère rude et exigeante mais également par un
niveau scolaire initial assez faible. Peu concerné par le conflit mondial à ses
prémices, il finit par rejoindre en 1916 un régiment de cavalerie puis devient
sous-officier. Il est blessé lors de ses premiers combats et ne participe pas
à l’offensive Broussilov qui deviendra néanmoins pour lui une référence d’une
opération réussie. Il lira d’ailleurs les conférences et les écrits concernant
cet épisode offensif victorieux. Il en retient la nécessité d’une planification
stricte, la nécessité de l’effet de surprise, l’importance des reconnaissances,
du camouflage, des diversions comme les préparations d’artillerie courtes mais
massives avec l’emploi de groupes de choc pour percer.
Quand la guerre civile débute, il apprend auprès des
« maîtres » de l’art opératif comme Toukhatchevski qui mène des
opérations contre-insurrectionnelles face aux bandes armées d’Antonov. Il fait
l’expérience des immenses échelles que représentent les différents fronts et la
nécessité, non pas de détruire l’adversaire mais de combattre dans la
profondeur pour s’emparer de points clés pour briser le dispositif adverse.
Joukov monte rapidement en grade et devient en 1923 commandant du 40ème
régiment de la 7ème division de cavalerie où il estime
lui-même : « Le commandement
d’un régiment a toujours été considéré comme une des étapes essentielles dans
l’acquisition de l’art militaire. Le régiment est l’unité de base, celle où la
coopération de toutes les armes de l’armée de terre s’organise en vue du
combat. Parfois même il faut coopérer avec d’autres armes que celles de l’armée
de terre. Le commandant d’un régiment doit bien connaître ses unités mais aussi
les moyens de renforcement qui sont habituellement mis à sa disposition. On lui
demande de savoir choisir, au combat, l’axe d’effort principal, et d’y
rassembler le gros de ses moyens. Le chef qui a bien assimilé les modalités de
commandement d’un régiment sera un chef militaire de premier ordre à tous les
échelons de commandements ultérieurs, en temps de paix comme en temps de
guerre. » A l’exemple de
Frounzé, il prône une doctrine manœuvrière et offensive et cherche, malgré les
difficultés de recrutement, les effectifs peu disciplinés, la pression
politique et le manque d’équipements à faire progresser ses hommes et sa pensée
avec une présence accrue sur le terrain et une volonté de fer. Pour sa part il
lit de nombreux ouvrages d’histoire militaire et de tactique avant d’être admis
fin 1929 à un cours avancé pour les commandants supérieurs (KUVNAS). Il y
découvre l’opératique, lit « Le
cerveau de l’armée » de Chapochnikov, les « Questions de stratégie moderne » de Toukhatchevski, le « Strateguia » de Svetchine et
surtout le brillant « Nature des
opérations des armées modernes » de Triandifillov. C’est le
combat dans la profondeur, la volonté de mécaniser l’outil militaire pour
s’enfoncer dans le dispositif ennemi tout en envisageant l’emploi de troupes
aéroportées. Affecté à l’état-major, Joukov apprend auprès des grands chefs de
l’époque et participe alors à la modernisation des forces avec, notamment, la
refonte de manuel d’emploi de la cavalerie, la mise sur pieds de régiments
mécanisés et d’artillerie dans les divisions à côté des chevaux. Ses études
sont à l’unisson des études d’armement qui donneront naissance quelques années
plus tard à la fabrication des T34, des avions d’appui au sol Sturmoviks et des
obusiers de 122mm (portée 14 km). En 1933, il devient commandant de division
(la 4ème) et met en pratique sa pensée, y compris face à ses rivaux
comme Isserson, parfait théoricien de l’art opératif mais piètre praticien. Il
est remarqué par Boudienny et par les hautes autorités militaires au cours de
grandes manœuvres où son action sur le terrain au plus près de l’action ainsi
que son caractère colérique mais stimulant font des merveilles. Mais cet élan
doctrinal et ce bond qualitatif connaît une éclipse lors des grandes terreurs
de 1937-1938 où Staline fait exécuter de nombreux officiers. A suivre…
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