Nous poursuivons notre étude des enseignements consacrés à la biographie du maréchal Joukov, en particulier aujourd'hui sur la période de l'immédiat avant-guerre.
Néanmoins, même s’il subit cette période avec
angoisse dans une atmosphère pesante de délation, Joukov profite des purges qui
ont pour effet de créer un formidable ascenseur professionnel puisqu’il est
nommé en juillet 1937 commandant du 3ème corps de cavalerie puis
commandant adjoint de district en Biélorussie. En responsabilité et devant
l’augmentation exponentielle des effectifs de l’Armée Rouge (qui passe de
900 000 hommes en 1934 à 3 millions en 1939), il ne peut que déplorer le
manque d’encadrement et sa faible qualité, deux facteurs qui conduiront aux
hécatombes de 1941.
Mais le destin va sourire à notre général russe
puisque le 1er juin 1939, il est convoqué de toute urgence à Moscou.
Il y apprend qu’il doit se rendre en Mongolie pour, dans un premier temps,
estimer, les raisons de l’incapacité des troupes soviétiques présentes (57ème
corps spécial) à faire face à une profonde incursion japonaise dans la région
de Nomonhan (Khalkin Gol). Cette mission va devenir un tournant dans son existence.
Fort de ce qu’il observe et rend compte au Kremlin, il est finalement nommé
commandant du 57ème corps spécial et commence à préparer une
riposte. Il met l’accent sur la recherche du renseignement (photos aériennes,
interrogatoires de prisonniers. De la même façon, il ne sous-estime pas son
adversaire, le général Komatsubara et cherche à observer au plus près le
terrain et le dispositif ennemi directement sur la ligne des contacts. Il met
en place une réserve opérative (à l’inverse des Allemands et des Japonais qui
se contentent d’une réserve tactique) sur deux échelons et qui peut représenter
25 à 40% des moyens disponibles. Elle est sensée intervenir au moment où l’ennemi
a dépassé son point culminant et qu’il perd, de fait, sa capacité à réagir, à
garder l’initiative. En août, il défait les Japonais dans une belle manœuvre
d’enveloppement après avoir percer
derrière un feu puissant d’artillerie précis commandé par Voronov (50% des
pertes japonaises). Voir l’étude de la bataille sur votre blog : http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/p/la-bataille-de-khalkhin-gol-1939.html
Joukov valide, au cours de cette confrontation, le
concept d’art opératif mais aussi de recherche de surprise comme une
utilisation des blindés dans la profondeur sur des objectifs qui vont au-delà
des limites spatio-temporelles de la tactique. Il considère, contrairement à certains
de ses contemporains, que « gagner
la guerre n’est pas une affaire de détermination politique, mais que c’est une
question de compétence technique, de capacités de planification, d’accord entre
moyens, vision opérative et but stratégique. »
Face à cette première confrontation et malgré le
succès, le maréchal Timochenko lance un grand train de réformes Kalkhin Gol a
mis en lumière de graves insuffisances techniques et tactiques. Joukov est
alors partie prenante dans la planification du plan MP41 pour faire face à une
attaque allemande avec 300 divisions, 33 corps mécanisés et 333 régiments
d’aviation. Malheureusement, ni lui, ni le haut commandement, ne perçoivent ce
qu’Isserson prophétisait : « A
l’avenir, il n’y aura plus de déclaration de guerre, plus de phases distinctes
suivant le schéma de 1914, mobilisation, concentration, déploiement. L’attaque
sera soudaine, massive, avec tous les moyens réunis de façon à maximiser
l’effet de choc. Comme l’agresseur ne pourra pas dissimuler complétement ses préparatifs,
il lui faudra maintenir l’équivoque sur ses intentions : s’agit-t-il d’une
pression, d’un bluff, d’un chantage ou de vrais préparatifs d’attaque,
l’adversaire sera paralysé par le doute. »
C’est une des raisons des succès de l’opération
Barbarossa lancée par les Allemands à l’été 1941 car Staline hésite, ne prend
pas de décision et laisse son armée prendre de plein fouet l’onde de choc
provoquée par la Wehrmacht. L’armée Rouge s’effondre dans des encerclements
géants et une retraite désorganisée car, en plus de la surprise, sa doctrine ne
repose que sur l’offensive. Joukov a néanmoins les faveurs de l’état-major
général et de Staline suite à sa victoire en Asie. Il est donc désigné avec ses
talents d’organisateur (aménagement du terrain, mise en œuvre des réserves) et
son énergie pour sauver Leningrad puis Moscou. Il n’hésite pas à punir
sévèrement ceux qui reculent trop facilement mais il sélectionne également es
chefs qui font preuve d’initiative. Autour de la capitale il met en en place
des moyens de déception ou Maskirovka (chars en bois) et un dispositif en
profondeur qui va affaiblir les Allemands. Il a compris que ses ennemis étaient
épuisés, au bout de leur effort logistique et privés de l’atout majeur que
constituait jusqu’à présent la vitesse. Les panzers sont bloqués puis subissent
une contre-attaque dévastatrice. La force de Joukov, tout au long de la guerre
va ensuite résider dans sa capacité à apprendre de ses échecs (opération Mars)
pour bâtir un plan de campagne à la hauteur de ses ambitions opératives,
manœuvrant ses Fronts pour garantir sa liberté d’action, pour percer, pour encercler
l’adversaire (opération Uranus à Stalingrad), l’arrêter dans une défense
redoutable (Koursk), contre-attaquer ou le disloquer sur des centaines de kilomètres
(opération Bagration). Il pourra compter sur un outil militaire de plus en plus
efficace et aguerri ainsi que d’une force de frappe mécanisée très mobile qui
est appuyée par une aviation qui a la maîtrise du ciel.
Il sera le héros de la victoire en 1945, Staline le
laissant vivre son triomphe sur la place rouge, mais devra traverser de lourdes
polémiques du fait de son implication dans la déstalinisation et des rancœurs
de certains de ses camarades. Il demeure malgré tout un des meilleurs chefs militaires
de la seconde guerre mondiale par sa faculté d’adaptation et sa vision
opérative capable de tenir en échec un des outils tactiques les plus aiguisés
du XXème siècle.
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