Nous achevons notre article sur la résilience tactique, son influence sur l'histoire militaire et les moyens de la développer aujourd'hui.
Les
systèmes théoriques et empiriques proposés par l’histoire militaire ou les
penseurs.
Face
à cette incertitude déstabilisatrice, plusieurs écoles ont émergé et l’histoire
apporte son lot de solutions pragmatiques. Que l’on pense à Scipion l’Africain,
qui assimile l’approche indirecte d’Hannibal pour porter à son tour le combat
en terre carthaginoise avant de remporter une victoire à Zama, qu’on revienne
sur l’armée romaine adaptant ses modes d’action aux invasion barbares en
développant cavalerie et archers, ou que l’on cite les forces alliées qui
mécanisent leurs unités pour s’opposer aux troupes allemandes, le temps demeure
clé dans la résilience tactique. La force morale, issue d’une éducation
militaire préalable de la population ou d’un « dressage » guerrier peut aussi permettre de réagir après avoir
été surpris. C’est le cas par exemple de l’armée soviétique en 1941 qui reprend
l’initiative devant Moscou (voir l’ouvrage du général Guillaume « Pourquoi l’URSS a vaincu ») ou des
soldats français de 1914, pétris du culte de l’offensive, et qui reprennent l’ascendant
dans la Marne. Au-delà de cette faculté d’adaptation, de cette flexibilité, les
penseurs de la guerre ont, de tous temps, réfléchi à cette problématique.
Pour
Clausewitz, la solution passe par une planification détaillée appuyée par deux
facteurs, la masse des troupes (concentration des efforts par le nombre pour
vaincre rapidement et saturer l’adversaire) et le génie du chef qui saisira l’instant
critique et la manœuvre décisive. D’autres, comme Von Moltke considèrent que l’on
se préserve de la surprise par une décentralisation du commandement et le
développement de l’initiative chez les subordonnés. A la fin du XXème
siècle, les penseurs militaires mettent également en avant l’importance du
renseignement, en amont comme en conduite, ainsi que celle de la prospective
afin de répondre à la question : que sera le champ de bataille de demain ?
Israéliens comme américains vont notamment, dans les années 1990, au travers de
ce que l’on a appelé la RMA (révolution dans les affaires militaires) osciller
entre la doctrine « response to gaps »
(comprendre et maîtriser la physionomie de la menace) et « relative advantages » (disposer de
la supériorité technique dans les secteurs clés comme le combat aéroterrestre, les
blindés,…). Mais cette solution a montré ses limites au regard des difficultés israéliennes
face au Hezbollah libanais ou de l’intervention américaine en Irak.
De
la même façon, la force industrielle d’un Etat ou l’ingéniosité macabre d’un
groupe asymétrique peut permettre à des
unités de combat de trouver, dans la technologie, le moyen de reprendre le
dessus ou de trouver une parade à un nouvel équipement. Ceci s’illustre par
exemple avec la mise en place des radars par les Anglais lors de la bataille d’Angleterre,
des fusils antichars en 1917 ou encore des engins explosifs improvisés sur des
théâtres comme l’Afghanistan, l’Irak ou le Liban.
Malheureusement,
le conservatisme de certains milieux militaires, les rivalités au sein des
organisations de commandement, les difficultés économiques, voire l’incapacité
des sociétés à prendre en compte les évolutions de la guerre ou de la menace,
demeurent des freins à la résilience (l’immobilisme de l’armée française de l’entre-deux
guerres demeure à cet égard pertinent).
Changer
les modes de pensée pour aiguiser la résilience.
Aujourd’hui
encore, les armées occidentales paraissent prévisibles pour les ennemis
potentiels du fait de leur doctrine bâtie, bien souvent, au contact de
situations particulières ou d’expériences opérationnelles. L’anticipation reste
à un niveau général, éventuellement stratégique, alors que les conflits
évoluent très vite sur le terrain et sont évoquées par les théoriciens sur le
thème des guerres hybrides.
Alors
que les forces engagées obtiennent de beaux succès sur les théâtres d’opération
(au moins dans la phase initiale d’intervention), une fois de plus, le temps
semble jouer en faveur des combattants irréguliers, des Etats faillis ou des
puissances militaires aux visées expansionnistes. Ainsi, sous une apparente
ouverture d’esprit et une réflexion doctrinale quasi-permanente, un certain
conservatisme et les rivalités entre fonctions opérationnelles ou armées
paraissent figer la capacité à inventer de nouveaux modes d’action et donc, de
développer la résilience. Cette dernière doit en effet permettre de dépasser la
surprise initiale imposée par les innovations tactiques ou techniques des
adversaires.
Pour
cela, il semble aujourd’hui nécessaire de développer un art opératif et une manœuvre
tactique plus décentralisés, de laisser au chef sur le terrain la capacité, à
son niveau local, de bâtir la force dont il a besoin sans voir l’échelon
politico-militaire lui imposer des contraintes financières ou des dogmes jugés
imparables (pas de blindés face à un ennemi irrégulier mobile, omniprésence des
forces spéciales dans la lutte anti-terroriste, recours exclusif à l’arme
aérienne dans le ciblage, ….). L’étude de l’histoire militaire doit davantage être
développée dans les écoles de formation (mais aussi dans les unités et états-majors
y compris centraux) afin de mettre les futurs chefs face à des situations
diversifiées avec des équipements, des effectifs et des armements différents de
ceux qu’ils ont l’habitude d’utiliser dans leur méthode d’élaboration d’une
décision opérationnelle. Il s’agit, de la même façon, de mettre sur pieds des
exercices où les forces amies ont déjà subi une forte attrition, où des
frictions sont intégrées au déroulement (météo, problèmes logistiques graves,
C2 inopérant, pertes importantes, terrain inhabituel) et où le belligérant
adverse prend, à son tour le contre-pied de sa doctrine (l’ennemi n’est plus
générique).
Dès
lors, face à la surprise, pour permettre d’agir sur la résilience, il faut disposer
d’une palette de moyens et donc, il est impératif de rééquilibrer la répartition
entre les capacités (mêlée, puissance de feu, logistique, appuis,…) tout en
maintenant une redondance des moyens (ce qui est réalisé dans le domaine des
SIC mais souvent ignoré pour d’autres fonctions) en maintenant une masse critique
d’effectifs. Cette dernière est nécessaire afin de faire face à une
confrontation dans la durée, à des pertes importantes et, dès lors, pour
favoriser la réactivité comme la flexibilité d’une armée.
Enfin,
la jeunesse des cadres, la promotion d’idées neuves et une certaine liberté d’expression
sur les sujets doctrinaires doivent être développées alors que la tendance
actuelle, en Europe particulièrement, est au vieillissement des élites
militaires, à la promotion tardive et, in
fine au maintien à des postes de responsabilités de cadres, certes
expérimentés et même brillants, mais à la pensée militaire étriquée, construite
sur des certitudes issues d’un background opérationnel riche mais inadapté à l’avenir.
Pour
conclure, la vraie résilience reste la faculté de prendre l’initiative sur l’autre
en le surprenant, en brouillant les cartes pour sa propre planification, en
mettant en œuvre des tactiques fulgurantes, atypiques où le chef sur le terrain
dispose (et peut exiger sans contrainte), sur une période clef, de la pleine
autonomie et des équipements qu’il juge essentiels à sa manœuvre. Créons donc
un nuage d’incertitude pour l’ennemi dans le but, sans plagier le maréchal De
Lattre, de « Ne plus subir ».
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